Jeune fille fatale

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1ère partie

«Amachahou rebbi ats iselhou Ats ighzif anechth ousarou» (Ecoutez, que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil).

Un vieux dicton de chez nous dit, que les hommes peuvent s’entretuer pour deux choses : l’argent et les femmes. Dans le conte qui va suivre, il ne sera pas question d’argent, mais de femmes. Pour la possession d’une seule femme, un village a été décimé et des frères se sont entretués jusqu’au dernier pour la posséder. Voyons pourquoi en remontant à la genèse des faits. Jadis, comme d’ailleurs maintenant dans certaines contrées montagneuses ou arides, les femmes chargées de la marmite quotidienne, ramassent du bois mort en forêt ou dans les champs. C’était le seul combustible existant à l’époque. La marmite doit bouillir, quelle que soit la saison. Les ventres affamés doivent manger même les racines ou les plantes sauvages, quand l’orge ou le blé commence à manquer. C’est ainsi qu’une femme enceinte imprévoyante, car d’habitude il existe toujours quelques réserves de bois, que ce soit en hiver ou en été bien qui sur le point d’accoucher s’étant aperçue qu’elle n’avait plus une brindille, elle se rend dans la forêt pour ramasser un fagot de bois. En entrant dans la forêt, elle voit déferler sur elle un troupeau de vaches et de taureaux. Paniqué à l’idée de se faire écraser, elle accouche d’une petite fille aussitôt. Sans presque même se rendre compte. Elle prend ses jambes à son cou. Revenant chez elle, elle informe de son infortune son mari : vouée à une mort certaine, la petite fille eut la chance de sa vie. Après s’être défoulé, le troupeau se repose près d’un chêne-liège où se trouvait la petite fille, qui se trouvant près d’une vache, instinctivement, elle trouve le pis et se met à le téter. La vache ne la rejette pas. Elle lui donne son lait et l’adopte, comme si c’était son veau. En quelques mois la fille grandit. Malgré qu’elle était humaine, elle n’apprend pas à parler, mais apprend à beugler comme tout le reste du troupeau. A la même époque sept frères chasseurs de leur état se sont perdus dans la forêt inextricable, pareille à une jungle. Incapables de trouver leur chemin de retour, ils errent dans la forêt durant des jours, au point que leurs vêtements faits de peaux de bêtes étaient en lambeaux. Un jour, ils tuent un bœuf sauvage et allument un feu pour pouvoir le déguster. Après s’être rassasiés, ils voient soudain passer devant eux un troupeau de vaches, suivi d’une jeune fille qui porte pour seul habit, ses longs cheveux noirs de jais qui lui cachent la poitrine et la croupe. En passant devant les sept jeunes chasseurs qui lui ressemblent un peu par leur stature, elle marque un temps d’arrêt et les regarde ébahie. Elle n’a jamais vu un homme de sa vie. Les sept chasseurs se précipitent sur elle, avant qu’elle ne s’éloigne et la maîtrisent. Ils l’amènent prisonnière dans leur refuge, où ils lui donnent de la viande à manger. Elle trouve cela bon et en redemande jusqu’à ne plus avoir faim. Ils essayent de lui parler à tour de rôle, mais n’arrivent à obtenir d’elle, que des beuglements impossibles à décoder.Pour ne pas la relâcher et retourner vers le troupeau de vaches, ils lui construisent une hutte en branchages, lui ramènent de l’eau pour se laver. Débarrassée de sa gangue de bouse, la fille était resplendissante de beauté. Chacun des sept frères lorgnait vers elle avec envie. Très convoitée, on l’habille d’une peau de vache, qui ne laisse plus apparaître, que le cou, les mains et les pieds.Après avoir tourné en rond plusieurs jours dans la forêt, les sept frères arrivent en suivant par hasard, l’endroit d’où se lève le soleil pour se frayer un chemin. Par chance, ils débouchent dans un hameau (Thad arth) situé à la lisière de la forêt. Arrivés sur la place du village “Thajamaât” (agora) ils sont entourés d’hommes et de femmes, intrigués par leur accoutrement et, surtout par la présence de la belle jeune fille. Pressé de question l’aîné des sept frères avoue s’être perdu, lui et ses frères dans l’inextricable forêt.A propos de la fille, il leur dit qu’elle n’est pas leur sœur, mais que c’est une fille, qu’ils ont arrachée à un troupeau de vaches qui l’avaient élevée et adoptée depuis des années.La femme qui avait donné la vie à la petite fille dans la forêt que le remords rongeait depuis des années, fait aussitôt le rapprochement avec le troupeau de vaches et déclare devant l’assistance ahurie : “Thaqchichthe agi d’-illi !(Cette fille est ma fille) ! Je l’ai abandonnée dans la forêt, je croyais qu’elle a été écrasée par les sabots de vaches, mais Dieu l’a épargnée ! Je la réclame aujourd’hui !”Elle se rapproche de la fille, qui ne fait que beugler comme une génisse. La femme la serre contre elle, et pleure à fendre l’âme. Les pleurs du cœur ne mentent pas, plus de doute, c’est bel et bien sa fille, d’ailleurs, elle lui ressemble trait pour trait.Pour le rendre humaine, et lui apprendre à parler les sept frères accompagnés de la mère de la fille et de quelques proches se rendent chez “ Amghar azemni” (Le vieux sage) que tout le monde sollicite dans les moments difficiles, et qui a réponse à tout.

Idir Lounés (A suivre)

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