Portrait Hadi Aouaghlis, chanteur : «La chanson kabyle est minée par une jalousie toxique»

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Après plus de trente ans de scène et une centaine de poèmes chantés, Hadi Aouaghlis a tout pour mériter le surnom de Cheikh qui distingue les maîtres du genre, mais sa timidité et son caractère réservé le maintiennent quelque peu loin des projecteurs. Coiffeur le jour, et rimeur à ses heures, Hadi Aouaghlis vit à Paris depuis 1966. Cependant, l’exil n’a fait que renforcer son attachement à ses racines qui l’ont souvent bercé dans le doux folklore des montagnes, un fort attachement qu’il perpétue avec un art bien consommé où le verbe recherché côtoie des mélodies bien inspirées. De son vécu personnel conjugué avec une observation aiguë des réalités sociales, il puise la matière première de ses poèmes chantés ; ses créations sont emmitouflées des couleurs du pays adoré et ses intonations portent l’accent de colères mélancoliques et de vertueux espoirs d’un lendemain meilleur. Depuis Assa d ldjemâa, album sorti en 1978, jusqu’à Yelli-s u qbayli sorti en 2008, Hadi Aouaghlis est resté ce témoin attentif des mutations de notre société une position qui a jalonné une douzaine de ces albums. Tantôt revendicateur et tantôt dénonciateur, sa musique gicle de son cœur pour envahir d’autres cœurs avec aisance tant les syllabes reflètent une simplicité et une générosité hors pair où se dessinent le respect de l’homme pour son semblable, la vénération de la culture, la jalousie des valeurs et l’amour de la terre des ancêtres. Hadi Aouaghlis a cette qualité rare de nos temps : son œuvre prend une réelle distance avec les intérêts mercantiles, elle est une ode à la beauté du pays kabyle, ses valeurs et ses hommes. Son œuvre est un combat pour que la Kabylie garde son essence productrice de paix et de progrès. Pour ce, il reste le modèle de l’artiste altruiste, de l’homme sociable à souhait, ouvert au débat, à l’échange d’idées et de perspectives. Sur la chanson kabyle, il a un regard sévère : «La chanson qui éclaire a hélas cédé devant les thèmes légers et les rythmes dansants». Cependant, il tient à conseiller le jeune débutant de «prendre contact avec les anciens, de travailler d’arrache-pied chaque jour, le talent se peaufine et la réussite vient plus tard, en privilégiant le texte à la musique qui n’est qu’un habit».

Hadi Aouaghlis a pour modèle deux ténors de la chanson kabyle à savoir ; Aït Menguellet et Akli Yahiatene et avoue que chacun l’a influencé à sa manière. D’ailleurs, il maîtrise le Oud, le mandole et la guitare, ce qui reflète un apprentissage passé au milieu d’une multitude de fréquentations et d’approches. Heureux qu’il soit toujours présent aujourd’hui en Algérie pour chanter parmi les siens auxquels il doit sa survie en tant qu’artiste, il est, néanmoins, triste d’un seul constat : «La chanson kabyle est minée par une jalousie toxique !», regrette-t-il amerement.

T. D.

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