Le camp de Lokri raconté

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Si l’histoire porte sur le passé elle est écrite par et pour les hommes du présent. Pour que nul n’oublie, il est de notre devoir de ressusciter pour les besoins de la mémoire les atrocités et les crimes de l’armée française. Le cas du camp de torture de Lokri à Amdoune n’Seddouk où les tortionnaires infligeaient les pires châtiments inhumains jusqu’à ce que mort s’en suive, sont toujours vivaces chez certains qui gardent encore un goût amer de ces geôles de la mort. Aït Khelifa Akli, un orphelin de père et de mère à l’âge de 4 ans et fils du Chahid Aït Khelifa Mehdi, l’un des quatre fusillés du camp de torture de Lokri, raconte ce qu’il a appris de son grand-père : «Ils prévoyaient un rassemblement pour expliquer à la population le mouvement révolutionnaire qui ne cesse de prendre de l’ampleur dans les maquis et inviter par là même les hommes et femmes à se mobiliser derrière la révolution, qui en rejoignant le maquis, qui même en restant civil, travaillera pour la cause nationale. Un traître, n’a pas hésité alors à informer les militaires français qui ont tendu le jour «j» une sourcilière aux moudjahidine en mobilisant un important arsenal militaire, quadrillant les villages de Tibouamouchine et de Seddouk Ouadda. La forte mobilisation était soldée par la capture de quatre moudjahidine que les militaires français ont conduits au centre de tortures de Lokri où ils leur ont fait subir les pires atrocités, puis ils les ont fusillés et enterrés dans une fosse commune. Il s’agit des martyrs : Aït Khelifa Mehdi, Beddar Mohand Cherif, Ouchadi Rabah et Seghir Ahcène. Arrivés au camp, les militaires s’en donnèrent à cœur joie de maltraitance sur leurs victimes en utilisant les châtiments les plus abominables pour les faire parler, mais les valeureux moudjahidine étaient restés de marbre sans souffler mot sur leurs camarades maquisards. Les prisonniers passèrent alors sous la matraque, sous le ceinturon, sous les poings qui frappaient sans arrêt, les projetant contre le mur, au sol, les relevant, leur crevant les visages ensanglantés. Ils gémissaient à demi-morts de douleur pendant que leurs figures éclataient comme des grenades sous les coups de leurs bourreaux qui se déchaînaient. Les prisonniers crachaient le sang sous les coups de poings, leurs joues enflaient et saignaient et malgré tout cela, ils ne livraient aucun renseignement sur leurs frères qui puissent intéresser leurs bourreaux. L’officier ordonna alors d’autres méthodes : la torture individuelle. Commençant par la gégène. Deux bouts des fils électriques étaient reliés à une dynamo et les deux autres pinçaient la chair du prisonnier. Le tortionnaire lâchait des charges électriques qui font vibrer tout le corps de la victime qui hurlait de douleur. Puis, la tête était immergée dans un baquet d’eau savonneuse, le prisonnier titubait, étouffait, même près de l’évanouissement, mais le tortionnaire ne s’arrêtait pas. Ensuite, le prisonnier était ligoté avec une corde et deux soldats, tenant chacun un bout, tiraient de toutes leurs forces jusqu’à ce que la peau saigne. Enfin, le prisonnier était mis contre le mur et claustré dans une boite de bois en forme de cercueil dont l’ouverture était déposée contre la cloison pour maintenir le prisonnier debout. La victime, non seulement ne pouvait pas s’échapper mais encore n’avait pas de place pour s’asseoir. Et quand il s’effondrait, vaincu pas la fatigue, il devait se reposer dans cette position, tordu contre la paroi de bois. C’est une cellule où le prisonnier vivait infernalement en diagonal pendant des jours. La sentinelle, toutes les deux heures, pour vérifier que le prisonnier est toujours vivant, lui demandait de lever les mains et les poser sur le bord supérieur. Pour s’amuser, elle frappait les doigts crispés du prisonnier avec la crosse métallique de son fusil. La victime devait maintenir sous les coups ses deux mains tendues et ses doigts ensanglantés même si cette sentence durera indéfiniment. Avec toutes ces tortures, les prisonniers ne dénoncèrent pas leurs camarades encore dans les maquis. Leur bravoure, leur opiniâtreté ne feront qu’exaspérer les militaires qui ont décidé de leur liquidation. C’était au mois d’Août 1956. Un matin, ils sortirent les quatre prisonniers à proximité du camp, leur donnèrent des pelles et des pioches et leur ordonnèrent de creuser une tranchée. Une fois la fosse creusée, ils les alignèrent sur le bord de celle-ci et des soldats, alignés aussi à 10 m en face d’eux avec fusils, lâchèrent une valse de rafales sur les victimes qui tombèrent dans la fosse. L’officier ordonna alors à d’autres prisonniers de les ensevelir avec de la terre. En 1993, comme la fosse se trouve dans une parcelle de terre appartement à un privé et où des habitations commençaient à s’ériger, j’ai décidé d’exhumer leurs ossements pour les ré inhumer au cimetière populaire du village de Tibouamouchine. Un mausolée leur fut construit avec au centre, une plaque commémorative comportant la transcription de leurs noms. Lors de l’exhumation, on a trouvé par loin des ossements des quatre fusillés, les ossements d’un Chahid anonyme qu’on a ré inhumé avec ses compatriotes. Probablement, l’endroit pullule de cas isolés comme celui-là. Ces combattants de la première heure étaient morts pour l’indépendance du pays afin que notre peuple vive libre et indépendant. Un serment atteint au prix d’un lourd tribut : 1.5 millions de Chouhada laissant derrière eux des femmes et des orphelins. Les atrocités et les crimes de l’armée française commis sur le peuple algérien resteront inoubliables et ineffaçables dans nos mémoires !». Gloire à nos martyrs et que Dieu ait leurs âmes et les accueille en Son Vaste Paradis.

L. Beddar

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