Il y avait de la joie, des souvenirs et beaucoup d’émotion lors de ce rendez-vous littéraire au théâtre de Bgayet. Les invités de samedi dernier étaient des acteurs du mouvement berbère, ceux qui ont structuré la révolte kabyle d’avril 80. Toutefois, il y manquait deux figures et non des moindres, Saïd Khelil et Arezki Aït Larbi, pourtant annoncés.
La grande salle du TRB n’a pas suffi pour accueillir ce large public assoiffé de ce genre de rencontres. On notera la présence de vieux militants de la cause amazighe, des enseignants, inspecteurs, animateurs de la société civile, le député Belkacem Lounes mais, aussi, l’éminent professeur Kamel Bouamara, un habitué de ce genre de rencontres.
Dans un kabyle bien articulé notre premier conférencier, en l’occurrence M. Oussalem Mohand Ouamar, enseignant d’économie à l’époque, fait une rétrospective en revenant sur la période d’avant le printemps berbère. Pour lui, la question du déni identitaire, au lendemain de l’indépendance, et le mépris manifesté à travers la politique linguistique qui a effacé tamazight des objectifs de l’Etat, a poussé l’élite (kabyle) à rejeter toute forme d’arabisation. La répression culturelle était maintenue, allant jusqu’à l’interdiction d’une pièce théâtrale de Kateb Yacine adaptée en kabyle par Benmohamed, pour cause d’« atteinte aux acquis de la révolution ». Pour notre économiste, le constat aujourd’hui est difficile :« nos locuteurs ne maîtrisent aucune langue ! », il explique cela par le phénomène du code mixing chèr à la sociolinguistique, un langage hybride est créé usant de structures grammaticales des langues étrangères en une forme de néo kabyle. Cela est une manœuvre de l’Etat pour pousser notre langue à l’autodestruction, car, selon l’orateur, «Tamazight ne doit pas seulement être une langue à enseigner, mais aussi une langue d’enseignement», pour cela, il ne cache pas son rêve d’enseigner Tadmsa (l’économie) à l’université dans la langue de Si Mohand ! Aziz Tari, deuxième intervenant, qui fut un incontournable acteur de tafsut imazighene, était, à l’époque, étudiant en sciences exactes et, en même temps, dans la structure du comité autonome des étudiants de l’université de Tizi-Ouzou, a présenté son témoignage. Toute en faisant l’éloge de M. Oussalem, et dans la continuité du discours de celui-ci, Tari dira: «On a grandi dans le mépris et dans l’interdit ! On n’a pas choisi de faire le 20 avril ». Notre orateur dira aussi que «l’ouverture de l’université de Tizi-Ouzou était un tournant décisif dans la lutte pour la démocratie. Car, selon lui, cela a permis de créer des espaces politiques et culturelles, mais surtout à converger l’élite kabyle, cela sans nier le rôle important qu’a joué la génération de berbéristes représentée par ce même Oussalem qui activait depuis Paris. Le mérite revient aussi à la grève «politique» d’un mois, initiée par les étudiants pour aboutir, pour la première fois dans l’histoire, aux comités autonomes, ce qui est considéré à l’époque comme un acquis majeur. L’ex-détenu de Berouaghia se laisse dire : «On a gagné une grande bataille, celle de la convergence contre un pouvoir qui a fait de la division une référence constante. Dans ce même contexte, on a su comment gérer et déjouer les mauvais plans de ce pouvoir de l’époque qui versait dans la provocation et cela grâce à notre élite et à sa maturité politique ». Pour nos deux conférenciers, le procès est évident, « le mérite revient au printemps amazigh qui a jeté les jalons d’une nouvelle Algérie. Il a, non seulement, permis l’ouverture des espaces d’expression, mais aussi, redonné la fierté aux kabyles et ouvert les questions autour de la laïcité et de la pluralité et le plus important, c’est qu’il a fait de Tamazight une question irréversible sur l’échiquier politique.
Yacine Zidane

