Une étude pour un dialogue des civilisations

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Curiosité émerveillement, passion et obstination sont autant de maîtres-mots qui ont acheminé Carole Goncalves aux origines andalouses bien prononcées, et en fille spirituelle de Camille Lacoste-Dujardin, a consacré sa thèse de fin d’études à la place du conte kabyle entre les dédales du conte européen, publié récement aux éditions Belles-Lettres. A travers une étude intitulée : “Le rôle symbolique des animaux dans les contes kabyles et européens», cette Parisienne d’adoption fait une profonde immersion pour élaborer une théorie croisée de cultures, où la connaissance populaire se restitue sous forme de contes que l’oralité d’abord et l’écriture ensuite auront à porter les enseignements jusqu’à la postérité.

“Nombreux sont les contes qui transhument d’un bout du monde à l’autre ; précisément les contes kabyles de tradition oraliste, depuis des temps très anciens sont transmis par des conteuses souvent âgées à leurs petits-enfants revêtant une richesse de contenu et un intérêt culturel patrimonial particulier», écrit-elle en préambule. La richesse de la prose est un ingrédient “viatique” dans le conte kabyle, et les animaux se taillent la part du lion pour servir de métaphore et s’ériger en un symbole fort, car dit-elle : “Déjà bien avant Esope, les animaux servaient de masque aux défauts humains, carnaval permettant la satire de la société. Si les bêtes parlaient en ces temps-là c’est parce que les hommes ne pouvaient faire autant.”

Dans notre univers si compliqué pullulent des mystères de toutes natures. Pour un besoin étiologique, soutient Carole Goncalves, l’homme cherche des réponses par le biais du “comment” et du “pourquoi” pour meubler des histoires allant de contes savants aux contes magiques. La modernité menace-t-elle le conte ? Elle soutient tout de go : “… S’agissant des contes kabyles, contes oraux, de nos jours, les grands-mères sont délaissées pour les écrans de télévision et la chaîne de transmission du patrimoine oral est rompue. Le conte kabyle, à cause de cette impossibilité de se dire, et donc à se transmettre sous sa forme originelle est condamné à disparaître sous sa forme originelle.” Pour tout remède, la transcription du conte oral sur de nouveaux supports apparaît comme une bouée de sauvetage louable. Citant le rôle incontestable des contes de Charles Perrault, elle couve du doigt également la collecte de Mélaz Yacouben pour son travail intitulé : “Contes berbères de Kabylie et de France», qui peut faire voyager le conte au gré des temps et de l’histoire.

L’objectivité la morale implicite, le processus narratif et l’optimisme sont autant de traits d’union entre les deux pôles qui s’ouvrent chacun sur des incantations propres. Et le “Machaho !” kabyle est en passe de devenir un label qui fait des envieux. Et “… Trois conditions doivent être remplies pour que la narration ait lieu : en hiver propice (aux veillées), le soir, à la fin du repas. Une fois toutes ces conditions remplies, l’auditoire peut enfin se réunir et s’adonner au plaisir de l’écoute” ou “chaque culture utilise les animaux qui lui sont familiers, propres à ses croyances ou superstitions funestes comme le choix des chacals dans les formules finales des contes kabyles représentant le vice, le malheur, le mauvais sort”. Ainsi, donne-t-elle l’exemple de la mésange (accablée et soucieuse) faisant face au renard européen (rusé et méchant) et au chacal kabyle (têtu et cruel).

Marié à un Kabyle depuis trois ans, conteuse à ses heures, le travail de Carole Goncalves entreprend en filigrane la recherche de foyers communs qui lient des civilisations éloignées par les eaux de la Méditerranée, mais, chose frappante, autour de ces rives aussi lointaines soient-elles ; les similitudes et les visions sont plus à même à rassembler les peuples qu’à les diviser.

Tarik Djerroud

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