Niveau de vie et marché du travail / Les heures incertaines de l’emploi

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L’impact social des augmentations salariales consenties par le gouvernement depuis 2008 ne semble pas avoir une présence remarquable, dans la vie de chaque jour. La Tripartite de l’année dernière a même relevé le salaire minimum garanti à 15 000 dinars. Si l’impact sur le pouvoir d’achat demeure incertain, cela confirme au moins la thèse que le niveau de vie n’est pas exclusivement lié au niveau des salaires.

Pour que les augmentations salariales aient leur efficacité en termes de pouvoir d’achat, elles sont censées être issues d’un surcroît de production et surtout d’un rehaussement significatif de la productivité du travail (calculée sur la base du volume de production réalisé en une unité de temps donnée). Les conditions objectives d’une revalorisation des salaires étant peu présentes dans la phase actuelle de notre économie, il est fait, par conséquent, un appel d’air au phénomène d’inflation. Ce dernier aura phagocyté en quelques mois les menues augmentations acquises au prix de protestations et de grèves.

Le taux officiel d’inflation jusqu’au mois de juin 2010 était de 5,4 %, avec un record pour les produits alimentaires évoluant à un rythme de 6,46 % par rapport à l’année dernière. En novembre dernier, l’inflation a reculé légèrement pour se situer à 4,5 %. Les produits qui ont subi une forte inflation sont ceux majoritairement importés. La fragilité de la position de l’Algérie dans le domaine des produits alimentaires est intimement liée aux performances peu compétitives de notre agriculture et au balbutiement à peine perceptible du secteur de l’agroalimentaire.

À ce hiatus entre les gains salariaux et le marché de la consommation- autrement dit, l’équation du pouvoir d’achat-, se greffent des réalités peu flatteuses dans les données relatives à l’accès au travail. L’Office national des statistiques a publié au début de l’année 2010 des statistiques relatives au monde du travail et, sur la base d’une enquête portant sur un échantillon de 15 000 ménages, les tendances lourdes en matière d’occupation et de la branche d’activité. Le travail d’enquête a été réalisé en octobre 2009. L’ONS donne les chiffres suivants : sur une population de 36 millions d’habitants, la population active compte 10, 544 millions de personnes. Pour éviter les amalgames, il y a lieu de souligner tout de suite que  » population active  » ne signifie pas population qui travaille. Ce concept des sciences économiques signifie  » population en âge de travailler « , soit approximativement la tranche d’âge de 18 à 60 ans, les deux sexes confondus. La population active occupée est, quant à elle, estimée à 9,472 millions de personnes. Le taux de chômage de la population active s’établit à 10,2 %. Il y a lieu de faire une observation relative au phénomène du chômage. Pour situer le chômage dans sa réalité démographique et dans les catégories professionnelles qu’il affecte, l’on doit se référer par exemple à l’observation du directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, qui, lors de sa visite en Algérie en novembre dernier, a fait remarquer que le chômage en Algérie, malgré la ‘’modestie’’ de son chiffre global (soit 10,2%), touche 25 % de la jeunesse algérienne. Ensuite, le phénomène du chômage en Algérie comporte une spécificité établie par des études économiques et des analyses sociales réalisées par des institutions officielles algériennes, mais aussi par des organismes internationaux. En effet, le chômage dans notre pays est principalement généré par un énorme déficit de qualification. Ce phénomène a été particulièrement mis à nu depuis l’ouverture de notre économie sur le marché et l’entreprise privée. Des entreprises se plaignent de ne pas pouvoir dénicher sur le marché du travail des détenteurs de métiers d’exécution, des ouvriers spécialisés, des contremaîtres,…

Évolution des métiers et précarisation de l’emploi

Au cours de ces dernières années, la répartition de l’emploi a subi dans notre pays une évolution importante qui fait que le secteur privé détient actuellement la palme avec 6,236 millions d’employés. Ainsi, deux personnes sur trois exercent dans le secteur privé. Dans la répartition par sexe, 68 % des hommes travaillent chez le privé tandis que 50,5 % de femmes travaillent dans le secteur public.

S’agissant de la nature des activités exercées, la structure de l’emploi montre que le secteur tertiaire (services, administration, commerce) emploie 56,1 % de la main-d’œuvre, le secteur  » bâtiment- travaux publics (BTP)  » emploie 18,1 %, l’agriculture 13,1 % et l’industrie 12,6 %.

Outre ce nouveau tableau qui caractérise la répartition des grandes catégories de métiers, l’emploi se caractérise aussi par la durabilité qui lui est assignée. Ainsi, sur l’ensemble de la population occupée, seules 33,1 % personnes possèdent des emplois permanents. 50 % des demandeurs d’emploi ne trouvent jamais d’emploi. Pour 531 000 demandeurs d’emploi, le temps qu’il a fallu pour dégoter un poste d’emploi dépasse deux années. De plus, la répartition du chômage selon l’âge des personnes touchées par ce phénomène donne un taux de 73,4% (soit trois personnes sur quatre) pour la tranche d’âge de moins de 30 ans, et un taux de 86,7 % pour les moins de 35 ans. Sachant que l’absorption du chômage ne peut résulter que d’une politique offensive d’investissement, le Conseil national économique et social a estimé qu’il faut une croissance d’environ 8 % du produit intérieur brut (PIB) étalée sur plusieurs années pour espérer éponger une partie du chômage sévissant chez les jeunes. Si les emplois permanents actuels ne représentent qu’un tiers de tous les emplois existants, cela signifie que la précarité a gagné fortement le monde du travail et que la tendance à la création d’emplois ne s’affirme pas encore avec netteté. Les grands chantiers des infrastructures et équipements publics ne créent pas d’emplois stables dans le présent. Ce n’est qu’une fois qu’ils deviendront opérationnels qu’ils pourront encourager et charrier des investissements (PME/PMI) créateurs d’emplois stables. Cela, sous réserve que les autres facteurs (administration, foncier, fiscalité banques,… ) jouent le jeu et contribuent à asseoir un tissu d’entreprises privées algériennes et étrangères.

Une multitude de thème liées à la problématique de l’emploi et de la formation ont été abordés- aussi bien dans le cadre de séminaires et journées d’études que lors des réunions de la Tripartite -au cours de la dernière décennie. Un pacte économique et social est également paraphé par les différents acteurs sociaux (syndicat, patronat, gouvernement) pour espérer dégager un consensus qui éviterait les grandes crises au pays et qui assurerait un minimum de paix sociale.

Vers plus de flexibilité

Néanmoins, les cadres sociaux de dialogue ne peuvent donner que ce qu’ils ont, c’est-à-dire souvent de bonnes intentions que les travailleurs s’empressent de prendre pour des vœux pieux. Ce qui manque à ces cadres sociaux ne relève pas généralement de leur travail. C’est la politique générale de l’État en matière d’investissement qu’il y a lieu d’interroger dans ce sens. Cette politique, jusqu’au milieu des années 2 000, a été ligotée par moult tergiversations qui ont rendu l’action gouvernementale presque stérile dans ce domaine. En ayant, un certain moment, cherché une solution ‘’standardisée’’, l’Algérie a perdu beaucoup de temps pour mettre en place un tissu dense et efficace de petites et moyennes entreprises créatrices d’emplois et de richesses. Il est vrai qu’il n’était pas facile d’assurer la transition vers une économie de production lorsque le facteur principal de nos déboires passés, à savoir la rente pétrolière, est toujours là. Il faudrait une imagination beaucoup plus fertile et un sens aigu de la prospective pour pouvoir dépasser ce seul cadre de référence qu’est la rente pétrolière. Il y a lieu de savoir que presque un demi-million de demandeurs d’emploi tape chaque année à la porte d’usines et d’ateliers qui n’arrivent pas à s’installer. Une grande partie des primo-demandeurs sont des diplômés de l’université dont le profil de formation ne correspond pas obligatoirement aux besoins du marché du travail algérien naissant. Les pouvoirs publics sont logiquement interpellés, dans le cadre des investissements publics et des incitations à l’investissement privé pour faire preuve d’un trésor d’imagination pour que la politique de l’emploi ait tout la place que la société attend d’un tel mouvement de relance économique. Néanmoins, il importe d’observer ici que le concept de l’emploi a évolué de façon fulgurante au cours des dernières décennies suivant en cela le rythme et le régime des changements économiques, de la transformation de l’entreprise et de l’accélération des échanges à l’échelle mondiale. En tout cas, il ne répond plus à la définition figée d’un poste salarié stable, d’une carrière assurée et d’un revenu correspondant toujours au coût de la vie. Ce sont là les rançons de la nouvelle économie où la flexibilité du monde du travail apparaît comme une donnée fondamentale.

Amar Naït Messaoud

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