Contribution Timecret à Iwaquaren : Retrouvailles et solidarité

Partager

Elle était très belle cette fête là. Une banderole souhaitait la bienvenue aux passagers à Raffour, à l’occasion de Timecret 2960 (fête collective de l’an Berbère 1960) des Iwaquren.

La rue menant à Akham n’Taddart (le siège du Comité du village) était pavoisée depuis le mardi. Elle était multicolore et illuminée.

La placette était bien le centre du village. Elle était le cœur des habitants de Taddart Iwaquren qui battait pour cette fierté synonyme de respect de la tradition transmise par les aïeux.

Il y avait beaucoup d’émotion, visible sur tous les visages, même si on feignait la retenir.

Il y avait aussi de la joie. La joie de se retrouver « entre nous ».

Quelle était belle et expressive cette banderole sur laquelle on pouvait lire : Bienvenue !

C’était vrai. Pratiquement tous les Iwaquren du pays, vivant sur le sol national, étaient présents ce jour là à l’exception de ceux, retenus, soit par une maladie ou soit par un empêchement majeur.

Les frères, résidant à l’étranger, sont presque aussi présents. Leurs appels téléphoniques se suivent et ne s’arrêtent pas. Qui de l’Europe, qui des Amériques, qui d’ailleurs. Ils veulent exprimer toute leur joie pour l’événement et d’autres, leur tristesse de ne pas y être présent physiquement.

En effet, la fête commença le mardi14, plutôt la veille.

A compter de 8h du matin, les bœufs et les moutons, dons des habitants de Taddart Iwaquren, affluent vers Akkam n’Taddart. Ils sont aussitôt attachés aux endroits conçus pour attendre l’ultime moment.

Cette année, 25 bœufs et 3 moutons ont été offerts par la population. Ce geste de générosité grandeur de la population, dénote toute la solidarité ancestrale dont la Kabylie en générale, fait preuve et dont les Iwaquren en sont réputés. Il y a quelques années de cela, pas moins de 42 bêtes ont été offertes. Quelle leçon de bonté de générosité de solidarité et surtout de fraternité !

Tels des héros, les taureaux sont accueillis, tour à tour, par des cris de joie et de bienvenue puis des remerciements sont exprimés aux donneurs, en les bénissant.

L’organisation conçue la veille par le comité du village, se met en place et les nombreux bénévoles, amateurs et professionnels, armés de leurs outils, commencent le centenaire rite.

Dès 9h du matin jusqu’à 18h, les 25 bœufs et les 3 moutons sont égorgés, nettoyés et dépécés.

Le rez de chaussée de Akham n’Taddart servant d’abattoir.

La chaîne se met en place : On égorge la bête, on enlève sa tête, ses pattes et sa peau, on la vide, on la découpe en quartiers que l’on suspend aux esses.

La main-d’œuvre ne manque pas. Tels des fourmis, les jeunes Iwaquren, de10 à 40 ans s’adonnent, chacun, à une mission, avec plaisir, joie et surtout fierté.

Par respect, les plus âgés sont épargnés et ne sont là que pour orienter et contrôler.

Un local, mitoyen à « l’abattoir », sert de pièce de stockage du « produit fini ». C’est l’endroit le mieux surveillé et les jeunes qui y sont affectés, redoublent de vigilance.

C’est l’endroit où sont stockés les quartiers et les abats de chaque bête, pour être, par la suite contrôlé par un vétérinaire.

Pour bien faire, un même numéro est donné pour l’ensemble des quartiers de chaque bête afin d’aider le vétérinaire dans sa décision éventuelle d’en isoler un.

Excellent travail de prévention sanitaire.

Un autre local sert d’entreposage de vivres également offerts et qui seront par la suite distribués aux plus démunis de la population.

Une sono diffuse de belles chansons comme pour mieux égayer l’atmosphère.

Deux jours auparavant, une opération de mise à jour du fichier familial de la population de Tadart Iwaquren est lancée.

Le représentant de chaque famille et de chaque Adrum (ensemble de familles) est chargé de cela.

S’appuyant sur les listes de l’année précédente, il procède à la mise à jour pour ensuite la communiquer au secrétaire du Comité qui, lui, consolide l’opération, en considérant les quatre Iderman.

Aucune personne n’est oubliée. Qu’elle soit à Raffour, Alger, Constantine, Oran, Hassi-Messaoud ou en France, Canada, Allemagne, Suisse ou aux Etats-Unis.

Le nouveau-né est ajouté (le papa aura versé l’furuh) et le décédé ainsi que la mariée sont retirés de chaque liste de famille.

Les 4 Iderman, composés de 47 familles, constituent Taddart Iwaquren.

Les Iderman renferment entre 674 et 1592 personnes et chaque famille possède entre 02 et 519 membres.

Des familles entières sont malheureusement déjà éteintes, au fil des temps et, d’autres sont en voie de disparition. C’est là la loi de la nature.

La particularité est que, ce jour là toute personne étrangère au Arch mais se trouvant en son sein pour une raison de visite familiale ou amicale ou bien pour des raisons de mission de travail, est considérée comme partie prenante et aura bel et bien sa part de viande.

Quelle leçon d’hospitalité de respect et de générosité !

Quelle grandeur des fils de Tizimit et de Lala Khelidja !

Au terme de l’opération d’abattage des bêtes, l’ensemble de la placette, intérieurs et extérieurs, est nettoyée et désinfectée. Plus aucune trace de saleté. Tout devient nickel pour la suite des opérations.

Le secrétariat peaufine, entre temps, l’opération de mise à jour du fichier familial au fur et à mesure qu’il reçoit les dernières nouvelles informations.

Le comité tient sa deuxième réunion de travail en fin de soirée, pour évaluer les travaux entrepris et pour préparer ceux du lendemain. Tout est abordé minutieusement.

Il faut quand même se payer un petit somme et on se sépare très tard la nuit pour un repos bien mérité.

Le mercredi, à compter de 9h environ, le vétérinaire vint contrôler les quartiers soigneusement découpés et minutieusement stockés la veille. Il déclare la viande propre à la consommation.

Vers 17h, la placette commence à grouiller de monde et c’est la reprise des travaux.

Il s’agit d’entamer l’opération de découpe des quartiers des bêtes.

Tels des fourmis, les volontaires à la découpe prennent place le long des quatre murs de la salle, munis des outils nécessaires.

Par souci d’hygiène et de propreté et comme des chirurgiens, leurs chaussures sont couvertes d’un sachet en plastique et leurs mains portent des gants de chirurgie.

Soucieux du travail soigné et de l’équité dans la distribution, un responsable du comité du village prend la parole pour donner des instructions : Confection de morceaux de viandes identiques et présentables, respect de l’hygiène et de la propreté volonté et patience pour veiller jusqu’au matin.

L’entame fût ainsi donnée et le premier quartier fût ramené sous les cris de joie de nombreux jeunes. Une équipe est chargée justement du transfert des quartiers.

Ainsi donc et jusqu’à 1h du matin du mercredi, l’opération prit fin et toutes les bêtes furent dépecées en morceaux, stockés dans des caisses.

Pendant tout ce temps et pour lutter contre le froid glacial et la fatigue, du café et du lait sont servis de temps à autre, accompagnés de gâteaux, de gaufrettes et de crêpes.

Dehors, la pluie ne cesse de tomber et sur les hauteurs des montagnes des Iwaquren la neige commença à étaler son manteau blanc.

Ni la pluie et ni le froid sibérien n’altérèrent la volonté et la joie des jeunes qui oeuvrèrent tels des fourmis.

Une petite pause d’une heure environ suffit, à la fin de l’opération de découpe, pour ensuite entamer une autre qui consiste à procéder à la distribution des parts.

Une autre rencontre entre les délégués des familles et le Comité du village pour une revue des listes de chaque famille minutieusement mise à jour par le secrétaire.

À la vue des fiches distribuées à chacun, l’opération commence et des bassines sont remplies équitablement pour contenir l’équivalant de Takhamt (part pour 10 Personnes).

Ainsi, comme les autres, cette opération se déroule dans une même bonne ambiance et prend fin vers 5h du matin.

Une autre petite pause fût accordée, après 24h sans sommeil pour quelques uns, et l’ultime opération commence.

C’est la remise des parts de viande conformément aux listes et aux nombres de membres par famille. Equité sans faille et sans oubli.

Les chefs de famille se présentent avec leurs couffins et le délégué s’affaire à leur remettre leur part et ainsi de suite jusqu’à 8h.

Ainsi donc, ce jour là les Iwaquren, où ils se trouvaient, auront reçu leurs parts de viande d’une manière la plus équitable possible.

Mais, soucieux de préserver le sens de l’hospitalité et du partage, de la solidarité de la générosité et de la fraternité qui font la particularité des Iwaquren, une bonne quantité de morceaux est mise de côté pour les passagers et ceux qui s’invitent eux mêmes. Ils étaient plus d’une trentaine et tous ont reçu leur part de viande.

Ce matin du mercredi était un peu le plus beau des matins. On aurait même souhaité que la neige fût parmi nous. Les gens, vieux, jeunes, hommes, femmes et enfants et même des bébés, affluent vers Akham N’Taddart. C’est un moment exceptionnel de retrouvailles. Des personnes sont venues de France spécialement pour la circonstance. On se salue, on s’embrasse, on prend des photos, on cause un peu avec l’un et on va vers un autre avant de le perdre de vue, on fait les présentations des enfants et de ceux que l’on ne connaît pas.

Dans un coin bien aménagé nos sages, confortablement installés et vêtus de leurs beaux burnous kabyles, prodiguent des prières et des bénédictions à tous ceux qui ont fait un don en argent, versé à la caisse du village. Les « Amen » du reste de la population fusent et les accompagnent et fait jaillir des émotions indescriptibles jusqu’à ne plus pouvoir retenir ses larmes, parfois. Quel beau et sensible rituel et même une chaîne se forme car, là aussi, cette particularité singulière des Iwaquren revient et revient de plus en plus fort.

La caisse en bois se remplit de billets d’argent et la baraka des Iwaquren fait le reste.

Le tout est compté en public, à la fin de l’opération la somme sera versée au compte bancaire du village.

Dans un local mitoyen, une exposition est mise en place, organisée par la jeune et dynamique Association. Elle porte sur la révolution et la rémomération de notre chahid Si L’Mouloud Awaqur, sur les paysages des Iwaquren, le travail de la terre, le mode de vie ancestral, la cueillette des olives la production oléicole, ainsi que l’agriculture de montagne et surtout sur le projet Targua (rigole), projet financé par l’Union Européenne. C’est ici un désir de transmission à la génération actuelle de la connaissance de l’origine et de l’histoire des Iwaquren et également, la vie au présent de leurs parents.

Les 4674 âmes de Taddart Iwaquren peuvent être fières de ce qu’ils viennent de réaliser. C’est une exception dans ce bas monde, rongé par l’individualisme et l’égocentrisme. C’est une leçon de vie en collectivité et même au-delà. C’est enfin, un message d’une population digne de son passé lointain et contemporain. Elle était connue pour son courage, son respect, sa bravoure, sa personnalité (s), son engagement et sa culture. Elle mérite respect, considération, écoute et prise en charge. Un Arch martyr, courageux et rebelle comme celui d’Iwaquren, ne mérite-t-il pas plus d’égard et meilleur confort dans sa vie de tous les jours, aussi bien au niveau de ses deux douars d’origine (dignité et retour aux sources) qu’au niveau de Raffour ?

Nous avons rendu visite à nos frères d’Igzer Iwaquren qui ont, eux aussi, organisé une même Timecret car une seule fête serait difficile à mener, avec une population globale de plus de 11300 âmes. Mais chacun a souhaité qu’une seule manifestation se fasse tous les 3 à 4 ans. Ce serait pour mieux sceller l’union et la fraternité déjà irréprochables, en vue des conquêtes « communes » pour le futur.

Mohand Said Medjdoub

Taddart Iwaqure

Partager