Hommage Abderrahmane Bouguermouh ou la colline de l’Anza / Anza, l’appel du sang

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«La différence entre un jardin et un désert, ce n’est pas l’eau, c’est l’homme»

Dans le roman Anza de M. Bouguemouh, la pensée avance en même temps qu’elle s’écrit et rend présente les évènements essentiels vécus par le peuple algérien sous l’occupation française. Le cinéaste romancier raconte avec les yeux de l’enfance, le cauchemar de son peuple plongé dans la nuit sombre du colonialisme et le gamin, témoin survivant de l’enfer de la guerre, ravive ses douloureux souvenirs avec une certaine pudeur, sans plainte, juste pour apporter un éclairage sur un épisode tragique de notre histoire vécue par une population éprouvée par des images bouleversantes des évènements du 8 mai 1945 où des civils ont payé les frais d’une manifestation légitime, réclamant l’indépendance du pays. M. Bouguemouh, avec la véracité la clairvoyance, l’émotion et la sagesse et une présence réelle des évènements ; raconte dans son roman Anza, la tragédie d’une jeunesse qui a versé son sang pour que vive digne et respecté un peuple qui a payé un lourd tribut au pays et dont les collines qui abritent l’honneur et la douleur continuent à dégager les senteurs du genêt, du maquis,de Anza,celui des martyrs sur les monts oubliés dans le chant perdu des cigales pendant la torpeur de l’été et le silence de l’hiver où s’ébauche le poème. Ne dit-on pas que le silence est le monde de la création ?

Et la colline se fit son

L’histoire du film kabyle (et pourquoi pas, viendra le jour où nous parlerons du cinéma kabyle), se souviendra de La colline oubliée, le film culte qui fut pendant vingt ans, le combat de Abderrahmane Bouguermouh, même si entre temps il réalisa des moyens et longs métrages tels que Comme une âme,un film en langue kabyle perdu dans le dédales de l’interdit, La grive, en 1967,Un moyen métrage sur un texte de Malek Haddad, plusieurs fois primé Les oiseaux de l’été en 1978, Kahla u bayda en 1988, Cri de pierres en 1996,il a également participé à la réalisation de nombreuses productions dont Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina,en 1975. Le cinéaste a fait sa guerre, celle que l’on aurait dû lui épargner pour le développement et les bienfaits du cinéma algérien. De combien de créations l’a-t-on privé ? Mais d’une colline à l’autre, les sons se répercutent et se reproduisent Et le rêve, même dans des conditions difficiles, devient réalité «une vie sans rêves est comme une terre sans pluie» dit le proverbe.

La colline oubliée, travail de reconnaissance et de parole donnée à l’auteur du roman Mouloud Mammeri, l’illustre défenseur de la culture berbère raconte l’histoire de la vie des rudes kabyles repliés sur les valeurs ancestrales et des jeunes gens qui, insouciants s’ennuient quand l’amour,les intrigues,les rivalités ne viennent pas changer leur quotidien jusqu’à ce que la guerre,le typhus viennent se greffer aux autres misères.Les portes de Tasga se referment sur le silence des chemins et la solitude des maisons ou les noms poétiques de Menach, Davda, Mouh, Azzi, la fiancée du soir, se sont tus.Les jeunes gens sont partis défendre une cause qui n’est pas la leur, et la guerre renvoie ses éclaboussures de tristesse sur le village qui se referme frileusement dans le froid de l’isolement,sur les femmes des collines abandonnées qui renvoient l’Anza des sacrifices trahis. Ce film, pour lequel A.Bouguermouh a donné son temps, sa patience et surtout sa santé est un rayon de lumière qui a traversé majestueusement, les ténèbres du vide culturel et donné à la Kabylie ses lettres de noblesses.

Sur les traces des héros

Sur les chemins caillouteux, bordés de hauts peupliers, de frênes aux feuilles tendres, d’oliviers majestueux et de figuiers dont les feuilles dégagent une senteur qui rappelle l’enfance ; dans les sentiers pleins de poésie, parmi les fougères, le romarin, l’odorante lavande ; dans le silence des lieux solitaires nous arrivâmes à Izemouren, le village natal du romancier. A une fontaine nous bûmes une eau limpide, fraîche avant de nous engager, sous des arbres ombragés dans la maison ancestrale du cinéaste où ne subsiste que des pierres, des signes, des éclats de souvenirs qui rappellent le prix payé par cette parcelle de la Kabylie pour la libération d’un pays, d’un peuple. Pierres qui parlent, racontent, pierres séculaires dans lesquelles se ressent la mémoire douloureuse des disparus et que l’on a envie d’embrasser dans un élan de nostalgie d’un passé de mystère et de révé. A Ighzar Amokrane, la récente demeure de A. Bouguermouh, entouré d’oliviers centenaires ouvre ses bras aux nombreux visiteurs venus discuter autour d’une table garnie de gâteaux de café et de thé. Un moment de ravissement et de sérénité dans une ambiance ou même un murmure devient musique et les mots un phénomène de germination et de floraison dans ce jardin ou les arbres ressemblent à d’eternels gardiens des lieux. La visite à Ifri ouzellaguen, lieu de déroulement du congrès de la Soummam est une étape émouvante pour toute la population venue visiter un autre lieu cher au cœur du cinéaste. Elle se termine par un spectacle de chants antiques, improvisés par Azal belkadi, sur la route, entre ciel, montagne et vallée.

La langue des émotions

L’hommage rendu par l’association d’Ouzellaguen Horizons, sous le haut patronage de l’APC d’Ighzar Amokrane à Abderrahmane Bouguermouh, le fils du pays, a réuni amis et admirateurs, venus d’autres contrées, pour célébrer dans la joie, le chant, la poésie et la parole les journées du 29,30,et 31 juillet, moments d’amitié et de convivialité riches en expositions retraçant le parcours du cinéaste, en conférences données par les cinéastes Belkacem Hadjadj et Ali Mouzaoui ; projection de films pour finir avec un gala artistique célébré par des artistes de renom qui ont porté haut la chanson kabyle comme Rabah Inasliyen du mythique groupe Inasliyen qui a fait vibrer les scènes des salles algéroises dans les années 80 et qui revient avec des projets prometteurs qui vont encore une fois élargir la création kabyle ciselée de belles paroles et de musique moderne qui porte le cachet du groupe. Un autre groupe, Debza, porte parole des défavorisés, revient après une longue absence pour continuer à séduire avec ses chansons contestataires qui s’adressent au peuple ; la belle et puissante voix de Azal Bel kadi interprétant des chants lyriques de la Kabylie antique ont fasciné le public ; l’incontournable Medjahed Hamid, Brahim Tayeb et sa mélodieuse voix, Zayen, l’amoureux des mélanges musicaux aux couleurs universelles et bien d’autres encore, présents plus que jamais pour accueillir dans la joie Abderahmane.Bouguermouh présenté au début du spectacle dans un kabyle impeccable, par Youcef Alioui, un autre fils d’Ouzellaguen, auteur de plusieurs contes kabyles et éminent universitaire qui appelle sa région,à l’instar de Cheikh Aheddad « 3ach Agellid » ( Aârch roi). Les 3 journées de l’hommage se sont déroulées dans une ambiance familiale, conviviale, une ambiance qui cultivé la joie, le savoir et la création dans l’esprit des jeunes d’Ighzar Amokrane.

Souriants, accueillant, avenants, Hamid Djerroud, Ahmed Haddad, et tous les membres de cette jeune équipe dynamique et parfaitement organisée, n’ont pas lésiné sur les moyens pour rendre attrayante et chaleureuse la fête réservée à l’enfant prodige.

Hadjira Oubachir

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