Le poids de la volonté politique

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Parmi les points soulevés par le discours du président de la République adressé à la Nation le 15 avril dernier, figure en bonne place celui relatif à la réforme de l’administration et à la lutte contre la bureaucratie

En effet, dans le grand malaise qui grève de son poids l’évolution de la société la bureaucratie figure en bonne place. Elle a freiné les élans des volontés les mieux affirmées et perverti les valeurs du travail les mieux établies.

Qui dit bureaucratie dit ipso facto corruption et concussion. Les manifestations juvéniles de janvier 2011 ont, outre l’impasse sociale et économique qu’elle met en évidence, révélé au grand jour le fossé existant entre la société et l’Etat, entre gouvernants et gouvernés.

Si le terme générique de « bureaucratie » est souvent employé pour accabler les institutions administratives, il n’a pas, cependant, l’avantage de la lisibilité. Il dit tout et rien à la fois. Et, lorsque, à l’impasse socioéconomique qui barre la route à la promotion de notre jeunesse, se greffent de graves archaïsmes administratifs, le compte est bon pour une inévitable bombe à retardement.

Certes, partout dans le monde où les appareils et les structures de l’Etat ont été appelés à subir des mutations commandées par l’histoire et l’évolution sociale, ce sont d’abord les segments économiques et commerciaux qui donnent le “la” du fait d’une flexibilité intrinsèque de ces deux domaines d’activité.

Cependant, au bout de quelques changements ayant abouti à une adaptation partielle de l’activité économique aux mouvements de crise ou d’instabilité le souffle et la dynamique du point de départ se perdent en cours de route. Car, il ne peut y avoir d’évolution ou de changement que dans un cadre social et administratif évolué susceptible d’affronter les nouvelles réalités sur la base d’une vision lucide et presque prémonitoire de l’environnement actuel et des perspectives immédiates.

La mère des réformes

Il y a lieu d’observer que, au cours des dix dernières années, beaucoup d’actes et de mode de gestion, de méthodes de travail, de contractualisation et de techniques industrielles ont vu le jour dans la sphère économique et commerciale, sans pour autant que le cadre administratif dans lequel évoluent ces paramètres ait été touché et remanié dans sa substance.

Or, pour l’ensemble des analystes de la scène économique et politique algérienne, la réforme en profondeur de l’administration publique demeure une condition sine qua non de toute évolution ou relance économique durable.

Le pseudo-débat dont a fait l’objet jusqu’ici l’administration s’est focalisé quasi exclusivement sur les nouvelles règles de la Fonction publique et grilles salariales qui sont censées en découler sous formes de statuts particuliers pour une cinquantaine de corps de métier. Promulguée en 2007, la nouvelle loi relative à la Fonction publique n’a pas encore pu bénéficier de l’application intégrale de ses dispositions et clauses et, ce, pour une raison de poids : les statuts particuliers de différents secteurs émargeant au budget de l’État ne sont pas tous prêts. D’autres ont vu leur adoption ajournée en raison de certaines incohérences que contient le document de propositions élaboré les partenaires sociaux. Au vu de cette situation, depuis avril 2008, ce sont des statuts transitoires qui ont cours dans la plupart des administrations publiques. En principe, la régularisation n’interviendra qu’après l’adoption des statuts particuliers des secteurs concernés.

Depuis la mise en branle des procédures relatives à la Fonction publique, le dossier prenait à fur à mesure les allures d’un sujet explosif. Étant, depuis le milieu des années 1990, soumis au droit de regard du Fonds monétaire international (FMI) par l’intermédiaire duquel l’Algérie procéda au rééchelonnement de sa dette extérieure, ce volet important de l’administration et de l’économie du pays a eu une histoire chaotique qui avait installé avant l’instauration de l’autonomie des entreprises publiques en 1988 et le divorce structurel de l’État d’avec le parti unique du FLN, une confusion totale et durable entre les structures administratives de l’État, symbole de sa souveraineté et instruments de la puissance publique, et le reste de la sphère économique et idéologique.

En d’autres termes, les permanents du parti émargeaient au budget de la fonction publique et les entreprises publiques recevaient des subventions du Trésor public. Ce parcours imposé par la grâce de l’économie administrée n’a subi l’évolution dictée par les nécessités du monde actuel qu’au prix de déchirements qui ont déteint sur la marche des entreprises et de l’administration elle-même.

Après ce découplage qui préfigurait d’autres formes d’évolutions tendant à assurer à l’administration son autonomie et à lui conférer les attributs de puissance publique, la Fonction publique se heurtera à moult écueils charriés par la libéralisation de l’économie, la nécessité de stabiliser les indicateurs macroéconomiques et l’impérative adaptation aux différents changements qui ont affecté le paysage économique et social du pays.

Avec plus d’un million et demi de fonctionnaires civils, paramilitaires et militaires, payés sur le budget de fonctionnement de l’État, et avec des milliards de dinars destinés chaque année à l’alimentation du budget d’équipement piloté par cette même administration, plusieurs thèses se sont entrechoquées pour appeler à des dégraissages massifs dans ce corps, ou bien encore au maintien de l’emploi, mais sans une analyse approfondie des véritables missions dévolues aux structures de l’État dans l’étape historique qu’il traverse. Une chose est sûre : avec un tel nombre d’employés, l’État demeure le premier employeur du pays.

Diagnostic peu flatteur

Néanmoins, un traitement purement statistique de ce dossier ne risque pas de toucher aux véritables problèmes qui couvent dans la Fonction publique. Pire, elle risque même de les voiler face aux enjeux de l’ouverture économique et des défis de la mondialisation. C’est pour dépasser cette approche tronquée que le président Bouteflika avait confié au début de son premier mandat, le travail d’investigation sur ce secteur vital de la vie de la Nation à une commission présidée par une éminence en la matière, M. Missoum S’bih, actuel ambassadeur d’Algérie à Paris.

Le diagnostic de l’administration algérienne s’était figé un certain moment sur certains symptômes extérieurs : inflation du personnel, bureaucratie et archaïsme des méthodes de travail. La Commission est allée plus loin dans ses investigations en faisant état de la médiocrité de l’encadrement, de l’inefficacité des méthodes de travail, du manque d’adéquation entre la formation scolaire et universitaire avec les véritables missions de service public et de puissance publique et, enfin, des incohérences et travers générés par l’hypercentralisation des pouvoirs de décision aggravés par une division déséquilibré du territoire.

C’est timidement et au compte-goutte que le gouvernement exploite ce fameux rapport pour y glaner, par intermittence, des mesures qui sont encore loin de répondre aux besoins des défis qui se posent à l’administration algérienne. Et pourtant, cela est connu à travers tous les pays du monde, aucune réforme économique n’est susceptible de s’imposer ni, a fortiori, d’avoir le souffle long sans une administration compétente, efficace, décentralisée et ouverte sur les méthodes modernes de gestion.

Outre le personnel administratif par lequel s’exercent la force et la souveraineté de l’État, et par lequel également la collectivité nationale se donne les moyens pour assurer le service public et la solidarité nationale, l’administration présente une dimension spatiale tournée vers la gestion des territoires. L’enjeu est de taille. À l’heure bénie où la population, les organisations de la société civile et les opérateurs économiques misent sur une décentralisation accrue des structures de l’État pour libérer les initiatives locales, instaurer un équilibre régional en matière de développement économique et harmoniser la gestion des territoires, l’impression qui se dégage dans la pratique quotidienne au cours de ces dernières années ne plaide apparemment pas pour une telle vision présentée, un certain moment, comme la solution idéale pour une gestion rationnelle des ressources et pour une véritable intégration nationale basée sur les spécificités régionales et la complémentarité dans l’ensemble national.

Amar Naït Messaoud

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