Le débat exceptionnel dont a bénéficié le projet du nouveau code communal au sein de l’Assemblée populaire nationale risque paradoxalement de provoquer le rejet de la mouture présentée par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales et le renvoi de son adoption pour une autre session. L’on ne sait pas encore si un consensus pourra être trouvé pour éviter un tel sort au texte du code communal
En tout cas, sur le plan pratique, il semble qu’il n’y a pas vraiment urgence du fait que les clauses du nouveau code ne s’appliqueront qu’aux élus qui seront issus des élections de municipales de 2012. Il se trouve que toutes les contraintes, tous les paradoxes et toutes les dérives vécus sur le terrain de la gestion communale du fait de l’actuel code ont eu le loisir d’être exprimés et d’être portés à la connaissance des députés de l’APN et du large public. Rien que pour cela, l’examen de ce dossier aura été probablement une réussite. En réalité les problèmes et contraintes générés par l’application du code communal ont souvent défrayé la chronique et ont amené les élus –entre eux d’abord et face aussi à l’administration- à livrer des batailles ‘’homériques’’ pour faire valoir une décision, un point d’une délibération ou une thèse quelconque. L’année dernière, une journée d’étude sur la relation entre l’élu et l’électeur a été organisée par le ministère des Relations avec le Parlement. Un certain nombre de distorsions et de sourds malentendus dans la relation élu/électeur- relation censée être bâtie sur la base d’un contrat social où l’enjeu est la représentativité populaire- persistent et empoisonnent le climat général de l’action des élus et de l’administration. Le professeur Yellès Chaouche Bachir de l’Université d’Oran qui a participé à la journée d’étude rappelle un principe constitutionnel qui pèse peu dans la philosophie devant prévaloir dans la relation électeur/élu : « La Constitution énonce que la souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple, qui l’exerce par l’intermédiaire de ses représentants élus. La problématique, dans la pratique, est que le peuple ne détient cette souveraineté que le jour du vote ; il en est dépouillé par la suite ». En réalité c’est là une problématique ancienne qui renvoie à la qualité et à la compétence de l’élu, à son extraction sociale au sein de la communauté (paysan, fonctionnaire, homme d’affaires,…), au niveau culturel des électeurs et à beaucoup d’autres paramètres sur lesquels s’articulent les valeurs de la démocratie locale. Le conflit de compétence entre l’administration et les instances élues prend, quant à lui, ses origines dans la nature hyper- centralisée du pays qui ne laisse presque aucune marge de manœuvre à l’initiative locale.
Il y a loin de la coupe aux lèvres
De cette situation découlent moult aberrations telle que l’uniformisation des normes de travail, des subventions allouées aux collectivités et des prix unitaires de réalisation des travaux.
« Il est insupportable de continuer à subir les inégalités en matière d’octroi de PCD, qui fait d’une commune déshéritée de 29 000 habitants l’égale d’une commune de 3 000 habitants », dira, lors de la présentation de sa démission en 2010 l’ex-président de l’APC de Timizart, dans la daïra de Ouaguenoune.
Les rôles et missions des assemblées locales (APC et APW) et l’articulation de leurs activités avec celui de l’administration (chef de daïra, wali) ont besoin plus que jamais de nouvelles définitions et requièrent une vision rénovée par rapport aux enjeux du développement local.
Les codes de la commune et de la wilaya sont censés réguler et répartir les tâches et les responsabilités au sein des assemblées élues, comme ils commandent la nature des relations de ces dernières avec l’administration.
Dans ce domaine, il semble qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Entre les textes et la réalité le fossé se creuse chaque jour.
Pire, de l’avis de presque tous ceux qui ont été appelés à travailler avec les codes actuels, le décalage entre les exigences du terrain et de la société d’une part, et le contenu des textes, d’autre part, ne fait plus mystère.
Ces textes qui ont pris l’aspect de mirage depuis que le département de l’Intérieur a commencé à en parler au lendemain des élections locales de 2002 sont impatiemment attendus par tous les élus d’autant plus que les codes actuels ne permettent pas de régler de façon juste, loyale et définitive les conflits de compétence et de fonctionnement qui surgissent régulièrement au sein des instances élues ou entre ces instances et les institutions administratives (wilaya, daïra).
Cependant, même dans le cas où les deux nouveaux codes sont débattus, adoptés et ficelés selon un calendrier raisonnable, le ministre délégué aux Collectivités locales annonce leur entrée en vigueur pour …2012, c’est-à-dire que ce sont les nouvelles assemblées issues des élections prévues à cette date qui les mettront en application. Dans la foulée, un nouveau code électoral-auquel se greffera probablement une nouvelle loi sur les partis politiques- est en voie d’élaboration.
Le professeur Yellès Chaouche Bachir montera en épingle certaines tares de la manière algérienne de légiférer :
« Ce sont les technocrates qui promulguent les lois et les révisent, notamment la loi électorale, alors que c’est un rôle qui doit incomber aux élus. Cela pose un réel problème de représentativité (…) Au lieu que ce soit le gouvernement qui propose les lois, il se trouve que le Premier ministre délègue ce rôle aux ministres qui, à leur tour, le délèguent à des bureaux ou cabinets spécialisés composés de technocrates qui ne se référent jamais aux élus dans leurs élaborations».
Le rapport de la commission S’Bih à la rescousse ?
L’impérative nécessité que l’Algérie soit dotée d’une administration forte, efficace et décentralisée, pouvant se mettre au diapason des nouveaux enjeux induits par la démographie du pays, la mise en œuvre du Schéma national de l’aménagement du territoire et l’insertion de l’économie algérienne dans le marché mondial avec les coûts les moins préjudiciables pour la société et l’État, ces orientations ont été déjà exprimée à plusieurs reprises par le autorités politiques du pays.
Cela prend un accent particulier dans le contexte de la tension sociale et politique qui commence à prendre en étau le pays et dans le contexte régional de l’aire des pays arabes où les pouvoirs tyranniques et les structures obsolètes sont violemment remis en causes par les populations.
Le citoyen, malmené par les difficultés de la vie quotidienne (chômage, recul du pouvoir d’achat, difficultés d’accès aux soins et à la formation,…) ne peut pas ajouter foi à de simples projections ou spéculations. Il y a même des phénomènes qui l’invitent à plus de pessimisme lorsqu’il constate que, depuis les dernières élections locales de novembre 2007, sa commune est toujours prise en otage par les luttes interminables entre élus ou entre ces derniers et une partie du pouvoir exécutif. Retrait de confiance, blocage des délibérations, poursuite de la gestion opaque des affaires de la collectivité…etc.
Des communes ont fini par être gérées temporairement par le chef de daïra, représentant de l’État supposé être le plus proche des citoyens. Daho Ould Kablia, lorsqu’il était ministre délégué aux Collectivités locales, avait livré un constat peu flatteur de la marche des assemblées populaires communales. Manque de formation des élus, dilution des responsabilités, corruption, mauvaise prise en charge du foncier, inadéquation du Code communal en vigueur avec les nouvelles réalités du pays et une kyrielle d’autres problèmes qui, à la fin, prennent en otage la collectivité tout entière. Quels que soient les efforts fournis pour améliorer les codes de la commune et de la wilaya, ces derniers demeureront tributaires des réformes générales dont sont censées bénéficier toutes les institutions et les structures de l’Etat. C’est un tout solidaire dont on ne peut séparer les maillons.
Les nouveaux défis posés par les réformes de l’État et de l’économie du pays mettent d’une manière franche sur la table les questions de la gestion des territoires et de la gouvernance locale.
Au niveau de l’administration centrale (ministère de l’Intérieur, Chefferie du gouvernement, présidence de la République), des initiatives de modernisation de l’administration et de la gestion des affaires de la collectivité ont été ébauchées.
Depuis quelques jours, l’on parle même de dépoussiérer le rapport de la commission de M.Missoum S’Bih des réformes de l’Etat. Cette commission a été constituée par le président Bouteflika au début des années 2 000 au même titre que la commission des réformes de l’école (confiée au Pr.Benzaghou) et la commission des réformes de la justice (confiée au Pr.Mohand Issad).
La commission des réformes des missions de l’Etat et de ses structures avait abordé toutes les problématiques liées à la gestion de l’Etat : institutions administratives, Fonction publique, instances élues, volet de la formation et des ressources humaines, décentralisation, nouveau découpage du territoire national,…
Amar Naït Messaoud

