“Est-ce que vous faites des remises ?», demande un père de famille au vendeur d’un des magasins de friperie de la rue Hassiba-Ben-Bouali. « Non, monsieur, c’est déjà un prix très raisonnable », rétorque-t-il sèchement. Sur ce, Ahmed, quinquagénaire, tête baissée, prit énergiquement la main de son chérubin et quitta les lieux.
Ces scènes sont courantes dans ces lieux qui ne reçoivent que ceux dont les moyens sont dérisoires mais contraints de satisfaire une nombreuse famille
Faute de pouvoir faire face à la cherté de la vie et n’ayant d’autres choix que de satisfaire les besoins d’une progéniture en cette fête de l’Aïd, le citoyen se rue forcement vers ces magasins de friperie qui pullulent dans Alger et ailleurs. Les temps sont difficiles pour les petites bourses qui se rabattent sur les vêtements déjà portés par d’autres personnes à défaut de pouvoir acheter des habits neufs. « Je ne peux même plus acheter du chiffon chinois », se plaint Abdelkader, employé dans une entreprise d’Etat que nous avons surpris en train de fouiller dans un tas de vêtements usés qui dégage une odeur âcre. Le maigre salaire que je perçois me permet à peine d’acheter de quoi manger et payer les frais induits par les besoins quotidiens souffle-t-il timidement en ramassant une longue liquette rouge qu’il rejette instamment. “J’achète souvent ici pour mes enfants au nombre de six à l’occasion de l’Aïd ou de la rentrée scolaire », ajoute-il dépité. S’habiller à petit prix est le défi de nombreuses familles qui ne mangent pas à leur faim. Abderezak, employé comme agent d’entretien a ramené toute sa smala composée de sa femme et ses quatre gosses pour renouveler leur « garde robe » avec des vêtements usagés. « Heureusement qu’il y a la fripe », s’exclame-t-il d’emblée. Avant d’enchaîner, un triste sourire au coin des lèvres: « autrement on serait habillés en haillons ». « Je touche 15 000 dinars par mois. Entre les dépenses quotidiennes pour la nourriture, la scolarité des enfants, les médicaments et les factures, difficile de se permettre des habits neufs. J’ai beau serrer la ceinture, je n’arrive pas à mettre de côté pour se faire », fulmine Abderezak. Signe d’une pauvreté rampante, il arrive qu’entre deux magasins de friperie, on trouve un magasin de friperie. Certains marchés populaires se sont spécialisés dans ce commerce. Les locaux de ces magasins sont bien achalandés: sous-vêtements, lingerie, pulls, pantalons, jupes, robes et même linges de maison et articles de maroquineries. Certains préfèrent le doux euphémisme de « stocks américains » au terme friperie. Des commerçants à l’humour cynique se permettent même d’annoncer sur leurs vitrines “Friperie de luxe”. “Ne croyez pas qu’il n’y a que des pauvres qui viennent acheter la fripe. Je reçois beaucoup de personnes issues de familles aisées mais qui cherchent à acheter des pièces uniques», assure sans convaincre Fethi, jeune vendeur, cheveux gominés, habillé à la façon des danseurs de tectonique. “Nous avons des articles presque neufs de certaines marques célèbres, de haute couture, que les férus de la mode s’arrachent. Dernièrement, j’ai mis de côté une veste Chanel pour une cliente, habituée des lieux», insiste-t-il sans sourciller.
Ferhat Zafane