De la sacralisation au figement stérilisant

Partager

C’est à cette problématique que tente de répondre Me Rachid Ali Yahia, militant invétéré de la cause nationale, un «historique» de la mouvance «berbériste» qui ne doit pas être confondu avec son très médiatique frère, dans son ouvrage Réflexion sur la langue arabe classique.

Comment une langue fabriquée de toute pièce, une langue qui « n’est l’outil de communication d’aucun pays » est-elle parvenue, à travers les institutions idéologiques de l’Etat, à se hisser au rang de langue nationale et officielle ? C’est à cette problématique que tente de répondre Me Rachid Ali Yahia, militant invétéré de la cause nationale, un «historique» de la mouvance «berbériste» qui ne doit pas être confondu avec son très médiatique frère, dans son ouvrage Réflexion sur la langue arabe classique. Langue maternelle, langue véhiculaire, d’élites ou populaire, la question linguistique demeure un champ d’investigation majeur sur lequel, spécialistes, ou non, se sont attelés. Cette question demeure d’autant plus problématique lorsque s’en ajoute celle des langues dites minoritaires. Elle constitue, également, un enjeu politique instrumentalisé par les pouvoirs lorsque se pose le problème de leur statut. Rejoignant les spécialistes, pour lesquels le sort d’une langue dépend pour l’essentiel des sphères dominante, l’auteur affirme, quant à l’arabe classique, que : « C’est une langue élitiste, imaginée par les savants de l’aristocratie arabe mecquoise, soucieuse de la préservation et du développement de ses intérêts particuliers ». Désacralisant l’idée qu’il s’agit là de langue divine, Maître Ali Yahia n’hésite pas à rappeler que le Coran a été révélé dans la langue du Hidjaz, le parler de la Mecque et non en arabe classique. Qu’en est-il du choix de cette langue par les états dits arabes? A la lecture de l’ouvrage en question, l’on comprend que cela relève de trois motivations. La première renvoie à ce caractère religieux attribué à cette langue et qui lui confère une sacralité rendant toute approche critique inenvisageable. Un «argument» que l’auteur réfute : «Toute sacralisation extrait son objet, ici la langue, à toute évolution. » Parlant du Coran, il écrit que : «Ceux qui s’opposent à sa traduction l’ont desservi, ils ont nui à sa juste et à sa meilleure compréhension et, probablement, à son épanouissement et à son rayonnement ». La deuxième motivation est d’inspiration panarabe. Ici, l’auteur affirme que l’idéalisation de cette langue « vise à la résurrection, sous une forme nouvelle, du Khalifat arabe, injustement idéalisé », une résurrection qui s’est matérialisée dans la Ligue Arabe qui, soutient-il, « n’a qu’une existence fantomatique vouée à disparaître ». Maître Ali Yahia fait œuvre d’historien en retraçant les fondements et les traits propres au Khalifat arabe. Il écrit ainsi que : « Le Khalifat arabe, dans sa réalité a fondamentalement pris, très vite, les caractéristiques d’un empire féodalo-esclavagiste ordinaire, avec tout ce qu’il a d’exécrable ». Rachid Ali Yahia ne lésine pas sur les mots et soupçonne, derrière ce néo-Khalifat, une espèce de projet néocolonialiste. « Cette résurrection, tirée du panarabisme, n’est qu’une forme de néocolonialisme arabe, et ne peut être profitable qu’aux pays du Proche et du Moyen-Orient, puisque les pays d’Afrique du Nord sont dépréciés et affligés de suivisme, et sont fatalement voués à la dépendance », affirme-t-il. La troisième motivation est, quant à elle, à prétention nationale, argument rejeté également par l’auteur, puisque l’arabe classique n’a réussi à s’imposer nulle part comme moyen de communication. L’auteur fait du rejet de l’arabe classique, au profit de l’arabe algérien et du berbère, un devoir « patriotique », « social » et « démocratique ». Il précise, cependant, à propos de ces deux langues, qu’elles «ont besoin, dans de nombreux domaines de la vie sociale où elles ne sont pas prêtes, de langues étrangères, bien performantes, tout en gardant leur statut de langue étrangère ». Pour l’auteur, « cette langue ne peut être que le français, pour ce qui est de l’Algérie.» Le parallèle est également établi avec le destin du latin classique, qui a donné naissance aux langues romanes qui ont fini par s’imposer sous l’impulsion de la bourgeoisie montante et de la classe ouvrière. Le latin, quant à lui, est resté confiné dans le giron de la noblesse et est principalement une langue liturgique.

N. Guemghar

Partager