Le marché dans l’expectative

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Les intervenants dans les marchés de véhicules d’occasion, ou si vous voulez, en kabyle, “Souks T’kariasse et en langue arabe,  »Souk kraresse », sont dans l’expectative. Ils traverseraient une période de fortes turbulences. Des habitués de ces marchés affirment qu’il y a une baisse notable dans les ventes malgré une offre très abondante et variée.

L’exemple du marché de Draâ Ben Khedda, situé à la sortie de cette ville et donnant sur l’axe autoroutier menant de Tizi-Ouzou à Alger, sans être une référence totale, est assez édifiant sur la situation qui prévaut actuellement. On y trouve de tout, de la grosse cylindrée jusqu’à d’anciens et véritables tacots mais qui tiendraient la route honorablement, selon leurs propriétaires bien sûr.

Ce marché offrait vendredi, jour de sa tenue hebdomadaire, le spectacle d’une rencontre commerciale fort figée. Le nombre de véhicules vendus, que l’on pouvait observer à travers les vitres fermées, suivant la tradition connue, n’était pas trop significatif vers 10 heures. Les négociations entre acheteurs et vendeurs semblaient rudes. Les enchérisseurs semblaient rares également.

Une Mercedes C220, mise en circulation en 1995, avec au compteur 216.000 kilomètres, n’a eu qu’un seul enchérisseur qui offrait 90 millions de centimes. Est-ce que la somme offerte se rapprochait de celle que voudrait engranger le propriétaire?  »Tu veux rire. Elle n’a même pas atteint les 115 millions de centimes pour lesquels je l’ai acquise », fulmine son propriétaire à l’adresse d’un client pour affirmer qu’il n’entend pas s’en séparer pour ce prix.

La réaction était naturelle. Le marché du véhicule d’occasion est ainsi fait chez nous. Le propriétaire d’un véhicule espère toujours récupéré au moins la somme pour laquelle il a acquis son automobile bien que les temps aient changé un peu cette manière usitée dans les années 70 et 80, voire 90. Le crédit automobile a inondé le marché et désormais un véhicule neuf perd de sa valeur dès qu’il a circulé  »en première mains » (premier propriétaire). Ce qui était inimaginable avant l’installation des concessionnaires.

Quelques prix de référence

Les vieux tacots ont toujours leur place dans ces marchés. Normal, ce sont des marchés populaires. Ce sont une sorte de ‘’show room’’ collectifs, traditionnels et occasionnels. Les concessionnaires n’ont rien inventé. Une Renault 18 de 1979 peinait à se vendre au delà de 12 millions de centimes. 11.5 millions de centimes ont été offerts pour une Zastava 1986, 27 millions de centimes pour une R4 de 1987. Son propriétaire affirme que  »c’est un bijou’’. ‘’Elle est increvable. Tu peux la garer où tu veux. Elle ne risque pas d’être volée », dit-il. Mais le marché est implacable aussi. Personne n’en voulait ce vendredi 4 mars.

Ces véhicules sont peut être aussi méconnus pour les nouvelles générations que le sont les véhicules neufs pour les vieilles générations.

Le marché renfermait également de grosses cylindrées. Un Pick Up Mitsubishi, année 2004, était coté à 120 millions de centimes. Un 4X4 Land Rover 2003 à 110 millions de centimes. Ce véhicule avait au compteur plus de 171.000 kilomètres. Une Jetta 2005 était à 138 millions. Une Audi 2001 A4 attendait son premier enchérisseur à 10 heures et quelques poussières. Idem pour un 4X4 de marque Suzuki 2004 avec au compteur 300.000 kilomètres.

Les véhicules les plus exposés sont de marque Renault et Peugeot. Les 206 Peugeot mises en circulation entre 2001 et 2005 mais qui sont restées bien entretenues, ou bien préparées pour le souk, sont cotées entre 60 et 65 millions de centimes. Un vendeur d’une 206 de 2004 avec au compteur 180.000 kilomètres était prêt à s’en séparer pour 64 millions de centimes alors que le marché ne lui offrait que 61 millions de centimes. Un autre propriétaire d’une Clio DCI de 2001 se voyait offrir 44,5 millions. Il attend que les enchérisseurs fassent monter la barre un peu plus haut. Une offre de 43 millions de centimes a été faite pour une Saxo diesel 2001 et 50 millions de centimes pour une 205, année 1986.

Hocine Cherrat, qui dit être un spécialiste de ce genre de marchés, pour en avoir fait une activité lucrative, achetant par-ci et vendant par-là est affirmatif: les événements liés au climat social ont figé le marché.  »Certains ont besoin de liquidités pour leurs affaires ou pour acheter du neuf. D’autres sont dans l’attente d’un retour éventuel du crédit automobile ou encore de l’autorisation d’importation du véhicule de moins de 3 ans », explique-t-il. Les gens espéreraient que le gouvernement aille à ce genre de décision pour calmer le front social en ébullition. Ils attendraient cette occasion pour acheter du neuf que de se jeter sur le véhicule d’occasion.

A chaque marché son utilité

Mais une autre source bat en brèche ces affirmations.  »Les marchés de véhicules d’occasion de la wilaya de Tizi-Ouzou (Draâ Ben Khedda, Azazga et Tala Atmane) sont en général faits pour connaître la tendance des marchés pour ceux qui veulent acheter. Pour les vendeurs, il s’agit d’obtenir les premières propositions d’achat. Il s’agit pour eux de marquer le premier niveau de l’intérêt des gens pour leurs véhicules », explique un autre  »analyste » des tendances de ce genre de marchés. Ceci expliquerait la prudence des acheteurs dans l’évaluation de la.. marchandise.

Pour la même source, les marchés de Tidjelabine (Boumerdes) et d’Akbou (Béjaia) sont les deux principaux marchés proches de la wilaya de Tizi-Ouzou où les véhicules d’occasion se vendent ou s’achètent concrètement. ‘’Pour vendre ou acheter, il faut aller à ces marchés’’, a-t-il dit non sans exclure l’utilité des marchés de référence de la wilaya de Tizi-ouzou.

Le marché est varié mais aussi versatile. Il change tout le temps. De semaine en semaine. Lorsque l’Euro, la devise européenne, grimpe au marché parallèle, le marché du véhicule d’occasion l’accompagne, a affirmé un autre  »analyste » qui se dit au fait des moeurs de ce marché. Tenez! Pour ne pas vous choquer avec le prix, certains vous donnent la référence de 38 pour un véhicule qui vaut 138 millions de centimes. Pour eux la première centaine de millions est acquise d’avance. Il faut comprendre vite et ne pas croire à la bonne affaire devant un beau véhicule dont le propriétaire vous annonce qu’on lui a offert ‘’35’’. Il faut… arrondir avec 100 millions de plus (135 millions).

Le souk de véhicules d’occasion de Draâ Ben Khedda était assez fourni vendredi. Il y a eu même la mise en vente de véhicules presque neufs. C’est le cas de ces deux Maruti 800 avec l’une au compteur 13.000 kilomètres seulement et l’autre 37.000 kilomètres. Pourquoi s’en séparer si vite? ‘‘Parce que j’ai besoin d’argent’’, répond l’un d’eux avec le mouvement connu du pouce se frottant avec l’index.

Le marché prend fin prématurément

Les offres sont restées vendredi visiblement en deçà des prétentions des propriétaires si bien que le mouvement des premiers véhicules tentant de sortir de ce bourbier de marché a commencé vers 10 heures et 45 minutes, alors que de tradition, les négociations se poursuivent parfois jusqu’à au moins 12 heures et trente minutes. La prière de vendredi précipite bien le départ de clients mais cela n’explique pas tout.

A 11 heures, les dès sont presque tous jetés.  »Yefra Souk ( le souk est clos) », dit-on. L’heure est à la pénible sortie de ce terrain encombré et mal tenu.

Comme tous les autres marchés de ce type, celui de Draâ Ben Khedda est situé sur un terrain vague à la sortie de la ville. Le marché dure une bonne demi- journée.

Le droit d’accès pour la vente du véhicule coûte 600 dinars. Le stationnement aux abords du marché est également payant. Ce sont des jeunes de la localité qui s’en chargent. Cela s’appelle bien sûr  »parking gardé ». Un jeune affirme qu’il en tire chaque semaine quelques 1500 dinars. Pas de quoi faire vivre son homme.

Le marché se poursuit sur les routes

Le marché du véhicule d’occasion se poursuit hors de endroits créés par des collectivités locales pour engranger quelques finances supplémentaires sous forme de cession de droits de stationnement.

Une fois reçue une offre dans ce genre de marchés, le propriétaire d’un véhicule peut afficher désormais son numéro de téléphone portable sur le pare-brise arrière de son véhicule et recevoir des appels pour négocier à partir de cette première estimation.

Certains recourent à ce procédé sans aller à ces marchés, où à l’ère de la modernité ils continuent à fonctionner sous forme de Souk, c’est-à-dire un lieu désorganisé où le premier arrivé ne peut s’y soustraire que lorsque tout le monde se met en mouvement pour partir… en milieu de journée.

Belkacemi Mohand Said

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