Quels horizons pour la diversification des recettes ?

Partager

La notion de citoyenneté était liée dans l’histoire des Etats-nations d’Europe à celle de la fiscalité dans le sens où était considéré comme citoyen celui qui payait une certaine somme d’impôts au titre de sa fortune ou de la production de ses champs ou ateliers. Les choses évolueront de façon à toucher l’un des attributs de la citoyenneté : le droit de vote. Ce droit n’était accordé qu’à ceux qui payaient un certain seuil d’impôts. C’était le vote censitaire.

Dans l’histoire coloniale de notre peuple, la fiscalité a fini par s’imposer dans l’imaginaire collectif comme un des pires moyens de la répression, de la soumission et de la paupérisation. Il touchait les plus futiles objets domestiques (animaux de basse cours, bêtes de somme,…) en dehors de toute logique économique.

Après l’indépendance du pays, la fiscalité était assurée par les secteurs de l’industrie, de l’agriculture et du commerce, aussi faibles ou déstructurés qu’ils soient. Les parts revenant à chacun de ses créneaux étaient presque équitablement répartis. Ce n’est qu’au début des années soixante-dix du siècle dernier qu’une tendance à l’hypertrophie de la fiscalité pétrolière a commencé à se dessiner au détriment des autres secteurs. Il en résulta que un tableau « recettes-dépenses » des lois de finances annuelles prend la configuration qui place la fiscalité pétrolière en position de plus en plus dominante. Au cours des deux dernières décennies, elle tourne à hauteur de 50% ou plus par rapport à l’ensemble des recettes attendues. La fiscalité hors hydrocarbures a acquis chez nous un substantif révélateur. Elle est dénommée « fiscalité ordinaire ». Ayant trop longtemps compté sur le pétrole, le budget de l’Etat a du mal à se redéployer sur les autres secteurs pour lever les impôts. L’inventaire des acteurs économiques et des activités imposables n’est pas encore tout à fait complètement établi. La preuve, l’évasion fiscale générée par le secteur informel (IRG, TAP, TVA et autres taxes) se compte en plusieurs milliards de dinars sans compter les autres formes d’évasion (différentes cotisations sociales). « La pression fiscale en Algérie reste assez faible par rapport aux pays voisins. Elle est de l’ordre de 19% par hors fiscalité pétrolière. L’objectif de la modernisation de l’administration fiscale est justement de faire monter la pression fiscale et de la rendre comparable aux pays qui ont le même niveau de développement hors fiscalité pétrolière », assure M. Abdou Bouderbala, directeur général des Impôts. La dette fiscale et le détournement des avantages fiscaux sont deux autres phénomènes qui limitent les sommes d’argent issues de la fiscalité. Le directeur général des Impôts reconnaissait en 2008 que la dette fiscale dépasse largement les 600 milliards de dinars. Une partie est déclarée irrécouvrable. Pour les 600 milliards restants, il est prévu, ajoute-t-il, un dispositif de recouvrement. Les avantages fiscaux, initialement destinés à mieux fouetter la machine économique en stimulant les investissements et la création d’emploi, sont souvent détournés de leurs objectifs et sont ainsi assimilés à une fraude fiscale. « Ce sont des gens qui profitent des avantages fiscaux qui leur sont accordés dans le cadre des projets d’investissement pour vendre le matériel ou les produits qu’ils ont achetés en totale exonération de droits de douane. Ce détournement est un délit et l’administration fiscale ainsi que l’ANDI (Agence nationale du développement des investissements, ex-APSI) poursuivent ces actes délictueux. Il y a de nombreuses décisions de droit d’importation qui ont été annulées et des personnes sont traduites en justice », révélait en 2007 M. Bouderbala dans un entretien accordé à la presse.

Une baisse de 46% de recettes en 2009

La diversification des ressources fiscales s’impose comme la seule voie d’issue, le levier indispensable dans une conjoncture caractérisée par une forte volatilité de la principale matière première que l’Algérie exporte et qui lui assure l’essentiel de ses importations. La hausse des prix du pétrole ne doit pas reproduire les réflexes rentiers qui ont mis le pays à genoux au début des années 1990 et qui ont livré l’Algérie, pieds et points liés, aux conditionnalités des institutions financières internationales. Mieux encore, avec le recul du prix du baril de pétrole depuis l’automne 2008 suite à la crise financière mondiale, l’Algérie est supposée prendre conscience de la fragilité qui frappe son économie et des mesures d’incitation à l’investissement, seul à même de pouvoir générer des richesses et des recettes hors hydrocarbures. La nouvelle donne du marché pétrolier mondial, en se répercutant directement sur les finances algériennes du fait d’une dépendance directe de l’Algérie de ses exportations pétrolières, installe une situation délicate en matière de financement des importations. En effet, dans la foulée de la contraction de la consommation énergétique mondiale- qui a induit une baisse substantielle des prix du baril de pétrole-, les recettes d’exportations algériennes ont baissé d’une façon inquiétante, allant d’un montant de 80 milliards de dollars en 2008 à un montant de 43 milliards de dollars en 2009, soit une baisse de plus de 46%. Cette contre-performance des recettes budgétaires a été jusqu’à 2009, aggravée par la dommageable parité entre l’euro- monnaie d’importation majoritaire pour l’Algérie- et le dollar- monnaie majoritaire d’exportation de nos hydrocarbures.

A cela s’ajoute un facteur indirect, celui de l’effet complexe de l’interdépendance des économies, qui fait qu’un ralentissement de la croissance, ou pire, une récession en Amérique, en Europe ou en Extrême-Orient induira inéluctablement une baisse de la croissance mondiale qui affectera, de facto, même les pays exportateurs de pétrole, lesquelles importent la presque totalité de leurs produits alimentaires, médicaments, équipements…etc. Dans ce contexte pour le moins pénalisant et annonciateur de lendemains incertains, le maître-mot semble être un développement auto-centré basé sur les énergies nationales capables de réaliser des investissements créateurs d’emplois et de richesses fiscales à même de compenser les pertes en fiscalité pétrolière. Si des faiblesses techniques et des lourdeurs administratives grèvent encore de leur poids l’acte d’investissement, il demeure cependant acquis que les orientations économiques établissant la nécessité de l’investissement privé qu’il soit national ou étranger, ne relèvent plus d’un choix doctrinal, mais répondent plutôt à une impérative nécessité de faire redémarrer la machine économique du pays sur des bases solides délestées de la mentalité rentière qui nous a valu bien des errements. Que cela se fasse simultanément avec un secteur public rénové et revigoré comme l’entend actuellement le gouvernement Ouyahia, ce n’est qu’un atout de plus. Cependant, les effets de l’ancienne mentalité ne cessent, jusqu’à présent, de brouiller, au sein de certaines structures décisionnelles, la vision et l’organisation de l’acte d’investir au point de faire subir à certains secteurs de l’économie des situations de surplace. Il est tout à fait vrai que les rentes de situation et la solidarité “clanique” autour de certains intérêts ne peuvent être neutralisées du jour au lendemain. Mais une chose demeure certaine : la course effrénée vers la mondialisation et l’interdépendance des économies- tout en ayant leur revers de médaille- ne peuvent tolérer les replis et la navigation à vue qui caractérisent la gestion de certaines économies des pays du Sud.

Un climat d’investissement peu favorable

En 2009, le rapport de la Banque mondiale (Doing Business) portant sur le climat des affaires classe l’Algérie à la 132e place sur un panel de 181 pays étudiés. A titre de comparaison, l’Arabie Saoudite est positionnée 16e. Le rapport en question informe l’opinion que, entre juin 2007 et juin 2008, soit pendant une année, l’Algérie “n’a enregistré aucune réforme majeure”. En matière de création d’entreprises, notre pays occupe la 141e place. Pour l’embauche des travailleurs, l’Algérie occupe la 118e place. Le reste des critères utilisés par la Banque mondiale donnent une image médiocre du climat général d’investissement et des affaires de notre pays. Le rétrécissement des recettes pétrolières induisent, comme on le voit, la réduction de la marge de manœuvre du gouvernement dans l’élaboration des budgets publics et des lois de finances. Outre une politique d’investissement hardie devant toucher l’ensemble des activités de l’économie, la diversification des recettes fiscales implique aussi la maîtrise du champ économique (entreprises, volumes des échanges et de la production, personnel y exerçant,…). La nouvelle configuration de l’économie nationale où le secteur privé prend chaque jour un peu plus d’importance par ses investissements et par la création d’emplois commande d’orienter les efforts de la collecte des données statistiques particulièrement vers ce créneau de façon à étoffer davantage la base des données statistiques nationales. Plus que jamais, l’outil statistique est considéré par les pouvoirs publics et les chercheurs en économie et sciences sociales comme un instrument pour la connaissance exacte de l’état général d’un pays, un moyen précieux d’anticipation et de prospective et un atout dans le processus d’aide à la décision. C’est ainsi que la loi de finances complémentaire 2009 a prévu une opération d’inventaire sous l’intitulé de « recensement économique ». Ce projet compte fonder sa stratégie sur l’interconnexion entre les différents services producteurs de chiffres, de bilans, de ratios, d’indices et d’autres formes d’informations chiffrées relatives à la production, à la consommation, aux flux et échanges commerciaux, à la création de nouvelles entreprises (données centralisées au Centre national du registre du commerce, CNRC), aux dépenses de santé via la Caisse nationale des assurés sociaux (CNAS), à la fiscalité par l’intermédiaire de la Direction générale des impôts et de la direction des Douanes nationales, aux investissements à travers les organes chargés de la validation des projets (ANDI) ou de leurs financements (banques, caisses de garantie, caisse nationale des investissements), aux modèles et tendances de consommation des ménages, à la démographie et au marché publicitaire.

Quelles modalités pour une fiscalisation juste et efficace ?

Dans le sillage des réformes financières et de la mise à niveau des instruments et structures qui concourent à une meilleure gestion des deniers publics, le ministère des Finances s’est particulièrement appuyé sur les effets de leviers que pourraient enclencher les restructurations des mécanismes fiscaux. En effet, le recouvrement de la fiscalité n’a pas cessé de poser des problèmes depuis l’ouverture de l’économie nationale au monde de l’entreprise privée. L’assiette d’imposition et le mode de levée de l’impôt se trouvent de ce fait en perpétuelle évolution, et le code des impôts est appelé ainsi à une mise à niveau à même de refléter le volume et la nature réels des produits fabriqués, échangés et consommés. Dans plusieurs transactions, y compris celles relatives aux marchés publics, il a été enregistré des litiges inhérents aux taux d’imposition (surtout la TVA) lorsque la nature des prestations combine fournitures inertes (mobilières), cheptel vif et prestation de services. Sur un autre plan, la direction générale des impôts a installé en 2007 une structure en son sein chargée de récolter les impôts des grandes entreprises présentant des chiffres d’affaires exceptionnels. Cette structure prend le nom de « direction des grandes entreprises ».

Les entreprises de taille modeste sont, elles, ciblées par une autre procédure contenue dans un arrêté promulgué en juillet 2008. La taille de ces entreprises se mesure essentiellement par rapport à leur chiffre d’affaires et au personnel y exerçant. Des seuils ont été fixés par le ministère des Finances pour classer lesdites entreprises selon la nature de l’activité qu’elles exercent (commerce, artisanat ou prestation de services), l’effectif du personnel et le chiffre d’affaires.

Amar Naït Messaoud

Partager