Pour quel nouvel ordre politique ?

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Les consultations politiques menées pendant plusieurs semaines depuis le mois de mai dernier ont débouché sur un rapport que le président de la commission de consultations, Abdelkader Bensalah, a remis au président de la République, auteur de l’initiative. Les interrogations et les spéculations commencent déjà sur le fait de savoir si le rapport sera rendu public par la présidence. En tout cas, cela relève du pouvoir discrétionnaire de Bouteflika.

Cependant, l’opinion publique ne s’attend guère à des révélations fracassantes. Elle en a fait même sa propre opinion au fur et à mesure que les convives avançaient à la table de Bensalah ou refusaient de s’y rendre. Trois groupes se sont dégagés alors : les organisations et les partis qui ont conversé avec les trois représentants de la présidence et qui n’ont fait aucun commentaire ou si peu ; ceux qui ont accepté l’invitation, mais qui ont tenu à marquer leur distance de cette initiative, y compris parfois avec de longues contributions dans la presse (c’est comme s’ils ont agi seulement pour s’acquitter de leur conscience) ; il y, a enfin, ceux qui ont décliné dés le départ l’ ‘’offre du pouvoir’’, considérant que c’est là une énième manœuvre du régime pour essayer vainement de noyer les vrais problèmes dans le ‘’périmètre’’ d’une commission.

En déclarant que l’initiative des consultations politiques n’est dictée par aucune pression ou conjoncture- in interne ni externe-, et qu’elle fait partie de la logique de l’évolution politique du pays, quel magique crédit les autorités comptent-elles conférer à ce processus. Et pourtant, le contexte général du pays- révolte de la jeunesse, particulièrement depuis janvier 2011, grèves, protestations permanentes- et la situation régionale caractérisée par ce qui est communément le « Printemps arabe » sont un secret de Polichinelle dont l’influence sur le cours des choses dans les arcanes du pouvoir politique algérien relève de l’évidence qui crève les yeux.

Qu’importe, pour la population et les citoyens, qu’on veuille sauver la face en s’appropriant et en ‘’nationalisant’’ complètement l’initiative des consultations ; pourvu qu’elle aboutisse à des réformes concrètes pour le seul bien du pays. Cependant, à y regarder de plus près, les aléas (défection de certaines parties et réticences d’autres organisations qui ont pris part au processus de consultations) ne peuvent rester sans traces ou sans effets majeurs. C’est pourquoi, l’optimisme des premiers jours-alimenté par l’effet d’annonce- commence à se rogner, même si le président Bouteflika a assuré au cours d’une rencontre avec le Premier ministre, qu’il s’engagera à mettre en œuvre les réformes qui seront issues de la plate-forme des consultations.

Attentisme et surplace

Depuis au moins la dernière élection présidentielle d’avril 2009, la scène politique est entrée dans une phase d’indolence et de confusion sans doute la plus grave depuis l’ouverture politique permise par la Constituions de février 1989. Même l’Alliance présidentielle n’échappe pas à la tourmente. Le FLN étant miné de l’intérieur, le MSP ‘’découvre’’ les vertus de l’autonomie et le RND se présente comme ‘’valeur-refuge’’.

Le ministère de l’Intérieur met en stand-by les dossiers d’agrément des nouveaux partis (probablement dans l’attente de la nouvelle loi sur les partis, laquelle, dit-on, est en gestation).

Confusion, surplace, attentisme et manque de visibilité semble être le lot de la ‘’classe politique’’ algérienne

Le manque de visibilité est alimenté non seulement par des acteurs volages ou protéiformes, mais également par une patente dichotomie entre, d’une part, les potentialités réelles du pays sur les plans de la relance économique et de la modernisation politique, et, d’autre part, la dommageable crispation qui affecte les organes et les ressources humaines censés devoir travailler pour ces nobles idéaux.

Indubitablement, entre les hoquets de la très longue transition économique et la tétanisation de la scène politique, nous avons la nette impression d’avoir affaire à une singulière similitude, somme toute explicable puisqu’elle relève d’une dialectique imparable qui fait que les secondes se nourrissent des premières et inversement. Le secteur informel- générant concurrence déloyale, grave évasion fiscale et risques pour la santé des citoyens- est en train de phagocyter un peu plus chaque jour l’économie structurée animée par une poignée de capitaines d’industrie à qui on n’hésite pas à mettre les bâtons dans les roues. Dans la sphère de l’activité politique, la vacuité et le ronronnement dans lesquels sont plongées des structures et les formations légales, y compris l’Alliance présidentielle et les différentes instances élues, ont laissé place à une grande agitation périphérique qui alimente quotidiennement les commentaires de la presse et la vox populi. Comme dans les lois de la physique des gaz, les acteurs et les gesticulations des nébuleuses politiques informelles tendent- par expansion infinie- à prendre tout l’espace qui leur est octroyé. Les groupes d’intérêts, les associations satellitaires (comme au temps des organisations de masse), les notabilités, tous ces fatras informels, jouent parfois des rôles et disposent d’influences autrement plus importants que les organisations structurées. Autrement dit, l’on est fondé à penser que la ‘’clandestinité’’ n’est pas l’apanage de l’ancien régime autoritaire du parti unique.

Dans un contexte fuyant, il faudrait sans doute avoir une sacrée dose d’ingénuité pour penser que les textes de loi (Constitution, Charte pour la paix et la réconciliation, décret portant instauration de l’état d’urgence,…)- aussi généreux et aussi rationnels qu’ils soient- puissent, à eux seuls, redresser une situation problématique ou installer un climat de sérénité lorsque la culture politique ambiante est fondée sur des combines, des coups bas et des intérêts rentiers colossaux.

Les ratés de la Réconciliation nationale

Il y a six ans, le président Bouteflika fit voter par référendum le texte sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Cet instrument juridique et à portée politique certaine a été régulièrement malmené et dénaturé par les différents acteurs-situés à l’intérieur et à l’extérieur des instances exécutives de l’État- si bien qu’il est graduellement dépouillé de son âme et de son panache qui auraient pu l’élever au rang de loi historique de l’Algérie consacrant l’esprit de magnanimité les valeurs de la justice et l’ébauche d’un renouveau national. La fin de la subversion terroriste aurait pu signifier aussi la grande réconciliation des Algériens avec leur Etat, avec leurs institutions (y compris les partis politiques) et avec eux-mêmes. Le pseudo-débat enclenché depuis quelques semaines- dans un climat vindicatif et de tension à l’échelle du monde arabe- pour revendiquer plus de libertés publiques et plus de justice sociale aurait pu trouver meilleure expression et meilleur aboutissement dans le cadre de ce projet de réconciliation nationale.

En République Sud-africaine, la réconciliation menée sous Mandela n’a pas concerné exclusivement les aspects sécuritaires devant mettre fin à la rébellion. Elle a englobé les droits sociaux et économiques de toutes les populations, l’exercice des libertés publiques et les objectifs du développement humain. Ce qui fait la force de ce pays, considéré comme le pays africain le plus développé c’est ce mariage heureux entre la rationalité économique, la justice sociale et l’humanisme politique. Même si certaines distorsions sociales persistent, elles ne sont pas susceptibles de remettre en cause l’harmonie générale de la société ou la vie de la collectivité.

L’on sait que le concept de sous-développement ne se limite pas à son acception économique. Ses ravages sont aussi et surtout à constater dans la situation socioculturelle du pays et dans les pratiques politiques de ses gouvernants, de son élite et de ses élus. Ce qui complique et aggrave la position de l’Algérie par rapport à celle des autres pays sous-développés est incontestablement la nature des enjeux autour desquels gravitent tous les agitateurs politiques. La puissance de la rente pétrolière a conduit à une sorte de statut quo sur tous les plans. Dans pareille situation, les textes juridiques et les autres règlements peuvent facilement apparaître comme des documents superfétatoires.

Amar Naït Messaoud

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