Inflation, salaires et politique d’investissement / L’inflation rogne les gains salariaux

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Pour des raisons logiques que les économistes renvoient à la faiblesse structurelle de l’appareil économique national, une bonne partie de l’augmentation des salaires décidée à étapes successives au cours de ces trois dernières années, a été rapidement phagocytée par l’irrésistible marche de l’inflation. Cette dernière s’établit au début du mois de juillet 2010, à 5,4 %.

La faiblesse structurelle de l’appareil économique a pour indice majeur la faiblesse du niveau de création d’entreprises et d’investissements créateurs d’emplois et de richesses.

Les investissements publics consentis par l’État au cours des dix dernières années, sont orientés vers la création et la réhabilitation des infrastructures et équipements (barrages hydrauliques, routes, Autoroutes, chemins de fer,…). Leurs chantiers sont temporaires. Ils ne créent pas de l’emploi permanent dans la phase de leur réalisation. C’est une fois qu’ils sont opérationnels qu’ils draineront les investissements venus des entreprises algériennes et étrangères.

Cette réalité de l’écart entre, d’une part, les investissements, la création de la valeur ajoutée et l’accroissement de la productivité du travail (nombre d’unités produites/unité de temps), et, d’autre part, la croissance des salaires est reconnue par plusieurs instances officielles. Le président de la République dans certaines de ses interventions, le Premier ministre à plusieurs occasions et le Conseil national économique et social dans plusieurs de ses rapports, ont mis en garde contre la course inflationniste.

C’est une situation qui pose un autre problème de taille : la fixation des taux d’intérêt bancaires. Ces taux, pour être efficaces et rentables, sont généralement situés à 2 ou 3% au-dessus de l’inflation. Cependant, à un certain seuil, les taux d’intérêt peuvent devenir prohibitifs. Et ce sont les activités économiques et particulièrement le mouvement des investissements qui en prendra un coup.

Régression du pouvoir d’achat, fermeture d’unités de production, licenciement, rythmes très lents d’absorption du chômage et d’autres contre-performances ne manquent pas de s’inviter à la table de toutes sortes de forums sociaux ou politiques (tripartite, APN, Sénat, Cnes, syndicats,…). En tout cas, les nouvelles de l’économie nationale se suivent et s’accumulent en offrant peu de lisibilité pour les analystes et même pour les gestionnaires de l’économie. En commentant la dernière loi de finances complémentaire (LFC) de l’année 2009, le ministre des Finances, M.Karim Djoudi, parle de la nécessité de passer d’une économie de consommation à une économie de production. Cette loi de finances, celle de l’année 2010 et très probablement la loi de finances complémentaire 2010, que le gouvernement s’apprête à adopter portent l’empreinte d’un développement auto-centré qui fait appuyer les leviers de l’économie d’abord sur des énergies nationales.

Choix d’un développement autocentré

Le gouvernement justifie une telle orientation par des motifs quasi imparables. Outre le dur constat sur la qualité et le volume des investissements étrangers- basés essentiellement sur les transactions commerciales-, le gouvernement Ouyahia prend note des contre-performances de certains segments de l’économie nationale au moment où la plupart des indices macro-économique (taux de croissance annuel du PIB, dette extérieure, taux de chômage, niveau du produit intérieur brut,…) semblent avoir conquis une forme durable de stabilité.

Ce sont des choix qui n’ont pas agrée à divers partenaires de l’Algérie et même à certains patrons privés algériens. Ils ont pour ambition de mettre fin à une situation d’économie de bazar qui arrangeait beaucoup de monde parmi ceux qui se donnent le titre d’investisseur ou de partenaire économique. La réalité du partenariat est assurément plus complexe, car, dans bien des cas, elle s’était apparentée à de simples opérations de transaction commerciale que l’on voulait pérenniser dans un pays aux recettes énergétiques supposées inépuisables. Or ces dernières, comme le mentionne un rapport du Cnes, viennent de subir une coupe en règle, suite à un recul de la consommation mondiale généré par la crise financière.

Au cours de ces trois dernières années, un discret glissement inflationniste a commencé à rogner le déjà maigre pouvoir d’achat de larges franges de la population algérienne. Il a été ressenti particulièrement dans la branche “produits alimentaires” avant qu’il étende ses tentacules à d’autres produits, principalement les matériaux de construction.

Des économistes n’ont pas tardé à faire la relation entre la hausse des salaires des travailleurs décidée par les différentes tripartites, les lourds investissements publics générateurs de nouveaux salaires mais qui tarderont à être rentabilisés et la hausse vertigineuse des prix des produits de consommation. À cela, il y a lieu d’ajouter, les transferts sociaux destinées aux subventions, aux pensions et autres bonifications qui mettent en circulation une masse monétaire toujours plus importante. Ainsi, il est fait un appel d’air à la demande sans que l’offre n’ait bénéficié d’un surcroît d’intérêt. Cette dernière a souffert des aléas liés à la politique nationale de l’investissement au point où son évolution demeure négligeable. À cela, se greffe le déficit de productivité qui fait que, avec plus de ressources financières et plus de ressources humaines, on obtient les mêmes résultats à l’unité de temps qu’avant la mobilisation des moyens.

Une partie de l’inflation que vit l’Algérie depuis les deux dernières années est générée par les transferts sociaux lorsque les performances économiques (productivité et croissance) n’ont pas encore atteint le rythme soutenu. À titre d’exemple, la loi de finances 2010 consacre un montant de 8 milliards de dollars aux transferts sociaux.

Le mouvement inflationniste qui affecte l’économie algérienne n’est pas fait pour arranger les choses, d’autant plus que les exportations ont connu une baisse drastique en termes monétaires et, ce, suite au recul des prix du pétrole depuis l’automne 2008. Cela fait partie évidemment des conséquences imparables des premiers signes de la récession mondiale auxquels le gouvernement Ouyahia tente d’apporter des éléments de réponse dans ses répercussions sur l’Algérie et ce, par un certain nombre de mesures tendant à faire jouer à l’initiative nationale son caractère de primauté.

Investir pour juguler l’inflation

Le dernier amendement du code des marchés publics adopté en Conseil des ministres au début du mois de juillet 2010, et faisant valoir la préférence nationale à hauteur de 20 % dans les procédures de la commande publique est un des signes de cette nouvelle orientation. Les mesures prises pour fiscaliser les dividendes des bénéfices des sociétés étrangères, la participation de la partie algérienne dans le capital des sociétés voulant investir en Algérie, la procédure de facturation des importations (crédit documentaire) et l’encadrement de la politique des crédits destinés au ménages constituent une autre approche de l’ouverture de l’économie nationale sur le partenaire étranger, approche censée refonder, dans le pragmatisme et le principe de gagnant-gagnant, notre relation avec l’économie mondiale.

Si de larges segments de la société (syndicats, patrons nationaux, société civile et certains partis politiques) soutiennent une grande partie de ces nouvelles dispositions du gouvernement tendues vers la protection de l’économie nationale, les retards dans l’assainissement du climat général des affaires et de l’investissement ne peuvent être occultés. Bureaucratie, déficit de management des établissements de crédit chargés de financer l’économie, difficultés d’accès au foncier industriel et d’autres travers du même acabit, ne cessent de pénaliser l’acte d’investir, donc de retarder la véritable relance économique génératrice d’emplois durables et de richesses. D’où le risque d’un processus d’inflation prolongée et inscrite dans la durée. En 2009, le ministre des Finances a révélé que la moyenne du rythme des investissements directs étrangers en Algérie est de 1 milliard de dollars par an. Cette donnée, tout en révélant l’ampleur des investissements d’un pays et son degré d’attractivité ne constituent pas, aux yeux de certains partenaires économiques nationaux, une condition sine qua non pour se lancer dans des opérations d’investissement dans leur propre pays. Plus que le milliard de dollars dont a fait état le ministre, dans des conditions idéales du climat d’investissement, l’Algérie pourrait accueillir des IDE de l’ordre de 5 à 6 milliards de dollars d’après les spécialistes. Le président de la République a déjà déploré publiquement la nature des investissements étrangers dans notre pays. Dans la phase actuelle, reconnaissait-il en 2007, ce sont plutôt les opérations purement commerciales qui font l’actualité de l’investissement en Algérie.

La lutte contre l’inflation ne peut être menée administrativement, comme y appellent certaines voix qui veulent agir exclusivement sur le contrôle des prix à la consommation. Ce sont les grands mouvements d’investissement productifs dans l’ensemble des secteurs- et particulièrement dans l’agriculture et l’agroalimentaire- qui, en accroissant et en diversifiant l’offre, pourront juguler le mouvement inflationniste. La régulation par l’État est appelée à agir sur d’autres leviers (organisation des marchés de gros, de marché de détail, incitations fiscales, débureaucratisation de l’acte d’investir, libération du foncier,…).

Amar Naït Messaoud

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