Au cours de la dernière audition du ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales par le président de la République, ce dernier a insisté sur l’urgence de finaliser les codes de la commune et de la wilaya.
Ces deux codes, en vigueur depuis le début des années 90, étant jugés par tous les acteurs comme étant obsolètes et en décalage patent par rapport aux nouvelles réalités- politiques, économiques et sociales- du pays.
L’information semi-officielle qui circule ces derniers jours est que la prochaine session parlementaire d’automne prendra en charge ce dossier qui lui sera soumis par le gouvernement.
Il était temps. Depuis presque une décennie, les nouvelles moutures de ces deux textes fondamentaux sur lesquels repose la conduite de la politique des Collectivités locales sont devenues comme l’Arlésienne. L’ancien ministre de l’Intérieur, M. Yazid Zerhouni, avait, à plusieurs reprises, fait part de l’imminence de l’examen de ces codes par le Parlement. Il n’en fut rien.
À chaque fois, l’on explique le retard par la complexité de l’opération et de l’intérêt qu’il y a à maintenir les ‘’grands équilibres’’.
Une fois passées les élections législatives et locales de 2007, l’argument avancé est que les assemblées étant constituées, il y a lieu de préparer ces textes pour les prochains mandats qui débutera en 2012 pour les trois assemblées (APN, APW et APC).
On en vint même à jumeler à cette hypothétique opération, la révision du code électoral et la nouvelle division administrative du pays censée aboutir à des entités intermédiaires appelées wilaya-déléguées.
Lors d’un regroupement ayant réuni, il y a deux ans, les présidents des Assemblées populaires communales des 48 wilayas avec le président de la République, ce dernier a tenu à définir la place qui devrait revenir dans l’échiquier politique et dans la pyramide administrative de l’Etat à la cellule de base qu’est la commune.
Or, il se trouve que dans l’activité administrative et de la gestion quotidienne, l’on a comme l’impression que l’APC est la dernière ‘’roue de la charrette’’ tant est forte la centralisation de la décision et hypertrophiée la place qui revient à l’administration par rapport aux élus.
En tout cas, la confusion des rôles et l’obsolescence des codes de commune et de wilaya, greffées aux sensibilités partisanes et aux clivages claniques des élus, ont fait que cette cellule de base ne joue pas complètement son rôle dans une époque pourtant où la citoyenneté et la gestion de proximité semblent être les nouvelles valeurs qui commencent à se substituer aux anciens idéaux où le concept de la Nation et de la citoyenneté sont asphyxiés par un centralisme castrateur.
M. Yellès Chaouche Bachir, professeur à l’Université d’Oran, met en exergue, dans une journée d’études sur “l’élu et l’électeur’’ organisée l’année dernière, certaines “anomalies’’ liées aux procédures de la conception et de l’adoption des lois dans notre pays : “Ce sont les technocrates qui promulguent les lois et les révisent, notamment la loi électorale, alors que c’est un rôle qui doit incomber aux élus.
Cela pose un réel problème de représentativité (…) Au lieu que ce soit le gouvernement qui propose les lois, il se trouve que le Premier ministre délègue ce rôle aux ministres qui, à leur tour, le délèguent à des bureaux ou cabinets spécialisés composés de technocrates qui ne se référent jamais aux élus dans leurs élaborations”.
Le fil tendu de la gouvernance
Le constat le moins contestable est que les questions inhérentes au rôle des élus et à leur relation avec l’administration n’ont pas fini de se poser d’une manière franche et abrupte dans l’édifice institutionnel national et ne manquent de se cristalliser dans diverses problématiques, lesquelles, toutes, convergent vers le grand thème générique de la bonne gouvernance.
Dans une espèce de confusion et de malaise perceptibles dans leurs moindres recoins, des communes sont supposées préparer les échéances de 2012 sans pouvoir honorer, ne serait-ce que partiellement, les engagements de novembre 2007.
En effet, les guerres intestines au sein de ces entités- censées être la première structure administrative proche des citoyens et le noyau institutionnel de la République- ont fait que certaines d’entre elles ont été bloquées pendant des mois, voire des années pour des histoires de leadership, d’esprit partisan ou tribal, et parfois pour des questions plus graves de “partage” des affaires et des rentes.
Le problème ne s’arrête pas à des questions internes à la gestion de l’APC. Il s’étend souvent pour affecter les relations avec la daïra et les services de la wilaya ; autrement dit, l’ossature administrative locale.
Un chef de daïra s’est, par exemple, permis d’empiéter d’une façon flagrante sur les prérogatives du président de l’APC en lui enlevant le droit de procéder à la signature des situations de travaux (budget PCD) avant que monsieur le chef de daïra fasse ses propres investigations et procède à la réception des travaux.
Il a même donné des instructions au comptable de la commune de ne procéder à aucune dépense relative aux travaux réalisés sur PCD s’il ne lui ordonne pas expressément.
Ce sont là des abus qui ajoutent un peu plus de confusion dans la gestion des communes, d’autant plus que les prérogatives de chefs de daïra sont connues en la matière. Ce représentant local de l’État n’est nullement habilité à gérer le budget communal et, a fortiori, le plan communal de développement.
Dans un cas de figure où la tension déborde jusqu’à être ressentie par la population-et c’est malheureusement souvent le cas-, le maire fait valoir sa qualité d’élu, choisi par le peuple pour un mandat de cinq ans, par opposition au chef de daïra qui n’a de “légitimité’’ que celle d’une nomination administrative venue d’en haut.
Le positionnement des parties en conflit ne s’arrête pas là puisque, comme nous l’avons constaté sur le terrain de ces malheureuses “guéguerres’’, le chef de daïra essayera d’exploiter les faiblesses du P/APC à commencer par la mobilisation et la manipulation du ou des archs qui n’avaient pas voté pour le maire en question. Là les débordements deviennent pratiquement inévitables.
Logiques manœuvrières
L’on a assisté à des manifestations où des jeunes brûlent les pneus et dressent des barricades sur une route nationale pour dénoncer la gestion jugée clientéliste du maire en matière de recrutement.
Quel recrutement ? Ce ne sont pas des emplois de la commune. Ce sont les entreprises qui viennent s’installer dans la région qui, comme l’exige la loi, vont demander au maire la liste des chômeurs de la commune pour en prendre une partie comme travailleurs généralement non qualifiés.
Car, pour la catégorie des cadres et techniciens, rien n’oblige l’entrepreneur à les recruter localement. Souvent, il les a au niveau de l’entreprisse d’une façon permanente et peuvent avoir une origine très lointaine de la commune où sont exécutés les travaux.
Achour, un demandeur d’emploi qui s’est inscrit à la mairie depuis trois ans, a vu des dizaines de ses camarades recrutés pendant les deux dernières années sur les chantiers d’une carrière et d’une entreprise de travaux routiers. Lui, et une poignée d’autres camarades, continuent à ronger leur frein.
Achour ramène quelques journaux du chef-lieu de wilaya, à 20 km de chez lui, pour les revendre à 13 DA. “Lorsque je comptabilise le transport par fourgon et les journaux invendus, je suis perdant sur toute la ligne.
Mais que veux-tu, je fais semblant de m’occuper. Mes autres camarades meurent à petit feu par la consommation de drogue. 80% de ceux qui ont été avec moi pour faire ces barricades et brûler les pneus ne sont passés à l’acte qu’après avoir passé une veille bien enflammée en joints.
Ce sont certains opposants au maire qui ont payé la facture pour le déstabiliser», révèle-t-il. Ce genre de manœuvres ne sont pas rares. Et ce sont toujours les citoyens administrés qui payent la facture finale.
Dans ce genre de situation où la municipalité et la population qui est censée l’avoir élue jouent au « chat et à la souris » dans une Algérie de 2010 forte de son aisance financière et de son nouveau plan d’investissement quinquennal, certains analystes ne manquent pas de faire valoir la dichotomie, toujours à l’œuvre, entre, d’une part, les potentialités économiques et financière du pays et, d’autre part, une forme de « sous-développement » politique et culturel qui empêche la réalisation d’une fertile jonction entre les populations et la société civile avec les institutions de l’État.
L’étape de développement du pays caractérisée par une transition vers un système censé être plus démocratique et plus soucieux du développement économique commande que les réformes institutionnelles soient à la hauteur des exigences de la société.
Ces réformes, ce sont des textes de loi à revoir de fond en comble (à l’image des différents codes [électoral, communal de wilaya]), des organigrammes à adapter aux structures et à l’exigence de la gestion des ressources humaines et, enfin, des décisions hardies en matière de décentralisation, laquelle décentralisation implique nécessairement un nouveau découpage administratif du pays avec comme toile de fond la schéma national de l’aménagement du territoire.
Amar Naït Messaoud