Après tant d’années de tergiversations et même de suspicion à l’endroit de ceux, qui exercent le métier de journaliste, après avoir effleuré au cours de discussions, qui peinent à devenir de vrais débats, des problématiques fort intéressantes, liées aux conditions d’exercice des journalistes algériens (situation sociale, statut, code de la presse, déontologie), les regards se tournent- comme au cours de l’université d’été organisée cette année- vers les thématiques de développement et d’environnement.
Si les questions sociales et celles inhérentes à la formation des journalistes avaient été aplanies, les thématiques d’aujourd’hui, apparaîtraient comme une séduisante idée. C’est presque une “coquetterie’’ ou une cerise sur le gâteau, pour une corporation qui, dans son immense majorité ne demande qu’à participer à l’effort de développement du pays par l’acte pédagogique que constitue le support de la presse.
Cependant, malgré ces “ratés’’ de régularisation du métier de journaliste et de l’activité de la presse en général- et la corporation place d’immenses espoirs dans le nouveau titulaire du département de la communication, M. Nacer Mehal,- les missions des hommes de presse gagneront toujours à être mieux étudiées, décryptées, précisées et, pourquoi pas, encadrées. Ici, l’encadrement ne devrait signifier aucune camisole de force. Au contraire, les journalistes, pour s’atteler à ces missions de développement et à la diffusion de la culture environnementale, ont d’abord, besoin d’être soutenus par des cycles de formations multi-thématiques, d’être mis en contact avec les structures chargées du développement et de l’environnement et, surtout, avec le terrain sur lequel ces enjeux s’exercent quotidiennement.
L’on se souvient d’une conférence de presse au cours de laquelle l’ancienne ministre de l’Information, Mme Khalida Toumi, reprocha publiquement à nos journaux de manquer du sens du service public. Un tollé général s’ensuivit dans la salle et, le lendemain, dans les salles rédactions. Mais, force est d’admettre que, par-delà les griefs classiques que l’on adresse aux pouvoirs publics- en forçant même un peu sur les traits- en lui prêtant toujours l’intention de vouloir étouffer la presse dite indépendante, cette dernière déploie une assez large surface d’attaque en matière de traitement de l’information.
L’honnêteté l’objectivité et particulièrement la compétence intellectuelle qui permet de rapporter, de décrypter et, enfin, de commenter des faits de société ou des situations économiques ne sont pas toujours au niveau attendu.
Si certains titres se distinguent par la profusion d’informations relatives du développement économique et enjeux environnementaux, le niveau et la qualité sont toujours perfectibles.
Service public
S’agissant du service public dont les journaux sont supposés être les supports privilégiés, l’on constate que, pour plusieurs organes, cela s’arrête au service minimum : heures de la prière, programme TV, programme des rencontres sportives et météo. Des citoyens qui cherchent les dernières informations relatives à leur profession, leur métier ou activité (décret ou instruction portant sur des avantages particuliers,…) sont paradoxalement obligés de les chercher dans un organe de la presse publique ou carrément dans le Journal officiel. Rares sont les titres indépendants qui ‘’fouinent’’ dans le JORA pour dénicher des informations utiles et pertinentes pour leurs lecteurs. Le service public c’est aussi cela. Après une certaine décantation au niveau de la presse indépendante, le sensationnel et le faux scoop par lesquels ont pensé retenir le lecteur risquent de ne pas avoir bonne presse. Pourtant, l’histoire du combat pour une presse libre en Algérie, le degré de maturation des luttes sociales et politiques ainsi que le climat international militent imparablement pour une vison moderne de l’information et l’établissement des normes et règles de sa réalisation.
Il ne faudrait pas oublier que, dans notre pays, la presse libre a, dès ses premiers balbutiements en 1990, forcé le destin en s’essayant à son rôle de contrepouvoir, voire aussi d’interface entre gouvernants et gouvernés. La maturité de cette évolution est celle qui est censée conduire son action future vers une meilleure prise en charge des questions de société. Meilleure prise en charge implique un travail d’objectivité basé sur une compétence avérée.
Les défis qu’auront à relever dans l’avenir proche les titres de la presse écrite exigeront plus de compétence et plus de puissance imaginative pour pouvoir maintenir la magie de l’écrit dans un univers de l’information travaillé par le spectacle et le clinquant. Il est évident que cela ne peut nullement se faire avec une équipe ou un personnel fragilisé précarisé à l’extrême, au point de ne pouvoir assurer loyalement et honnêtement sa fonction. C’est pourquoi les questions des conditions de travail et de statut sont intimement liées à celles de la qualité du produit et de sa pertinence.
Par quelle “magie’’ pourra-t-on réconcilier le lecteur potentiel avec la presse ? Car, même si des brèches ont été ouvertes dans le mur de la pensée unique par la presse indépendante, cette dernière demeure encore, malgré des dizaines de titres mis chaque matin sur les étalages des buralistes, perfectible. De grands efforts lui sont encore demandés pour se donner plus de lisibilité et de crédibilité auprès d’un lectorat travaillé au corps par un environnement médiatique très diversifié mais dans lequel il ne se reconnaît pas nécessairement.
On a eu droit à des reportages qui se contentent des chiffres donnés par la mairie de la localité ou le directeur de l’entreprise. Parfois, cela prend la tournure inverse : ont fait parler des acteurs (travailleurs, grévistes, spectateurs) sans qu’il y ait le moindre indice de l’envergure de la structure visitée ou de son impact sur la vie de la communauté. Passons sur les amalgames et autres concepts. L’on a eu affaire à des articles qui confondent allègrement fonction publique et entreprise publique. Des papiers où la puissance publique (administration de l’État) et mise à la place de la force publique (police ou gendarmerie). De même, les articulations entre les institutions de l’État, leurs démembrements au niveau territorial et le rôle qui incombe à certaines autres structures n’indiquent presque aucune espèce de précision dans beaucoup d’écrit.
Comment compte-on rendre service au lecteur et à la société lorsque le “0B. A, BA’’ de la prise en charge de l’information n’est pas assuré ?
En 2007, l’ancien ministre de l’Information, H.Djiar, a eu cette observation à l’endroit de la presse : » l’horizon de la pensée démocratique tarde à se dégager « . Il en tire comme conséquence, un risque pour la presse de manquer d’affirmation et de perdre toute crédibilité lorsqu’elle est happée par la précipitation et le charme du sensationnel. Certes, aussi bien le ministre que le reste du gouvernement ne s’attendent pas à des épanchements laudateurs de la part d’une presse née dans la douleur et qui a eu son chemin de croix.
Les enjeux de la formation
N’est-ce pas là d’ailleurs, une de ses missions que d’informer les lecteurs, de commenter les évènements et de ‘’s’immiscer de ce qui, apparemment, ne la regarde pas’’ ? Le professionnalisme s’apprend graduellement et la déontologie fait partie d’une culture de savoir-vivre, de tolérance et de règles de bienséance.
L’aventure intellectuelle entamée en 1990, ne pouvait aller sans accroc d’autant plus que, moins de deux ans après son lancement, la presse qui en est issue sera la cible d’une autre agression autrement plus destructrice : le terrorisme. Tout ne peut être parfait, bien entendu. Le Code de l’information, puis certaines clauses ajoutées au Code pénal, ont essayé de contenir quelque peu la liberté de la presse dans les limites circonscrites par les pouvoirs publics. Mais, vingt-ans d’exercice (ponctués par la parenthèse terroriste) ne sont sans doute pas suffisants pour déclarer la maturité de la presse algérienne. L’apprentissage et la professionnalisation continuent pour que celle-ci rompe avec le nihilisme destructeur et le panégyrique à tout va. Avec la société civile, le monde universitaire, les syndicats et les organisations politiques, la presse constitue un contre-pouvoir à même de participer au développement général du pays et est capable d’asseoir une efficace pédagogie de la citoyenneté. C’est ce qui lui est demandé aujourd’hui aussi bien par la société que par les pouvoirs publics.
Pour que le journaliste contribue sérieusement aux actions de développement de son pays et à la lutte contre la pauvreté et qu’il puisse agir sur le terrain de la sensibilisation aux questions environnementales, des efforts sont exigés de lui pour qu’il puisse appréhender la réalité sociale dans sa globalité. Cela ne peut se réaliser que dans le cadre d’une formation universitaire à la hauteur des enjeux, d’une formation continue et de stages de recyclage. Ces formations hors université peuvent même être assurées par des entreprises économiques ou des institutions administratives. Le journaliste sera amené à constituer des dossiers relatifs à la vie économique et sociale (santé agriculture, fiscalité hydraulique, chemins de fer, environnement, éducation,…).
Bref, outre une formation universitaire qui devrait revoir ses ambitions à la hausse, les jeunes praticiens de l’information sont plus que jamais appelés à s’inscrire dans une dynamique de formation continue qui peut revêtir plusieurs formes. En tout cas, la nécessité du journalisme spécialisé prise en charge dans les pays développés depuis longtemps, se fera sentir dans notre pays au fur et à mesure de la formation du lectorat –qui développera ses exigences propres- et de la complexité/diversité de l’actualité appelée à être traitée par le journaliste (nouvelles spécialités judiciaires versées dans la bioéthique, les arbitrages économiques ; les défis écologiques, les nouvelles technologies de l’information,…). Dans un rapport du Conseil national économique et social, il est déploré que l’information économique et sociale en Algérie “inaccessible, non fiable et non exploitable”. En réalité le problème réside aussi bien dans les services ‘’producteurs’’ de chiffres que chez les instances et personnes (journalistes) chargées de l’exploitation des données. Sur ce chapitre bien épineux, le CNES a tiré en 2008, la sonnette d’alarme et parle de la nécessité d’établir “une véritable économie de l’information, sous-tendue par des préoccupations d’efficacité économique et de veille stratégique et technologique”. C’est pourquoi, il propose la reconnaissance de l’information comme “ressource de valeur” et appelle les pouvoirs publics à procéder à un bilan exhaustif de ce secteur stratégique pour en améliorer la gestion et les performances.
Amar Naït Messaoud