Si Mohand Umhand est le plus grand poète kabyle de tous les temps. Sa vie et son œuvre sont toujours un labyrinthe à décrypter.
Le poète Si Mohand Ou Mhand jouit d’une notoriété incontestable dans l’Algérie d’aujourd’hui, grâce, en particulier, aux nombreuses études qui lui ont été consacrées. Ses poèmes ont été répertoriés et traduits par plusieurs hommes de lettres algériens, et principalement par Mouloud Mammeri (1969). Si Mohand naquit à la fin des années 1840 à Icheraïouen, près de Tizi-Rached (à l’époque), dans l’actuel site de Larbaa Nath Iraten (autrefois Fort National), wilaya de Tizi-Ouzou. Sa famille, les Aït Hamadouche. En 1857, le maréchal Randon se lança à la conquête de la Kabylie profonde. Le village de Si Mohand fut détruit. En ces temps troublés, le poète suivait des cours dans une école coranique, puis il continua ses études dans la prestigieuse zaouïa de Sidi Abderrahamane des Illoulen, si bien qu’il devint taleb. Issu d’un milieu de paysans aisés, il a eu une enfance assez heureuse, mais sa vie bascula avec l’insurrection de 1871. Sa famille, dont les membres s’engagèrent dans la révolte, et qui furent activement recherchés. L’un s’enfuit en Tunisie, un autre fut déporté en Nouvelle-Calédonie, le père de Si Mohand fut fusillé devant ses yeux. C’était un choc indélébile. Mohand, lui-même, échappa de justesse à la mort. Si Mohand, stable jusqu’ici, se voit brusquement projeté dans l’errance. Alors que les Aït Hamadouche dispersés, cherchent refuge ailleurs, le jeune garçon va parcourir villes et villages, se laisser aller à boire, courir les filles et proclamer dans ses poèmes, sa douleur des temps nouveaux. Il se marie, mais il continue à boire et à fumer du hashish. Sa belle-mère, pour se débarrasser de lui, tente même de l’empoisonner. Finalement, il divorce et s’en va de par les chemins, ne rentrant qu’épisodiquement au pays natal. Il va ainsi parcourir l’Algérie, aller jusqu’en Tunisie, à pied, où des membres des Aït Hamadouche s’étaient établis. Bône (actuellement Annaba) et sa région semblent l’attirer. Il s’y fixe un moment, puis repart pour d’autres cieux. Durant sa vie vagabonde, il va partout rimer, et semer des poésies à tous vents. Toute l’œuvre de Si Mohand ressemble à une confession. On peut y voir les rêveries d’un poète solitaire et l’expression subjective et privilégiée des émotions et des sentiments humains. Hormis quelques formules proverbiales, on n’y trouve, en effet, aucun didactisme ou moralisme. Si Mohand est un «sentimental» qui utilise le sentiment comme fonction prédominante, son rapport au monde l’est également, ainsi que son expression poétique, révélant une grande richesse intérieure et une profonde sensibilité. Les éditeurs de ses poèmes et commentateurs ont relevé trois thèmes principaux : l’amour, l’exil et le destin. Mais d’autres auteurs ont accordé plus d’attention au thème de l’errance. Vers les dernières années de sa vie, il se rend à Aïn el Hammam (autrefois Michelet) pour visiter le vénérable Cheikh Mohand-U-Lhoussine. Il meurt en décembre 1906 à l’hôpital Saint-Eugénie, tenu par des Sœurs Blanches. Le cimetière des Aït Sidi Saïd, groupe maraboutique, se trouve là. Le poète y comptait des amis qui réglèrent les frais des funérailles et l’accueillirent dans leur cimetière. Il demeure parmi eux. Plus d’un siècle après, sa vie et son œuvre demeurent une fontaine intarissable pour ceux qui aiment le verbe, ou «awal», comme on dit en kabyle.
Ali Remzi