Les arts du monde / Le conte Un message à la conscience

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Dans une société où il n’y a pas d’école, tout s’apprend au contact des anciens. Les contes révèlent les valeurs chères aux sociétés traditionnelles mais il aide aussi à la recherche de soi et à la construction de la personnalité par le passage difficile de l’enfance à l’âge adulte. Aujourd’hui, le conte est utilisé en psychothérapie pour le développement personnel des enfants en difficultés.

«Les mots sont les alliés de la liberté de la libération. Une société sans littérature, une société sans fiction est déjà morte. Même des cimetières surgissent des contes»

Tahar Ben Jelloun évoque avec ravissement Shéhrazade des Mille et Une Nuit, qui, selon l’écrivain, faisait appel à sa mémoire de femme cultivée pour distraire avec des contes merveilleux et interminables son mari sanguinaire. Pour se sauver de la mort, elle suspend son conte tard dans la nuit pour le poursuivre les nuits suivantes et rendre ainsi à ce dernier, la passion du conte plus forte que celle du meurtre. Ecrivain, poète de langue française, Tahar Ben Jelloun entretient la tradition orale, tresse un fil d’argent entre cette tradition et ses romans empreints de toutes les richesses orales marocaines pour l’accrocher à l’imagination des conteurs d’histoires incroyables comme celle de l’enfant de sable surprenante déroutante, troublante qu’il met dans la bouche d’un conteur qui la relate sur la place Demaa El-Fna, à Marrakech. Fabulations et délires jalonnent le parcours du récit pétri d’insolite et de malédiction, le poète prédit et narre, «L’enfant que tu mettras au monde sera un homme, il s’appellera Ahmed même si c’est une fille ». Sur la place, le conteur relate l’histoire invraisemblable d Ahmed,8e fille d’un couple qui faute d’héritier, décide de l’élever comme un garçon jusqu’à l’âge adulte. Après la mort de ses deux parents, le conteur décide de révéler la vérité au public, divulguer ce terrible secret d’Ahmed, qui, au bord de la folie, redécouvre son corps de femme et plonge dans les fabulations et les divagations de La nuit sacrée. La folie libère la parole, dénonce, dénude et s’affranchit des interdits. Le fou devient alors la voix muette de son peuple et ses douleurs. Ce fou s’exprime à travers la voix du conteur. «Rappelez-vous ! j’ai été un enfant à l’identité trouble et vacillante… ».

Le pouvoir du conteur.

Les auditeurs regroupés en cercle autour du conteur sont tellement absorbés par le déroulement des actions qu’ils en oublient le temps qui passe. Les contes et les conteurs font partie intégrante de la culture populaire. Les contes sont longtemps restés anonymes signifiant par là qu’ils appartiennent à tout le monde. Ils sont considérés comme un aliment d’une sagesse à transmettre ou d’un divertissement à partager, une littérature puisée dans la mémoire, celle qui fixe l’histoire des temps lointains et la transporte tout le long des époques, comme un témoignage vivant d’une culture qui n’en finit pas d’émerveiller dans son éternel renouveau. La littérature orale survit grâce à la mémoire humaine. Ses orateurs font preuve d’une mémoire considérable rendue possible grâce à la poésie, à la structure de la langue et des chants qui l’accompagnent. Le rôle de conteur est réservé aux anciens et aux sages qui maîtrisent la parole ; ce sont des professionnels de l’oralité qui improvisent à chaque fois qu’il est nécessaire pour se renouveler, épater et répondre aux attentes du public. Le conteur est donc un artiste à part entière.

Dans certaines sociétés, l’étranger de passage est reçu avec beaucoup de considération, les habitants l’accueillent comme un roi, il a tous les droits mais il a aussi un devoir, un seul, celui de faire voyager la parole, raconter…C’est ce que fait le conteur partout où il est invité dans un village ou une ville, dans un cercle restreint ou un festival, il colporte des histoires en devenant possesseur et magicien des mots, musicien, acteur, chanteur, poète et ses contes puisés de la tradition, fascinent. Qu’il mette en scènes des animaux qui parlent, des princesses malheureuses ou des héros victorieux, le conteur assure pleinement sa dimension pédagogique et propose des solutions à toutes les difficultés rencontrées.

Le conte kabyle

L’édition du conte sous forme de recueil CD ou jeu théâtral est un filet jeté dans la mémoire, il en restitue quelques éléments, les sauve de l’oubli et les transmet. L’historien Ibn Khaldoun au 14e siècle fut surpris par la quantité et la richesse des contes berbères ; après avoir résumé l’un deux, il écrit : «De semblables récits sont en si grand nombre que si l’on s’était donné la peine de les consigner, on en aurait rempli des volumes». Bien avant les nombreuses publications récentes de contes kabyles, l’américain W. Hodgson, a, en 1829, transcrit en caractères latins des contes qui n’ont jamais été édités. Le père Rivière donna en 1882 une traduction partielle des contes populaires de la Kabylie du Djurdjura». En 1897, Leblanc de Prébois publia quelques contes accompagnés de traduction mais c’est Auguste Mouliéras qui entre 1893 et 1897 faisait paraître 2 gros volumes de textes kabyles sous le titres Légendes et contes merveilleux de la grande Kabylie, textes de qualité et de grande valeur dont Camille Lacoste Dujardin a donné une traduction intégrale en 1965 qui est utilisée comme textes de références dans son étude ethnologique sur le «conte kabyle». Belkacem Bensidéra a publié des fables anciennes dans une prose littéraire, Said Boulifa a composé un ouvrage en prose aussi sur la Kabylie. Belaid Ath Ali a écrit des contes mais aussi des histoires qui tiennent du conte du roman et des révélations sur sa vie. Son ouvrage de 480 pages est entièrement écrit en kabyle. En 1965 les pères blancs ont publié de nombreux contes, Les cahiers ou la Kabylie d’antan dans le fichier de documentation berbère de Fort National que dirigeait le père Jean-Marie Dallet, depuis sa fondation en 1947. Dans Le grain Magique, Marguerite Taos Amrouche a rendu avec art et fidélité les contes kabyles précédés de chants, proverbes et poésie qu’elle a hérité de sa mère Fadma Ath Mansour Amrouche. Mouloud Mammeri, dans Machaho ! Tellem chaho !, formule par laquelle s’ouvre le conte kabyle, offre au public des contes merveilleux «où tous les vœux sont miraculeusement exaucés -comme dans un rêve- ou cruellement déçus -comme dans la réalité». Aujourd’hui, ces contes fabuleux, proches de la vie simple de nos aïeux mais qui parlent à la conscience de nos enfants, sont édités dans la langue même qui les a créés mais ne faudrait-il pas continuer à élargir les investigations pour en recueillir toujours plus, car ceux qui les ont préservés deviennent de plus en plus rares ?

Hadjira Oubachir

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