L’administration publique en mal de réformes

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La typologie de la loi de Finances complémentaires 2010 ne diffère pas des précédentes lois de Finances. Destinée à corriger et à compléter la loi de Finances principale signée à la fin de l’année 2009, elle est basée sur le même principe comptable dégageant deux colonnes : recettes et dépenses ; comme elle distribue les allocations budgétaires selon le principe classique de budget de fonctionnement (salaires, fournitures, carburant,…) et de budget d’équipement (programme de développement par secteur).

L’idée d’une réforme budgétaire telle qu’elle est suggérée par le ministre des Finances il y a deux ans n’a pas encore trouvé son chemin. M.Karim Djoudi avait alors annoncé que le budget de l’État allait être élaboré sur une autre base qui consiste à faire valoir la notion de projet.

En effet, la nouvelle tendance à l’échelle mondiale va vers un budget exprimé en termes de projets. Le débat a même été initié en Algérie en 2009. En matière de réformes financières, notre pays a déjà fait un pas important dans la mise en place, depuis le 1er janvier 2010, du nouveau système comptable décliné selon les normes internationales IFRS (International Financial Reporting Standards).

La réforme budgétaire fait inévitablement partie du grand projet des réformes de l’administration, des structures de l’Etat (territoire, institutions et missions). La nouvelle loi portant sur la Fonction publique adoptée en 2008 est censée être confortée et prolongée par le projet du nouveau découpage du territoire, une décentralisation plus hardie et rationnellement configurée de l’administration et la promulgation des nouveaux codes de la commune et de la wilaya.

Il s’agit, en fait, d’un tout solidaire, d’un projet global de la modernisation de l’État et des institutions, duquel l’on ne peut impunément soustraire un maillon sans en affecter l’harmonie générale. La nécessité d’un saut qualitatif se trouve autrement plus justifiée par la globalisation des économies et la multiplication vertigineuse des partenaires de l’Algérie en plus des organisations régionales (Union européenne, par exemple) et mondiales (Organisation mondiale du commerce) avec lesquelles notre pays a signé des accords commerciaux ou avec lesquelles il entretient des engagements bilatéraux ou multilatéraux.

Le volet de la gestion budgétaire est d’une importance capitale pour l’administration et l’économie du pays. Il a eu une histoire pas trop confuse avant les réformes poste-octobre 1988, puisqu’un amalgame total et durable était entretenu entre les structures administratives de l’État, symbole de sa souveraineté et instruments de la puissance publique, et le reste de la sphère économique et idéologique. Avant l’instauration de l’autonomie des entreprises publiques et le divorce structurel de l’État d’avec le parti unique du FLN, les permanents du parti émargeaient au budget de la Fonction publique et les entreprises publiques recevaient des subventions du Trésor. Ce parcours imposé par la grâce de l’économie rentière et administrée n’a subi l’évolution dictée par les nécessités du monde actuel qu’au prix de déchirements qui ont déteint sur la marche des entreprises et de l’administration elle-même ainsi que sur l’état général de la société.

Une chaîne solidaire

Après le ‘’démariage’’ entre la sphère administrative de puissance publique et la sphère économique tendant à assurer à l’administration son autonomie, la Fonction publique se heurtera à moult écueils charriés par la libéralisation de l’économie, la nécessité de stabiliser les indicateurs macroéconomiques et l’impérative adaptation aux différents changements qui ont affecté le paysage économique et social du pays.

Avec plus d’un million et demi de fonctionnaires civils, paramilitaires et militaires, payés sur le budget de fonctionnement de l’État, plusieurs thèses se sont entrechoquées pour appeler à des dégraissages massifs dans ce corps ou bien encore au maintien de l’emploi, mais sans une analyse approfondie des véritables missions dévolues aux structures de l’État dans l’étape historique qu’il traverse. Cependant, une vision purement statistique ne risque pas de toucher aux véritables problèmes qui couvent dans la Fonction publique. Pire, elle risque même de les voiler face aux enjeux de l’ouverture économique et des défis de la mondialisation auxquels fait face notre pays.

Les constats et propositions qu’a pu consigner la commission des réformes de l’Etat au début des années 2 000 dans son rapport transmis au président de la République appelle une vision novatrice et hardie qui doit soutenir le mouvement de changement dans différentes structures de la Fonction publique et dans la gestion du budget de l’Etat. La commission a fait état de la médiocrité de l’encadrement, de l’inefficacité des méthodes de travail, du manque d’adéquation entre la formation scolaire et universitaire avec les véritables missions de service public et de puissance publique et, enfin, des incohérences et travers générés par l’hypercentralisation des pouvoirs de décision aggravés par une division déséquilibré du territoire.

Autant dire que tout un programme dans ce sens attend les autorités politiques du pays et les différents gestionnaires postés à divers niveaux. Une chose a acquis valeur de certitude dans ce domaine : aucune réforme ou relance économique ne peut s’imposer sur le terrain si l’administration continue à coltiner des travers qui ont pour noms : bureaucratie, incompétence, clientélisme.

Quel personnel pour manager des méga-projets ?

M.Karim Djoudi, ministre des Finances, a fait part, en 2008, de l’élaboration et la promulgation d’une loi qui présentera les conditions d’évaluation, d’élaboration et d’exécution des dépenses publiques. Dans le sillage des réformes budgétaires, une profonde réflexion pour un nouveau système de conception et d’exploitation du budget de l’État est engagée déjà une année auparavant. Le mode d’articulation et de fonctionnement du budget ne s’appuierait plus sur les notions de budget de fonctionnement et de budget d’équipement, mais plutôt sur la notion de projets à financer.

Cependant, des experts, et même de hauts responsables de l’État, ont diagnostiqué depuis longtemps un épineux problème clairement énoncé dans le rapport de Missoum S’bih sur les réformes de l’État. Il s’agit, comme on peut le deviner, de la ressource humaine identifiée au sein de l’administration publique comme étant une des sources de la contre-performance dans l’exécution des projets sur le terrain. Déjà bien mal en point et traînant la mauvaise réputation d’être une lourde machine bureaucratique, l’administration algérienne a très peu de prédispositions à manager des projets de grande envergure. Ses démembrements au niveau des wilayas et des communes sont exposés à tous les aléas- du fait de la régression sociale et du recul des compétences- qui font du fonctionnaire un candidat tout désigné à toutes formes de dérives, à commencer par celle qui a gangrené toute la société la corruption.

C’est malheureusement une vérité qui dure ; l’administration publique n’a pas encore bénéficié de projet de réforme qui la ferait sortir de son état valétudinaire. Saignée à blanc par le départ des compétences- y compris par des ‘’encouragements’’ de la part de l’État sous forme de départ anticipé à la retraite-, cette administration prend en charge, particulièrement depuis 1999 où des investissements publics grandioses ont été programmés, des méga-projets financés par la recettes pétrolière. Cependant, elle ne peut faire des miracles. Les projets pour lesquels ne sont pas préparées les ressources humaines et qui souffrent de simples impondérables liés à l’intendance et à la logistique qu’exige le suivi sur le terrain voient nécessairement peser sur eux la plus grande des incertitudes.

Il faut noter qu’entre les dépenses d’équipement- qui supposent des investissements publics- et le budget de fonctionnement, existe une relation dialectique dont sont tributaires l’efficacité de l’intervention de l’État et la durabilité des projets managés.

Depuis le lancement du Plan de soutien à la relance économique à partir de l’année 2000, les investissements publics destinés à renforcer l’ossature infrastructurelle du pays et à mieux doter les wilayas et les communes en équipements sociaux, sanitaires et culturels, les projets de développements n’ont fait que se suivre à un rythme que l’encadrement administratif et technique chargé de leur exécution ne peuvent plus soutenir. Le Plan complémentaire de soutien à la croissance économique (PCSC), doté d’une enveloppe de 150 milliards de dollars, a davantage mis à nu les carences de l’administration en ressources humaines.

Signe des temps, le dernier plan d’investissement publics (2010-2014) adopté par le gouvernement au printemps 2010 et dont le montant est évalué à 286 milliards de dinars consacre la moitié de son budget à des reliquats (restes à réaliser) du plan précédent !

En tout cas, la mobilisation du budget pour le fonctionnement de l’administration et pour les opérations des équipements publics ne peut faire l’économie d’un débat sur les capacités des ressources humaines à mettre en œuvre la politique de l’État. Ces capacités se déclinent bien entendu en termes d’effectifs, de compétence et d’organisation (pyramide de commandement, organigrammes, compétence technique, management,…).

Amar Naït Messaoud

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