Les arts du monde : Poésie de résistance au féminin

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Si la guerre est perçue comme le monopole des hommes uniquement, l’implication qu’elle soit active ou passive des femmes dans les conflits armés n’est pas à démontrer. L’histoire prouve qu’à travers les âges, les femmes ont aussi joué un rôle dans ce domaine réservé par la tradition aux hommes à cause des coutumes qui inculquent aux garçons, dès leur jeune âge, le culte de la guerre, perçu comme un geste valorisant et glorieux.

Pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie, les femmes prirent une part active au combat, parmi elles des poétesses, écrivaines, artistes peintres.

«Se vouloir libre, c’est aussi voir les autres libres», écrit Simone de Beauvoir, cette grande dame de lettres qui s’est opposée de toutes ses forces et ses écrits à la politique française et exprimé son désarroi d’être citoyenne d’un pays qui pratiquait la torture sur les hommes et les femmes d’Algérie, qui luttaient pour leur indépendance. Dans ses «mémoires, la force tranquille», elle parle de son soutien au mouvement de l’indépendance et s’engage avec son compagnon, Jean Paul Sartre, aux cotés du peuple algérien en guerre.

Des femmes pour ne citer que Zhor Zerari, Anna Gréki, Djamila Amrane Minne, Nadia guendouz, ont rejoint le mouvement nationaliste dès le début de la guerre pour participer aux actions armées au cœur du combat.

Anna gréki de son vrai nom Colette Anna Grégoire est née dans les Aurès en 1931. Elle est l’une des premières poétesses à avoir pris la parole : les libres mots justes, ceux qui dénoncent avec des élans de grâce, de tendresse obstinée parfois d’espoir, sans pour autant perdre de vue les atrocités de la guerre pour laquelle elle dédie sa jeunesse

«Je dis ce que je vois

Ce que je sais

Ce qui est vrai»

………………

«L’avenir est pour bientôt

L’avenir est pour demain

L’engagement militant d’Anna Gréki, est attachant, semé profondément dans la terre natale

«Je suis ensemencée de notre terre ». Puis vient le cri de douleur qui secoue le rêve et dévoile l’horreur. L’injustice s’éternise et fait des victimes ; l’amour se dilue dans la tourmente et le poème se fait colère, «je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur».

La poétesse quitte Paris où elle faisait des études de lettres pour participer à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Militante du parti communiste, elle est arrêtée et internée en 1957 à la prison de Barberousse d’Alger, puis transférée en 1958 au camp de Béni Messous avant d’être expulsée d’Algérie.

«Ils m’ont dit des paroles à rentrer sous terre

Mais je n’en tairai rien car il y’a mieux à faire

Que de fermer les yeux quand on ouvre son ventre.»

A Tunis où elle rejoint son mari, elle publie son premier recueil «Algérie, capitale Alger» et rentre en Algérie en 1962. Elle enseigne au lycée Emir Abdelkader. «Temps forts» parait en 1966 aux éditions «présence africaine». La guerre finie, les plaies restent ouvertes, le vide béant a trop de voix pour apprendre à se taire,

«Je pense aux amis qui furent assassinés

A cause de l’amour qu’ils savaient prodiguer».

Anna Gréki est morte en couches le 6 janvier 1966 en laissant un recueil et un roman inachevés.

«Pendant la révolution nous vivions au futur»

Zhor Zerari, journaliste, poétesse, écrivaine, est la conscience réfléchie de son époque qui n’a jamais cessé d’être partisane des nobles causes, malgré toutes les épreuves qu’elle a traversées. Elle s’engage activement à 19 ans dans le combat pour la libération de sa patrie afin de mener une action concrète contre l’occupation. Issue d’une famille de révolutionnaires, son père était militant au PPA-MTLD, elle ne se consolera jamais de sa disparition. C’était son repère, son symbole de résistance et de bravoure.

Femme courageuse, femme exemplaire, arrêtée, jugée, torturée, les épreuves qu’elle a subies ne purent jamais venir à bout de son incroyable volonté et sa détermination pour la libération à laquelle elle croit profondément, «pendant la révolution, nous vivions au futur», écrit-elle. Au fin fond des 7 prisons qu’elle a connues, de Barberousse à El-Harrach puis Toulon, Pau, Bordeux et Rennes où elle est libérée en 62, elle écrit ces vers profondément tristes :

«Qu’importe le retour

Si mon père n’est pas sur le quai

De la gare».

Zhor Zerari transportait des bombes et des armes à travers les rues d’Alger et les quartiers populaires, en traversant parfois des barrages de militaires, lourde de sa charge mais légère de convictions.

A travers ses poèmes «poèmes de prison», à valeur de témoignage, parus en 1963 dans «espoir et parole», s’exprime l’expérience de la prison avec son chapelet d’épreuves difficiles pour elle à évoquer, mais la révolte et l’amour de la liberté l’espoir de voir un jour des horizons illimités rejoindre le rêve, consolent même dans la nuit des cachots.… Les mots et les images permettent d’échapper de l’univers carcéral :

Au loin

Un train siffle

Un appel déchirant

Dans la nuit

Il siffle, il siffle

Aux voyages

Aux grands espaces

Dans un mouvement de douleur et d’isolement se dessine l’abime pour la fille de 20 ans, ivre de liberté des grands espaces et d’un pays en paix … l’âme s’en va suivre le train des illusions, tandis que la dure réalité contrarie le rêve :

Mes rêves fous

Se cognent aux barreaux

Se blessent pour retomber

Pantelants dans ma cellule

Le train est déjà loin…»

L’indépendance acquise, passés les moments d’euphories et de promesses trahies, la poétesse combattante, qui ne regrette pas son sacrifice, garde en elle une profonde amertume, celle du désenchantement dû à la désillusion, face aux promesses d’un monde meilleur non réalisé : «nous rêvions de faire de l’Algérie le plus beau jardin du monde mais en plus des séquelles de la torture il y a celles de la désillusion».

Hadjira Oubachir

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