La Dépêche de Kabylie: Qui est M. Boubekeur Dissi?
Boubekeur Dissi : Qui suis-je… Aïe ! Moi qui me croyais lune, pour reprendre la belle chanson du grand Chérif Khedam « hesbegh iman-iw d agur», et vlan ! Voilà que le trac prend son artiste qui ne sait plus par où commencer en parlant de sa propre personne. (Rires) Que dire de Dissi Boubekeur, de ce technicien de l’habitat, j’allais dire du mot ; comment présenter ce poète d’expression aussi bien kabyle que française, cet El-Kseurois né un certain novembre 1955 qui, heureux hasard, se voit couronner un autre novembre…2010 celui-là par la parution de Tizmilin Tizawanin aux Editions du coquelicot.
Combien d’ouvrages avez-vous édités ?
J’ai à mon actif trois recueils de poésie. Le premier : Poèmes volume I & II, aux Éditions Publibook, le deuxième Tighri n tasa, aux Editions Tira, Bgayet. Le troisième, Lien logique, aux Editions Edilivre
Comment s’est fait le passage de la poésie vers le roman ?
Tizmilin Tizawanin est en effet mon premier roman amazigh. Voilà pourquoi j’ai parlé de couronnement. C’est dire que passer de l’oral à l’écrit n’est pas chose aisée. Mais en alliant le plaisir de l’inspiration à la volonté de bien faire, on ne peut qu’aimer et savourer la chose. Celle d’aller de l’avant, d’apporter un plus, de contribuer un tant soit peu au progrès de sa langue, à l’épanouissement de sa culture. Ma fierté est encore plus grande de par la version en Tifinagh qui est également prévue par les Editions du coquelicot. Je saisis donc l’occasion pour saluer ici même M. Nedjahi Messaoud et à travers son aimable personne, les membres de l’association Tarwa n Tanit. En attendant la parution de Tizmilin tizawanin en Algérie vers Janvier 2011, ceux et celles qui veulent se le procurer peuvent justement contacter cette association.
Comment cette idée d’écrire vous est-elle venue ?
L’idée de passer à la prose m’était venue comme ça, par pur hasard, alors que je me préparais à participer au 7e festival de poésie d’Adrar n fad, commune d’Aït Smail, gens d’une grande hospitalité auxquels j’envoie ici même, au passage, un ahmayan azul. Je m’étais dit qu’il est temps pour moi de faire un effort en apportant un nouveau souffle à ma propre langue. Ne plus se cramponner aux conventions de la versification, autrement dit passer à la vitesse supérieure. Chose dont les jurys n’ont pas par ailleurs manqué de parler. Donc, de l’idée au déclic, je me suis retrouvé plonger dans la rédaction. J’ai pu alors composer un poème en prose intitulé Tizmilin tizawanin, avec lequel j’ai participé à cette édition de 2009 dédiée à Dda Lmulud n At Mεemmer. Et comme l’appétit vient en mangeant… l’ivresse des mots aidant, tout en lui gardant son titre, je n’arrêtais pas depuis de l’agrandir en le touchant et retouchant par-ci, par-là. C’est ainsi que ce poème est devenu ce roman où se mêle fabuleusement le fabuleux à la réalité synonyme de beauté terre-à-terre. Un ouvrage où se rencontrent plantes, oiseaux, animaux pour causer en toute humilité leur existence, leur nature. Tel ce cher coquelicot qui a causé la panique à tous ses amis les plants qui le croyaient mort noyé pendant qu’il était chez la roquette, la voyante du pays…. Ou encore le cloporte qui se marre avec la puce de leurs amies les mangeuses de mâles, l’araignée et la mante religieuse…Que dire aussi du beau fiancé hibou qui, tombant de sommeil, tombe réellement au pays du rêve qui n’a aucune frontière avec le cauchemar. Le pauvre, sa joie de vivre à côté de sa belle fiancée hibou, s’est vite transformée en une crise d’angoisse causée par la soudaine incompréhensible disparition de sa femelle. Le malheureux mâle entend alors son cœur battre comme le cœur d’une gazelle que poursuit un 4×4… En somme, Tizmilin tizawanin est un monde où les différents mondes se trouvent heureux de se retrouver dans ce lieu communément appelé lexla, c’est-à-dire le vide, alors qu’il est particulièrement plein de vie. Une vie où il fait bon vivre, par-dessus le marché.
Garni de proverbes, de citations et autres awanin se veut avant tout un hommage à la nature, et pour cause ! Même en se rendant compte du grand mal qu’est la pollution avec laquelle il détruit l’environnement, l’homme ne veut point se racheter, ou du moins s’il le fait, pas assez. Reste le monde humain, le nôtre, l’histoire tourne évidemment autour des problèmes que rencontre notre société tels entre autres, les tabous qui nous empêchent d’être réalistes, d’être nous-mêmes, de fermer les yeux et d’avancer sans crainte vers plus d’ouverture. Unique voie qui mène à la fraternité. Et sans fraternité convenez avec moi, on peut tout avoir, sauf la prospérité.
Quels sont vos projets d’avenir dans le domaine de la littérature particulièrement amazighe?
Mon plaisir réside dans ce fait d’écrire, d’écrire et encore d’écrire. En ce moment, en plus d’être sur un projet de contes en tamazight, je suis également sur un recueil de blagues bien de chez nous.
Que pensez-vous de l’édition en Tamazight en Algérie ?
L’édition en tamazight étant à ses premiers pas, la seule chose que je puisse dire, c’est de l’encourager. D’ailleurs, comme l’a si bien dit M. Youcef Zirem dans sa préface, «il nous faut changer notre regard…». Il est vrai que la chose est tel un nouveau né dont chacun de nous se doit par conséquent de prendre soin. Chaque pas ses acquis, chaque acquis ses détracteurs, il ne doit pas nous échapper qu’il ne revient qu’à nous les Imazighen, au-delà de toute autre considération, de donner à Tamazight la place qu’elle mérite.
Votre dernier mot de l’entretien?
Ce n’est pas le dernier mot, mais c’est un début pour d’autres rencontres avec vous et les lecteurs de la Dépêche de Kabylie. Tanemmirth.
Entretien réalisé par Amar Ouramdane