Dans l’interview qu’elle nous a accordée, elle revient sur ses œuvres, ses projets et nous livre ses pensées sur divers sujets.
La Dépêche de Kabylie : D’abord, pourquoi Rue Baraka ?
Carine-Laure Desguin : Pendant de très longues années, j’ai lu énormément de livres de psychologie. L’imagination, la volonté l’homme, la création, la destinée… Tout cela m’intéressait depuis toujours et des océans de questions venaient vers moi. Mon travail d’infirmière m’a obligée à me poser ces questions. J’aime écouter mes patients, leur chemin de vie… Bien souvent, ce sont des patients âgés, avec de nombreuses années d’expérience derrière eux. Je désirais écrire une histoire qui mettrait en scène une personne âgée et une personne plus jeune. L’intergénérationnel est une source d’émotion, de création, de partage.
Rue Baraka, c’est l’histoire du hasard. Tarek est, selon toute vraisemblance, issu d’une société où le hasard (appelé Mektoub en arabe) tient une place prépondérante dans la pensée collective. De quel hasard s’agit-il précisément dans votre roman ?
Comme je vous le disais précédemment, le hasard a été une de mes grandes questions existentielles. Pourquoi en est-on là à ce moment précis ? Pourquoi rencontrons-nous telle ou telle personne ? … Je suis une observatrice de la vie. Le hasard de Rue baraka, c’est pour moi le hasard que chacun peut rencontrer dans sa vie. Mais justement, que faisons-nous de ce hasard ? Que faisons-nous de nos rencontres? Ce matin-là pour Tarek, c’est un matin comme tous les autres. Il marche tête baissée, croyant que pour lui, l’avenir est bien sombre. Par hasard, il bouscule un vieil homme. Et voilà sa journée, puis sa vie seront métamorphosées. Inutile de vous dire que pour moi, le hasard est une subtilité que j’observe chaque jour. Le hasard des rencontres, tout particulièrement.
Et puis, les personnages de votre roman ont, manifestement, des origines différentes. Cela a-t-il une importance pour vous ? Du coup, il n’y aurait pas seulement la rencontre de deux générations mais aussi celle de deux cultures, semble-t-il. Quel message voulez-vous donc transmettre à travers cette rencontre ?
Rencontre de deux cultures? Pas exactement, non. Je m’explique. Quand on lit Rue Baraka, on comprend que l’histoire se situe dans un pays francophone, que les parents de Tarek sont venus d’Algérie pour trouver, ici, du travail, une vie meilleure. Ils veulent pour leur fils une scolarité un travail… L’adolescence a ses caprices. Que Tarek soit d’origine algérienne est très important pour moi. J’habite en Belgique, à Charleroi. Ici, il y a de nombreux jeunes d’origines différentes. Leurs parents viennent d’Algérie, du Maroc, de Roumanie… Ces enfants ont, parfois, des difficultés dans leur scolarité. Mon héros est algérien car je veux que l’on sache que nos origines ne sont pas importantes. La chance de rencontrer une personne qui nous veut du bien peut arriver à n’importe qui, pas de différence de couleur, de langage… A la lecture du livre, chacun pourra lire son message personnellement et je ne veux pas diriger le lecteur, puisque chacun chemine vers sa liberté. Cependant, celui qui refermera le livre et qui pensera que c’est notre confiance en nous qui nous aide à réaliser nos rêves et ça, que nous soyons noirs ou jaunes, et bien, celui -là pensera comme moi. Que les jeunes, de toutes origines, retrouvent confiance en eux, agrandissent leurs rêves, voilà mes objectifs.
Comment faites-vous pour avoir le temps d’écrire, sachant que travailler en même temps dans le paramédical n’est pas une sinécure?
Ce qui doit arriver, arrive. Quand l’histoire est inscrite dans ma tête, que les personnages existent et tiennent chacun leur rôle, l’histoire s’écrit toute seule. Bien sûr, cela demande beaucoup d’heures de travail. Mais ma vie est axée autour de mon travail d’infirmière et de mon travail littéraire. Parfois, moi aussi, je me pose cette question et je suis surprise de ma production de textes. Je dois ajouter que je n’écris que lorsque l’inspiration cogne dans ma tête. Donc, je ne reste pas en grande réflexion devant ma feuille blanche, ça vient tout seul !
L’amour des mots et l’envie d’écrire vous ont embrasée dès votre jeunesse, mais votre passage à l’acte, celui d’écrire votre propre œuvre, n’a intervenu que récemment. Pourrait-on dire que vous avez pris le temps de bien vous armer avant de mettre au monde une œuvre ?
Durant mon adolescence, j’écrivais des poésies et je lisais énormément. Lorsque je suis entrée dans le monde du travail, je n’ai plus écrit. Sans doute avais-je trouvé d’autres nourritures.
C’est en 2007 que tout a basculé. J’ai lu un roman de Michel Cyprien, Vieillir sans toi. Et à ce moment, l’idée qu’écrire était facile m’a parue comme une évidence. Cette impression m’avait habitée vers l’âge de 10 ou 12 ans, à la lecture du roman de Françoise Sagan, Bonjour tristesse. En lisant ce roman, qui n’était certainement pas destiné à une fillette de cet âge, j’ai pensé qu’écrire était facile. Pour moi, la question ne se posait pas. C’était une évidence.
Donc, est-ce que j’ai pris le temps de m’armer avant de mettre au monde une œuvre? Oui, mais c’est le destin qui l’a voulu ainsi. De ma part, cela s’est construit tout naturellement.
Depuis la sortie de votre premier roman, qu’est-ce qui a changé pour vous sur le plan de la création littéraire ?
Depuis la sortie de Rue Baraka, ma création s’est engloutie dans une spirale! C’est comme si des portes s’ouvraient à l’intérieur de moi…Mes textes me surprennent moi-même !
Ecrivez-vous à la main avant de saisir vos écrits sur ordinateur ?
Oui, je n’arrive pas à écrire directement sur l’ordinateur. J’ai besoin d’un grand carnet de feuilles de brouillon ou feuilles blanches dans un carnet à spirales. C’est un handicap car cela représente une perte de temps. Par contre, je sais corriger sur l’ordinateur.
Pourriez-vous nous parler de votre nouveau roman Les Enfants du grand jardin?
Oui, avec plaisir ! Une histoire née par hasard… Un dimanche de mai, mes pas me conduisent vers une fête de village, dans un endroit où je ne vais jamais! Là une grande fête, dans une prairie… Des artisans présentaient leur travail: des vins, des miels, des dessins, des peintures,… Dès le lendemain, j’ai commencé à écrire Les Enfants du Grand jardin. Des enfants issus de milieux pauvres sont éduqués par deux dames, deux fées… Le style de mon écriture, pour ce roman, est tout à fait différent de celui de Rue baraka. L’histoire est surréaliste, l’écriture aussi.
Quelles sont vos influences littéraires ?
Bonne question ! A présent, je lis tout, tout… tout !
Mes auteurs préférés, ceux vers qui je me plonge quand je ne sais vers qui aller ? Philippe Besson, Xavier Deutsch, Françoise Sagan, Patrick Modiano, Marguerite Duras…
En poésie, c’est le mouvement surréaliste qui a tout mon cœur. André Breton et tous ses sbires. J’ai une amitié toute particulière pour Aimé Césaire, ses mots me parlent, me cisaillent l’imagination et m’obligent à créer!
Que pensez-vous de la littérature maghrébine d’expression française ?
Un grand nom me vient à l’esprit, Albert camus. Et puis Yasmina Khadra. Mais là je sais que je ne réponds pas vraiment à votre question. Ne riez pas, mais j’ai déjà voulu me poser cette question voici quelques mois. Et donc, j’ai lu Nouvelles d’Algérie (éditions APIC). J’ai découvert des textes de Leïla Marouane, Rachid Boudjedra, Hamid Skif, Amin Zaoui, Anouar Benmalek, Atmane Bedjou. Des textes vrais, des mots qui hurlent, des univers que j’ai aimés.
Aimeriez-vous publier vos œuvres en Algérie ?
Que mes textes soient lus en Algérie, oui, je le désire.
Que diriez-vous pour conclure ?
La littérature est un art qui peut sauver l’homme. Parce qu’elle permet de rêver, d’agrandir des jardins et de respirer des mots qui ont les parfums de la liberté et de tous les possibles.
Que mes textes puissent offrir du rêve, ouvrir des possibilités…
Entretien réalisé par K. K.