La langue, la parole et les métiers en Kabylie

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Par Abdennour Abdesselam:

Toutes les langues africaines particulièrement sont nées au contact des métiers. Quelque part en Afrique on dit : « Le forgeron forge la parole, le tisserand la tisse, le cordonnier la lisse en la corroyant ». Aussi, en Kabylie les métiers traditionnels et même actuels (qu’il s’agisse de travaux de champs, du battage du blé de la cueillette des olives et autres fruits…) tous sont la circonstance particulière au cours de laquelle nait, se dit, se fait, se refait et se chante la parole. Ces métiers sont le lieu privilégié pour la création du langage qui reste toujours à compléter et à parfaire pour multiplier encore plus les réussites du verbe. La parole et le geste, ce tout indissociable, se complètent pour d’avantage développer la langue. Par cette heureuse combinaison du verbe et du geste, le sociologue Marcel Jousse désigne ces praticiens de « verbomoteurs ». La science de la linguistique s’appuie très justement sur ces données pour éclairer, expliquer et pourquoi pas justifier les phénomènes par lesquels se construisent les langues. La parole a toujours accompagné le montagnard du Djurdjura dans les différents façonnages et usages qu’il fait des éléments et matériaux langagiers qui s’offrent à lui et justement, les métiers ont pendant longtemps été les complices de la parole. Aussi, il n’est pas un hasard où le montage d’une multitude de décors folkloriques lorsque durant les diverses manifestations culturelles les associations exposent, en entourant de tous les soins, les outils et objets anciens qu’elles recueillent un peu partout. Ces objets, ces outils disent plus que des mots par lesquels on les nomme. Ils renseignent et enseignent comment ils ont accompagné l’homme dans l’effort et l’affront face à la rude vie des hautes montagnes. En Kabylie, la parole est perçue, voire conçue pour être un modèle régulier de la vie dans la cité. Toute la société kabyle est organisée autour de la langue portée par une parole pensante. C’est ce qui a fait dire à Mouloud Mammeri : « … la civilisation kabyle est une civilisation du verbe » (lsas n teqbaylit d awal). Pendant longtemps et comme seul moyen de conservation de la langue berbère, la parole aux métiers, la parole des métiers a fait que nous ne sommes pas un peuple aphone.

Abdennour Abdesselam (kocilnour@yahoo.fr)

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