Entretien Aomar Iddir, auteur du roman Le bout du tunnel : «La pauvreté n’est pas une fatalité»

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Le romancier Aomar Iddir, originaire du village Aguemoune, dans l’ex-Fort national (actuelle Larbaa Nath Irathen) a su trouver les mots justes afin de dépeindre la période coloniale telle que vécue par un enfant, le personnage clé de son roman. Dans un style narratif, l’auteur a su relater, avec un maximum de réalité de crédibilité et de fidélité ce que fut la vie quotidienne de tout un peuple et des enfants de l’indigence. Des enfants lésés et démunis mais qui ont montré que finalement la pauvreté et la misère n’étaient pas des fatalités, bien au contraire, que cela pouvait constituer une source d’énergie intarissable pour atteindre le bout du tunnel. Aomar Iddir, un homme modeste, un intellectuel avéré et un écrivain révolté a bien voulu accorder à la Dépêche de Kabylie un entretien exclusif.

La Dépêche de Kabylie : Vous n’êtes qu’à votre premier livre alors que vous êtes en âge de prendre votre retraite. Pourquoi ?

Aomar Iddir : Exact. Ma vie durant, je me suis entièrement donné à ma fonction d’ingénieur. Ma carrière professionnelle et ma petite famille ont pris tout mon temps. Pourtant, l’envie d’écrire et de raconter ce que mes compatriotes, mes collègues et moi-même avions enduré pendant la sinistre période coloniale était en moi et devenait latente au fil du temps. Je pense qu’à travers ce roman, j’ai pu replonger dans mon enfance pour revisiter toutes les choses, gaies ou tristes, qui m’avaient tant marqué. D’ailleurs, je pense poursuivre cette « visite guidée » pour aller fouiner, à travers mon prochain roman, tous les coins et recoins de mon adolescence. Je ne songe donc pas m’arrêter à ce premier roman, car il s’agit là d’une passion et non d’un métier. A mon avis, on peut cesser une activité professionnelle en arrivant à la retraite, mais on ne peut pas se dérober à une passion. Elle ne s’acquiert pas par des apprentissages pour qu’on s’en débarrasse un jour, après en avoir trop usé. Elle est en chacun de nous, solidement accrochée si bien qu’il nous est impossible de nous en défaire. Pourvu que Dieu nous prête les moyens et les facultés nécessaires pour nous en servir.

Parlez-nous un peu de la thématique de votre œuvre.

Les événements de ce livre sont véridiques. C’est l’histoire de mon enfance et celle de mes camarades du village. Avec minutie et attention, j’ai essayé de revisiter mon enfance. L’injustice, la misère et les atrocités de la guerre étaient monnaie courante à cette époque-là. La pauvreté et l’indigence étaient le dénominateur commun. A l’exception des colons et de quelques privilégiés de l’administration coloniale qui vivaient dans l’aisance, tout le reste était jeté en pâture à la privation. A travers ce livre, j’ai voulu prouver que la pauvreté n’était pas une prédestination. Par le travail, la persévérance et le courage, la misère peut reculer. Nos parents avaient toujours choisi de retrousser les manches plutôt que de resserrer la ceinture. Ils ne perdaient pas de vue, j’allais dire, le bout du tunnel.

Quels sont les écrivains qui vous ont marqué ?

Ma révérence et ma préférence vont aux géants de la littérature française, Zola, Hugo et autres non moins prestigieux. J’ai également lu les pionniers de la littérature algérienne, sans lesquels je ne serais peut-être pas venu à l’écriture. Messieurs Mammeri et Feraoun, entre autres, m’ont fasciné. Par leur travail émérite, ces hommes de lettres, avaient réussi à émerger du lot pour éclairer les lanternes, trop longtemps obscurcies, de leurs concitoyens. Je les trouve simplement sublimes et courageux. Parvenir à écrire dans un contexte de misère et de tyrannie, défiant la peur permanente d’être persécutés par les colons, auxquels ils faisaient trop peur, relevait d’une prouesse incommensurable. De plus, ces valeureux écrivains devaient braver également moult tabous qui ankylosaient toute pratique d’art. Ainsi, l’ignorance qui régnait, en ces temps-là avait fait que même leurs propres frères devenaient des obstacles.

Que pensez-vous de l’écriture et de la lecture de nos jours.

Le constat est amer. Les écrivains se font de plus en plus rares. Le lectorat n’est plus ce qu’il était. La régression est une triste réalité. Les librairies et les bibliothèques ont fermé l’une après l’autre et ont laissé le champ libre aux cafétérias, fast-foods et autres commerces nullement indispensables. Du coup, les valeurs ont changé les repères largement décalés. Le matérialisme a pris une place au soleil et les fléaux sociaux foisonnent et minent la société. Ce qui n’augure rien de réjouissant, raison pour laquelle il devient urgent de combattre cet état des lieux. Quant à la lecture électronique, je pense qu’elle est virtuelle dans tous les sens du terme. Personnellement, je n’arrive pas à lire sur écran, comme je le fais sur un livre. L’écran est immatériel et me semble sans âme. Le livre, par contre, est plus présent, plus palpable. On peut le toucher, le sentir et l’affectionner. Il nous accompagne partout où nous allons, comme un ami fidèle.

Avez-vous un message pour les jeunes et les décideurs ?

J’espère d’abord que Le bout du tunnel, qui est sur les rayons des librairies, trouvera, auprès des lecteurs, un écho favorable, à sa juste valeur et surtout à son juste sens. Les plus âgés y retrouveront certainement leurs souvenirs d’enfance et les générations montantes découvriront ce que fut la vraie vie de leurs parents et de leurs grands-parents. Quant à ceux qui ont le pouvoir de décision, je me contenterais de leur rappeler que ce peuple mérite tout le bien du monde. Notre peuple qui a tout donné pour reconquérir son indépendance et l’intégrité de son territoire, mérite plus d’égard, de respect et d’attention. Avant de terminer, je tiens à remercier votre quotidien pour m’avoir donné l’occasion de m’exprimer ainsi que pour le travail qu’il accomplit en vue de donner une meilleure dimension à la culture et à la littérature algérienne.

Hocine Taib

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