Dangereuse ligne de fracture

Partager

Le dichotomie entre la santé financière du pays et la situation sociale de sa population invite imparablement à une profonde réflexion à même de dégager les lignes de fracture et d’aboutir à une vision plus intégrative qui joint croissance économique et développement humain.

Si le fossé actuel entre ces deux concepts se maintient ou, par malheur, s’il venait à s’aggraver, c’est la cohésion de la société elle-même qui serait remise en cause.

Malgré le contexte de la crise financière mondiale qui a semé un climat de panique et de suspicion à partir de 2008 au sein de l’ensemble des économies de la planète, l’Algérie a quand même tiré son épingle du jeu grâce aux réserves de change et à un recentrage de sa politique économique à partir de 2009.

Les grands agrégats macro-économiques sont globalement au vert ou à l’orange même si la fragilité générale de l’économie nationale, du fait de sa dépendance quasi totale des hydrocarbures, ne se dément pas.

La dette extérieure du pays est presque entièrement liquidée suite aux payements anticipés commencés en 2006.

L’inflation est officiellement déclarée ‘’maîtrisable’’ à 5,6 %. Il est vrai que, malgré les efforts du gouvernement tendant à favoriser la production nationale, la facture des importations se situe toujours autour de 40 milliards de dollars. Les résultats attendus des réaménagements de l’appareil économique ne sont pas encore ‘’visibles’’ du fait de la complexité du contexte général mondial. Par exemple, le recul des investissements directs étrangers- l’Algérie n’en a capté qu’environ 1 milliard de dollars au cours de l’années 2009- a touché l’ensemble du bassin méditerranéen.

S’agissant des investissements publics initiés par le gouvernement sur les échéances quinquennales, il y a lieu d’observer que ce sont des investissements conçus pour soutenir la croissance dans la mesure où ils sont des projets structurants, susceptibles, à terme, d’attirer les véritables investissements via les entreprises industrielles, manufacturières, agroalimentaires, de prestations de services,…etc.

Les chiffres secs avancés par les structures publiques en charges de l’économie nationale et les différentes prévisions relèvent pour l’instant presque du virtuel, d’autant plus que des facteurs de blocage, comme le système financier suranné et les lenteurs bureaucratiques, se mettent au travers des plus énergiques initiatives.

Des signes qui ne trompent pas

Dans quelle mesure les plans du gouvernement et les données de la prospective peuvent-ils influer sur la vie des citoyens ? M.Farouk Ksentini, responsable de la Commission nationale de la protection et de la promotion des Droits de l’homme a transmis en novembre 2010 au président de la République au sujet des droits de l’homme en Algérie en général. C’est un rapport qui amis un accent particulier sur le droits sociaux à l’image des deux rapports qu’il avait transmis en 2008 à la présidence où il parlait carrément de « risque d’explosion sociale ».

Cette dernière n’a pas tardé à montrer ses réelles menaces lorsque, en janvier 2011, la rue algérienne a grondé la colère incompressible de sa jeunesse.

Le retour aux manifestations des chômeurs dans les régions pétrolières du Sud algérien- après les historiques émeutes de 2005 à Ouargla- est un signe qui ne trompe pas qu’il y a réellement un fossé entre les performances économiques avancées par les autorités officielles et la situation sociale des populations.

En effet, le chômage, la faiblesse du pouvoir d’achat et la situation socioéconomique générale de la population ne poussent pas tout de suite à l’optimisme. Le taux de chômage, malgré son apparente ‘’modestie’’ (10 %), comporte en son sein des données de détail qui lui donnent un caractère de dangerosité.

Lorsqu’on prend la fraction de la population classée dans la catégorie ‘’jeunes’’, ce taux de chômage grimpe jusqu’à 25 % de la population active. C’est cette situation peu reluisante qui a été mise en exergue lors de la dernière visite du patron du FMI dans notre pays en novembre 2010.

Les indicateurs macroéconomiques qui fondent la stabilité de l’économie algérienne depuis les cinq dernières années ne suffisent plus, face aux données de la vie des populations, à décrire la réalité du terrain dans son exhaustivité.

« Tant que l’argent du pétrole ne travaille pas en Algérie, le pays, voire l’Algérien pauvre, sentira les conséquences. Les populations sont la véritable richesses des nations », dira M. Watkins, responsable du rapport Algérie 2006 du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

Les critères de développement humain élaborés par cette instance onusienne (espérance de vie, accès au savoir, PIB par habitant) complètent et éclairent d’un jour nouveau les traditionnelles statistiques qui portent sur l’inflation, le déficit budgétaire, le service et l’encours de la dette,…etc.

Sur l’ensemble de défis sociaux qui se posent actuellement à l’Algérie, celui de l’emploi semble le plus complexe et le plus fuyant. Car, en réalité l’emploi et la distribution des revenus sont la synthèse générale de la politique économique. Ils indiquent le niveau des investissements dans le pays et du développement de l’entreprise.

C’est pour cette raison que l’une des données les plus déterminantes qu’un gouvernement, quel que soit sa tendance politique ou ses choix économiques, se doit d’intégrer dans sa stratégie de gestion est indubitablement la situation de l’emploi.

Facteur de cohésion sociale et de dignité individuelle, le travail constitue la véritable source de richesse des individus, des ménages, des nations et des peuples. La situation socioéconomique du pays est actuellement caractérisée par des disparités qui sont de moins en moins tolérées au niveau des populations.

Le fossé séparant les différentes couches de la société n’a jamais sans doute été aussi important. Ce drame est psychologiquement moins supportable, par les individus et les communautés, que la pauvreté elle-même en tant que situation sociale généralisée à une population.

Laminage de la classe moyenne

Depuis bientôt une décennie, les efforts de rationalisation budgétaire ont abouti à la stabilisation des indices macroéconomiques. Au cours de cette période de transition de l’économie nationale-étape sensible pour tous les pays passant d’une économie administrée à une économie de marché-, les disparités sociales peuvent se distendre jusqu’à constituer parfois une menace parfois pour la stabilité du pays et la paix civile. Le nombre d’exclus ne cesse, en effet, d’augmenter, même si le gouvernement- à travers certains de ses différents dispositifs sociaux- essaye de contenir le cercle de la pauvreté en venant en aide aux catégories les plus vulnérables. Ces leviers et relais sociaux mis en œuvre par les pouvoirs publics ne font, en tout cas, qu’amortir le choc, différer les contestations et émousser temporairement l’esprit de jacquerie.

C’est au milieu des années 1990 que le Plan d’ajustement structurel, conditionnalité issue du rééchelonnement de la dette extérieure, a essayé de créer un équilibre dans les indices macroéconomiques au prix que l’on connaît : libéralisation des prix, plans sociaux pour les entreprises publiques, un taux de chômage effarant et laminage de la classe moyenne. Pourtant, cette dernière est considérée partout dans le monde comme étant l’armature de la construction démocratique.

Après la décennie de terrorisme et d’instabilité politique, les contradictions sociales et les contrastes de statut se sont davantage aiguisés. Les riches ont continué de s’enrichir et les pauvres à s’appauvrir. Des institutions financières et des organisations non gouvernementales ont essayé de caractériser le phénomène de la pauvreté et de la dégradation des conditions sociales sur le plan théorique et à contribuer à le faire prendre en charge sur le plan pratique. Les économistes, les médias et les pouvoir publics ont essayé de cerner la problématique de la pauvreté et il est, alors, constaté que les manifestations de ce mal sur le plan social et sur le plan de la cohésion des peuples et des nations n’aident pas nécessairement à le définir d’une façon définitive et uniforme. La Banque mondiale fixe le seuil de la pauvreté à moins d’un dollar par jour par personne. Avec un tel critère, un SMIG de 15 000 dinars et un taux de chômage de 10 %, sans doute la moitié de la population algérienne se retrouverait sous le seuil de pauvreté. Cependant, il n’est pas nécessaire de verser dans de fines statistiques pour approcher le phénomène de pauvreté dans notre pays. La presse écrite, et même la télévision d’État, ont eu à faire des reportages dans des zones où des Algériens mènent une vie d’infra-humains. Aucune statistique ne peut cacher ou détourner une plaie sociale appelée pauvreté d’autant plus que ces manifestations matérielles extérieures, ses ramifications, sont visibles partout sur le territoire national. Le phénomène de la mendicité qui a pris ces dernières années une ampleur sans précédent dans les rues et les quartiers, la fouille de la nourriture dans les poubelles, la déscolarisation volontaires d’enfants dans l’arrière-pays parce que leurs parents ne peuvent plus leur assurer fournitures scolaires et transport, le phénomène des enfants mineurs qui travaillent dans des ateliers clandestins, la prostitution, y compris des garçons mineurs…, en sont les quelques aspects qui sont loin d’épuiser le sujet.

Amar Naït Messaoud

Partager