Bled, vacances et…euros

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Tizi Ouzou. La ville suffoque. Après 10heures, elle est à fuir en ces temps de canicule. Certes l’été tend à s’écourter chaque jour davantage mais la chaleur est encore pesante. Elle se fait même persistante. A Tizi, on sent comme si la cité a gagné en altitude, s’est hissée pour taquiner le ciel, le soleil de près. On le sent comme s’il était juste là, au dessus du crâne qui bouillonne. C’est la fin août mais c’est toujours août, le mois des chaleurs, des feux, des fêtes, des folies, des plages, des vacances, des tentations, des foires commerciales, des émigrés qui n’ont pas failli cet été encore pour revenir sentir riha n’tmurth (l’air du bled), de l’Euro… C’est en quelques sorte…le mois de la monnaie française en Algérie. Nos émigrés qui débarquent vous le rappellent presque à chaque instant. Grands ou petits, ils ne peuvent s’empêcher devant les étiquettes de prix de faire le parallèle en Euro avant de se payer le moindre plaisir. La scène se passait dans une superette du côté de la gare routière de la ville : Une maman d’un âge assez avancé, la corpulence bien soignée, le cou chichement orné de bijoux en or et de fantaisie s’attarde devant le rayon des ustensiles domestiques pendant que sa progéniture se faufilent à travers les autres comptoirs de la surface bien achalandée. Y a pas à dire, ils vivent là bas. L’accent, et les « r » bien roulés viennent confirmer les apparences dominées par le look, les habits, et le string qui dépasse les limites du penta-court à basse taille de la grande soeur. Quand soudain s’écria à l’autre bout le plus jeune des bambins : « Maman vient voir. Les brosses à dents à cinq dinars, c’est moins d’un Euro! » Le gamin doit être vraiment fort en calcul mental. Il fera ressortir même le nombre de centimes à économiser… Bien des sourires se sont étirés autour de lui.

Ca parle et ça calcule en Euro La bonne dame nullement gêné tente une explication : « Vous savez la vie est dure là bas. Il ne faut pas croire que tout vous est donné. On calcul pour ce mois de vacances à langueur de l’année. Rien que le billet, il est à 400 Euros, et lorsque vous avez une famille de quatre personnes ou plus, vous devez vraiment faire des calculs. Mais bon, Thamurth (le pays), la famille, les voisins, les amis, tout ça, ça n’a pas de prix. Et puis, il y’a aussi les fêtes ». La transition est toute faite pour enchaîner avec Nina et Françoise qu’on a rencontrées dans un autre magasin, à la grande rue de la ville. C’était chez Akli, un disquaire aux bâtiments bleus. Nina est Kabyle, de Fort National exactement. Elle raconte qu’elle est là, avec son amie invitée, pour passer quelques jours de vacances, et en profiter pour assister au mariage d’un oncle. Là bas, elle dit qu’elles sont inséparables. Elles sont à la même fac, elles suivent des études…d’économie, et elles travaillent dans une même surface comme vendeuses à leurs temps libres. Nina est née elle aussi à Paris mais elles a l’air d’entretenir merveilleusement ses origines d’ici. A part Françoise, son autre meilleure amie c’est sa grand mère maternelle de Fort National. « C’est sur que ma mère, mon père, et mes frères et sœurs je ne peux pas les changer mais avec grand mère c’est très spécial… C’est quelque chose qui ne se décrit pas. Y a des choses que je cache à ma mère et pas à elle. Je sens plus de protection de sa part, ça peut paraître bizarre mais c’est comme ça. Je l’appel d’ailleurs Yé, c’est un petit diminutif de Yemma ». « Ô ! elle est attachée à sa grand mère comme pas possible, il faut voir ce qu’elle consomme au téléphone lorsqu’elle l’appelle de Paris », devait suivre Françoise. Nina repense déjà à ces cartes oranges car elle repart le 28 du mois en cours.

Nina, sa vache, et la meuf de l’oncleLa fête de l’oncle est déjà passée. Et Nina est, à ce sujet, un peu déçu. Tout ne s’est pas passé comme elle l’imaginait, comme elle voulait le montrer à son amie Françoise. La cérémonie de mariage a été célébrée…dans une salle de fête, en ville, loin de la maison familiale. Et point de bœuf qu’on égorge habituellement en pareilles occasions. « C’était loin de l’ancienne ambiance, la maison a été presque fermée, tout le monde était à la salle, et là bas c’est le dis-jockey, point de chants des femmes, enfin des vielles, et on n’a égorgé ni bœuf, ni vache d’ailleurs. Je dis plein de sottises et j’espère au moins que tonton ne lira pas le journal ce jour là. C’est sûr il va me reconnaître… » « Mais t’en fais pas il s’en foutra complètement ; Lui il a ramené sa meuf et c’est ce qu’il voulait le plus », lui réplique Françoise avec un large éclat de rire. C’est à ce moment que Akli, Balali pour les habitués de la boutique, qui jusque là s’affairait à satisfaire d’autres clients se mêle à la tchatche. Les deux jeunes filles lui réclament de tas de noms. Ca va de Matoub à…Serge Réggiani. Françoise est toute réjouie que le CD de Réggiani est disponible. En France, elle l’aurait payé dans les 15 à 20 Euros. Ici, ça coûte largement moins chère. A peine l’équivalent de 8 Euros. D’ailleurs les deux amies ont bien fait leurs emplettes en CD, et cassettes. « Y a rien de nouveau à ça, apparemment les produits sont moins chers ici, et on le sent avec la demande des émigrés. Certes ils achètent des spécial fête, c’est la période mais ils réclament aussi du Jonny, Julio, Cabrel, des tubes de rap… » commente Balali devant ses deux clientes qui n’oseront pas le contre dire. Elle régleront leur note avec un gros sourire même avant de lécher un sympathique au revoir… Les appréhensions…de la liste d’attenteUn peu loin de là, dans un tout autre décor, en plein air, sous le soleil, devant l’agence de voyage de l’artisanat du centre ville, D’da amar, la soixantaine bien entamée, entouré de…sa vielle, visiblement essoufflée, et ses deux enfants, sacs au dos, a des soucis. De gros soucis. Ils ont débarqué avec des billets open. Et ce n’est pas du tout évident d’avoir la moindre place sur Paris avant la mi-juillet. Et pourtant les enfants doivent impérativement rentrer sur Paris pour reprendre l’école le 2 septembre. « Là bas, ça ne blague pas. Tout retard est sanctionné. C’est ces retours que j’appréhende le plus. C’est bien beau de venir, revoir les amis, la famille, goûter aux figues, le melon, le raisin, le couscous et l’huile d’olive de chez nous mais lorsque j’y pense aux nuits blanches qu’on a dû passer à l’aéroport sans être sûr d’embarquer au petit matin, ça me fait des jetons. Ben voilà, cette fois encore on doit tenter en liste d’attente… » La bonne dame de la supérette a, elle, tout prévu depuis Paris. Elle a fait ses réservations en aller et retour. Pour elle, c’était le détail à régler avant tout pour mieux savourer ses vacances, et avoir le temps de penser à s’approvisionner…en brosses à dents. Elle est ressortie, en faite, de la supérette avec une bonne dizaine dans son sac à main.

D.C.

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