«On ne peut pas écrire l’histoire de la Kabylie sans référence à la sociologie…»

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Féru de l’Histoire et surtout de sa réhabilitation, Djamel Aït Iftène nous livre dans cet entretien ses visions de la donne historique qu’il traite à travers ses différentes œuvres cinématographiques, faites surtout de documentaires. Il a réalisé un film-documentaire de 51 minutes sur le Royaume de Koukou, plus exactement sur Ahmed Oulkadi. A travers cette réalisation Djamel, a contribué à la réhabilitation d’un personnage historique que même l’auteur évoque en soulignant qu’il est «victime d’un véritable hiatus historique». Djamel informe aussi sur ses autres projets dans le domaine.

La Dépêche de Kabylie : Ahmed Oulkadi, un roi kabyle, est votre nouveau documentaire, pourquoi avez-vous choisi ce personnage qui est presque oublié ?

Djamel Aït Iftène : La raison de ce choix est simple et compliquée à la fois. D’abord j’ai toujours aimé l’Histoire en général et l’Histoire de ma région, la Kabylie, en particulier. Quant à Ahmed Oulkadi c’était un concours de circonstances si j’ai commencé par lui. L’aventure (parce que c’était une aventure) a commencé par un reportage fait dans le cadre de mon agence de production audio visuelle (Nova Film Production Algérie), mais pendant le tournage, le Royaume de Koukou revenait dans toutes les réponses. C’est de là que j’ai décidé de fouiller plus en profondeur ce sujet d’autant plus qu’il ne suscitait que très peu d’intérêt chez les chercheurs.

Pourquoi Ahmed Oulkadi, un roi kabyle ?

Franchement, au début je voulais faire un film documentaire sur le Royaume de Koukou, mais je m’étais vite rendu compte qu’il était impossible de tout traiter dans un seul documentaire de 52 minutes, alors j’ai opté pour Ahmed Oulkadi qui était la figure emblématique de cette dynastie d’Ath El Kadi et que cet homme d’envergure malgré son rôle important dans l’Afrique du Nord centrale du XVIe siècle est ignoré dans l’écriture de l’Histoire officielle. Il est victime d’un véritable hiatus historique. Quant au titre du film, il n a pas été choisi par hasard. Je pense que c’est le seul titre qui convienne puisque réellement on ne peut pas qualifier le «Royaume» de Koukou de berbère, ça serait installer une confusion avec les royaumes berbères de l’époque. Le territoire du royaume de Koukou se limitait à la seule haute Kabylie. Et je savais que je prenais un risque avec ce titre mais je crois qu’il faut avoir le courage de ses opinions et dans tout travail de cette envergure l’auto- censure guette !!!

Vous avez participé au dernier Festival du film amazigh, organisé à Azeffoun, avez-vous décroché un prix, quelle était la réaction du jury ?

Effectivement j’ai participé au dernier Festival du film amazigh avec ce film. D’abord toute expérience ne peut être qu’enrichissante, surtout lorsqu’on est au début d’un parcours. La rencontre avec des gens du métier, avec les organisateurs du festival, avec la population d’Azeffoun était très agréable mais je reviens de cette manifestation avec un goût amer et beaucoup de déception, pas parce que je n’ai pas décroché la récompense (franchement je ne l’attendais pas beaucoup, vu le sujet que j’ai choisi de traiter : remettre en cause l’Histoire officielle), mais par le fait que la récompense suprême n’a pas été décernée pour cause déclarée de médiocrité des travaux présentés, ce qui est à mon humble avis, pas le cas, surtout en ce qui concerne les documentaires, quatre ou cinq méritaient amplement l’Olivier d’or. Je pense que ce n’est pas de cette façon qu’on encourage un cinéma naissant, souffrant du manque de moyens et d’un manque flagrant d’une politique cinématographique qui permettrait non seulement au cinéma amazigh de progresser mais aussi au cinéma algérien moribond. A Azeffoun, la plupart des réalisateurs étaient jeunes, ils avaient besoin d’être encouragés et honorés. J’ai peur qu’il y ait un effet néfaste même si je n’en disconviens pas, le jury est souverain.

Votre documentaire est un regard sociologique et anthropologique sur une période vécue en Kabylie. Sur quels «supports» avez-vous construit votre orientation historique lorsque l’on sait que la période du règne d’Ahmed Oulkadi est complètement ignorée dans les annales de l’Histoire ?

Plus haut je parlais de véritable aventure, c’était un parcours semé d’embûches. Outre les travaux d’historiens comme Heido, Grammond, Charles André Julien, Genevois ou Boulifa pour ne citer que ceux-là je me suis très vite rendu compte que l’on ne peut pas écrire l’Histoire de la Kabylie sans référence à la sociologie, à l’anthropologie et même à la linguistique, toutes ces disciplines m’ont permis de comprendre les faits de m’éloigner de la légende et du mythe. Trois années de recherches et recoupements ont été nécessaires pour arriver au bout de ce travail qui reste perfectible. Mais, je suis satisfait, je voulais faire sortir cet homme de cet oubli injuste et mettre fin à ce hiatus. Maintenant, c’est chose faite. Je n’oublierai pas de signaler l’aide précieuse du Dr. Nait Djoudi Oulhadj, qui a été mon autorité historique et académique, je ne le remercierais jamais assez pour son aide, sa modestie et surtout sa disponibilité. Le public a, à chaque fois, réservé un accueil formidable à mon film. Toutes les projections ont été suivies d’un débat souvent extraordinaire. Maintenant, aux historiens de donner une suite à cette mission.

Dans quelles conditions avez-vous réalisé votre documentaire ?

J’ai la chance de gérer une agence de production audio visuelle, c’est cela qui m’a permis de mettre les moyens techniques nécessaires (montage, prise de vue…). Le cinéma étant un travail d’équipe, la mienne est composée de jeunes que j’ai convaincus de tenter l’aventure avec moi, et tous ont travaillé bénévolement pour l’instant. Même Makhlouf Gouatsou qui a prêté gentiment sa voix en Kabyle a pris l’aventure avec nous malgré toutes ses occupations. Mais l’épine dorsale de toute la technique c’est mon jeune fils Massinissa qui a travaillé comme un forçat pour mener à bout cette œuvre. Je ne peux pas nommer un à un tous les éléments de l’équipe, mais ils ont ma considération et ma gratitude. Pour l’écriture et la recherche, comme je l’ai dit, trois ans ont été nécessaires.

Vous avez dit, en aparté que le documentaire est réalisé en plusieurs versions, donc, kabyle, français, arabe&hellip,; sera-t-il commercialisé ?

Effectivement, le film a été réalisé en plusieurs versions : kabyle, français, arabe algérien et même en espagnol en vue de sa participation éventuelle au festival de Valences. Pour sa commercialisation, il interviendra plus tard, pour l’instant j’essaie de faire un maximum de salles à travers le territoire national et dans les maisons de la culture qui m’inviteront. J’en profite pour lancer un appel aux directeurs, pour la programmation de ce film dans leurs établissements. J’aimerais aussi que ce film passe sur les chaînes de télévision qu’elles soient nationales ou même internationales. Enfin, après toutes ces étapes, il sera commercialisé en DVD, avec bien sûr la peur au ventre de le retrouver le lendemain sur les trottoirs en format DVIX à enrichir les pirates.

Avez-vous d’autres projets dans le domaine ?

Avec moi les projets ne manquent pas. J’ai décidé d’une série de documentaires sur l’Histoire de la Kabylie. La réalisation de plus de 300 minutes, partagées en six films.

Actuellement je suis sur l’écriture d’un documentaire sur Mohya, je dois me déplacer en France pour des tournages et pour ce projet je suis à la recherche de finances et de sponsors, l’appel est lancé.

Un mot pour conclure ?

Je vous remercie d’abord pour l’intérêt que vous portez à mon film, je remercie votre journal pour tous les efforts qu’il fait en direction de notre culture. Je ne remercierais jamais assez, toute mon équipe, le docteur Nait Djoudi et toutes les personnes qui ont cru en moi et en mon projet à l’exemple de M. Bensider Mohand Ameziane, ancien élu APW de Tizi-Ouzou qui m’a aidé et qui a permis le démarrage de cette réalisation. Sans oublier les gens du HCA ainsi que les habitants de Koukou et d’Achallam qui nous ont beaucoup aidé lors de nos tournages.

Propos recueillis par M. Mouloudj

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