Akfadou : Les derniers bergers

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Sur les hauteurs de la commune d’Akfadou, située à 60 km au sud-ouest de la ville de Béjaïa, des bergers continuent d’élever des vaches, des brebis et des chèvres. C’est une tradition ancestrale qui existe depuis la nuit des temps. C’est aussi une histoire d’amour fabuleuse entre l’homme et les animaux.

Située à plus de 1 000 mètres d’altitude, la commune d’Akfadou est une région montagneuse d’une beauté paradisiaque. Entre deux montagnes, 14 villages sont construits sur des collines. La nuit, la lumière des maisons et des lampadaires offre, un très beau spectacle à voir, à savourer sans cesse. On dirait un immense bijou berbère lumineux.

Ce petit patelin est tout près de la fameuse forêt d’Akfadou, frontalière de la wilaya de Tizi-ouzou. Le matin, quand il fait beau, on arrive à voir, à l’horizon, la montagne de Yemma Gouraya et quelques bateaux qui sont à peine perceptibles.

On a l’impression de tout dominer et d’être sur un nuage. Cependant, cette belle bourgade est aussi une région enclavée qui peine à avoir même les choses les plus élémentaires. L’élevage des ovins et des bovins permet à beaucoup de villageois de vivre, ou plutôt de survivre. Le métier de berger paraît immuable, tant sa présence dans la montagne imprègne nos souvenirs et notre imaginaire. L’activité des bergers révèle le savoir ancestral des hommes, leurs relations spécifiques avec l’animal dans l’espace montagnard. Ce savoir concerne les éleveurs qui ont besoin de l’estive. Il concerne aussi la société toute entière dans son usage de la montagne, avec ses équilibres sociaux et écologiques à préserver. Dans les estives de Kabylie, comme dans d’autres montagnes du pays, l’évolution de l’activité agricole, la transformation des familles et les changements des attentes des jeunes ont mis en péril la transmission du métier entre les générations.

Une telle évolution risque de faire rapidement disparaître une activité dont l’enjeu n’est pas seulement agricole mais concerne plus généralement le rapport de l’homme à la montagne. En conséquence, les éleveurs ont souvent du mal à trouver une main-d’œuvre qualifiée pour la montée en estive. Moins surveillés, les troupeaux sont de plus en plus fréquemment confrontés à des problèmes sanitaires ou autres.

Le berger Algérien ne peut pas vivre à la marge des problèmes multidimensionnels qu’il subit et ne peut guère tourner le dos aux changements sociaux.

Kaci, licencié en sociologie : profession, berger !

Contrairement aux régions du centre, où les éleveurs d’ovins possèdent des centaines de têtes, dans la commune d’Akfadou et un peu partout en Kabylie, les bergers n’ont que quelques dizaines de bêtes. La spécifié des régions montagneuses oblige la limitation des brebis. Les villageois ne disposent pas de grands terrains ou de vastes espaces d’estive (pâturage). Tôt le matin, les bergers quittent le village et parcourent une dizaine de kilomètres avant d’arriver au pied de la montagne.

C’est ces espaces qui permettent aux villageois de s’attacher encore à l’élevage des animaux dans une région où la nature est très rude hiver comme été.

Ceux qui pratiquent le métier ancestral sont de vieilles personnes, souvent des retraités qui profitent, à leur manière, de leurs dernières années à vivre, mais aussi des jeunes qui n’ont pas d’autres alternatives. Même si on a tendance à dire que le jeune algérien est contre le travail agricole, la réalité ne confirme pas ces constats.

Contre vents et marées, des jeunes investissent dans l’agriculture pour vivre. C’est le cas de Kaci, un jeune licencié en sociologie, diplômé de l’université d’Alger en 2002. Après avoir frappé à toutes les portes afin de trouver un boulot dans son domaine, il décide de se prendre en charge lui-même. Depuis, plus de trois ans, il est berger.

C’est l’ultime voie qui lui reste pour sauver sa dignité dans un pays très difficile à vivre. Comme ses confrères, il passe toute la journée dans la montagne où se nourrissent et s’abreuvent ses bêtes. Kaci possède 20 brebis et 10 chèvres. En compagnie de son chien, Batou, il s’adonne, avec passion à son métier, tout en savourant la nature. A midi, il retrouve ses amis pour manger et discuter de tout et de rien, car la solitude dans ces lieux est insupportable. Au coucher du soleil, les bergers reviennent au village pour perpétuer un métier qui existe depuis des millénaires. Les villageois profitent de la saison chaude et de l’automne pour faire sortir leurs animaux, car dès l’avènement de l’hiver, les pluies diluviennes et la neige vont les contraindre à garder leurs bêtes chez eux. Ainsi se perpétue l’incommensurable cycle de vie de ces montagnards.

Du fromage de chèvre, oui mais juste pour garnir les tables

Dans la commune d’Akfadou, les paysans ne produisent pas le fromage pour un but commercial, mais ils le font en petite quantité juste pour le plaisir de le faire et surtout pour garnir leur table ou celle de leurs proches. Une fois la traite des chèvres terminée, il faut filtrer le lait recueilli afin de ne pas retenir les impuretés. Chaque soir, le lait de la veille est mélangé à celui du matin dans une marmite en cuivre. Le tout sera chauffé doucement à 30&deg,; afin de le faire cailler en y rajoutant quelques gouttes de présure ; ferment issu de la caillette des agneaux. Lorsque le lait est suffisamment caillé une épaisse pellicule de crème se forme à la surface du chaudron. Il faut alors le découper en grains avec un  » tranche caillé « . Ce caillé ainsi découpé va être délicatement brassé à la main et réchauffé jusqu’à 38°.

En pétrissant ce caillé écrasant les grains entre les doigts, sculptant une pâte, qui une fois prête, sera tranchée puis pressée dans un moule afin de lui donner sa forme définitive. C’est ainsi qu’on obtient un délicieux fromage de chèvre, bien de chez-nous, qu’on ne peut pas, malheureusement, trouver chez les épiciers ni dans les marchés de la région.

Garder les troupeaux dans les régions montagneuses : une activité en déclin

Les bergers de la commune d’Akfadou sont très pessimistes quant à l’avenir de leur métier.

C’est du moins ce qu’on a constaté lors de notre virée dans ces endroits envoûtants. Pour eux, les pouvoirs publics ne font presque rien pour les aider à perpétuer cette activité ancestrale. « J’ai 55 ans et je suis berger depuis mon très jeune âge. J’arrive très mal à gagner ma vie. Mes enfants ne veulent pas mener une vie de misère comme moi, ils veulent tenter leur chance dans d’autres secteurs. C’est vraiment dommage », nous dit Dda Mohand Ameziane, un berger de la région. Pour sa part, le jeune Kaci, l’universitaire reconverti à l’élevage des brebis, pense que le métier de berger peut avoir un avenir meilleur si on arrive à le valoriser d’avantage. « Avec mes 30 bêtes, je gagne ma vie mieux que certains fonctionnaires. Ce n’est pas un travail facile, mais c’est un boulot comme tous les autres. Je pense qu’il faut juste encourager les jeunes avec des prêts bancaires et autres privilèges pour qu’ils investissent dans ce genre de secteur. Je suis persuadé que l’agriculture et l’élevage peuvent beaucoup apporter à l’économie locale et nationale, si on arrive à mettre ce qu’il faut là où il faut », estime le jeune berger.

Garder des brebis, des chèvres ou des vaches dans les régions montagneuses est une activité qui a tendance à disparaître. Si on n’œuvre pas dans le sens d’une bonne prise en charge de ce domaine, si particulier, c’est tout un savoir-faire ancestral qui partira en fumée.

Ali Remzi

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