«Amachahou rebbi ats iselhou Ats ighzif anechth ousarou» (Ecoutez, que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil).Perdre ses parents dans la même journée est un grand malheur, qu’ont vécu quatre jeunes filles. Voici leur histoire d’après un conte du terroir. Jadis, la vie était très dure. La plupart des gens étaient très pauvres, certains pour gagner leur vie, allaient dans la forêt ramasser des fagots de bois pour pouvoir les vendre, et pouvoir manger. C’est, en ces temps farouches, que vécut un homme, qui avait une femme et quatre filles à nourrir. Un jour, le couple se rend dans la forêt pour ramasser des branchages et en faire des fagots. Une fois le premier fagot terminé, l’homme, charge sa femme de le ramener à la maison, tandis que lui continue à ramasser du bois pour en confectionner d’autres fagots. S’étant éloigné de sa femme, cette dernière met le fagot sur sa tête. En empruntant un sentier escarpé et mouillé, elle trébuche et tombe dans un ravin. Les cervicales brisées, elle meurt sur le coup. Ignorant le drame, son mari continue sa besogne et s’enfonce dans la forêt. Pour retrouver son chemin, il appelle à haute voix sa femme, mais elle ne lui répond pas. Il insiste. Une ogresse qui vivait là, soudain lui répond en imitant la voix de sa femme. Il se dirige vers l’endroit, et tombe nez-à-nez avec l’ogresse qui lui dit :- “Que fais-tu dans ma forêt ?- Je cherche du bois chère mémée !- Tu vas le payer homme écervelé !- Epargne-moi, je t’en prie, j’ai une femme et quatre filles. Laisse-moi rentrer à la maison, je n’habite pas loin d’ici !”Teriel (l’ogresse) qui n’avait rien dévoré de la journée le happe et n’en fait qu’une bouchée. Restées seules à la maison ses quatre filles sont très inquiètes. Il commence à faire nuit, ni leur mère, ni leur père ne sont rentrés. Se souvenant d’avoir le don de divination, l’aînée lit dans la paume de sa main, et lance un cri :- “Mes sœurs, un grand malheur nous est tombé dessus, notre mère s’est tuée, son cadavre est en train d’être dévoré par des chacals affamés. Notre père quant à lui a été dévoré par Teriel (l’ogresse). Cette dernière est sur nos traces, dans quelques instants elle sera là, vite suivez-moi, fuyons de cet endroit !Mais à l’exception de l’aînée, aucune des trois sœurs ne veut quitter leur demeure. Au milieu de la nuit alors que les quatre filles étaient dans les bras de Morphée, Teriel (l’ogresse) frappe à leur porte, et dit : – “Ouvrez mes filles, je suis votre mère bien-aimée, je suis accompagnée de votre père qui est très fatigué – Ouvrez !- Sautant de sa couche la cadette va ouvrir la porte, contre le gré de l’aînée. Cette dernière ne pouvant rien empêcher, disparaît par une porte dérobée.Une fois à l’intérieur de la masure, Teriel, cale la porte derrière elle pour éviter toute sortie. Déguisée en femme qu’elle était, les filles n’étaient pas effrayées. Mal leur en prit. La cadette est dévorée en premier et les nuits suivantes, les deux autres ont suivi. Après s’être enfuie de chez elle, l’aînée se rend au village d’à côté, et se réfugie dans une demeure cossue. En la trouvant devant sa porte le maître de maison est étonné, il la questionne. Elle lui répond que c’est le hasard, qui l’a envoyée là ! Ce sont les seuls mots qu’il entend, car depuis cet instant elle devient sourde et muette. Subjugué par la beauté de la fille, l’homme riche, lui dit qu’il veut l’épouser. Elle ne lui répond ni oui, ni non, et tombe en apathie au même moment. Intrigué par son étrange comportement l’homme riche se rend chez Amghar Azemmi (le vieux sage) et lui raconte l’histoire de la fille, qu’il veut épouser. Après avoir terminé son récit Amghar Azemmi, lui dit : “Cette fille n’est ni sourde, ni muette, elle est choquée, dans quelques temps elle se remettra à parler !” Rassuré par le vieux sage l’homme épouse la fille, qui au bout d’une année donne naissance à deux jumeaux. Un jour elle prend un de ses enfants et lui dit : – “Ce soir au dîner dis à ton père, de nous laisser tous les trois aller vers l’endroit, où je suis née et où j’ai grandie !”Quand le père rentre à la maison, il est sollicité par son fils, qui lui répète mot à mot, ce que lui a dit sa mère. Il refuse dans un premier temps, arguant que sa mère n’a pas de maison ni de parents. Harcelé par ses deux petits, le père finit par céder. Fortement intrigué, dès que sa femme se met en route avec ses petits, il les suit de près sans se montrer. Quelques heures après, la femme a atteint l’endroit où elle est née. De la masure de ses parents, il ne reste presque plus rien, les herbes folles ont tout envahi. Désespérée, elle se met à pleurer, servant ses enfants contre elle, elle leur dit : – “C’est là, que je suis née, c’est là que j’ai vécue avec mes parents et mes trois sœurs, avant que le malheur ne vienne frapper à notre demeure. Tout le monde est mort, il n’y a que moi qui ait survécu au funeste sort”. Son mari qui était à l’affût, en l’entendant parler sort de sa cachette et lui dit :- J’ai tout compris, à cet endroit, je ferai construire une maison que nous habiterons. A ces mots la femme sourit et cesse de pleurer. Ce qu’elle espérait sans jamais l’avouer va enfin se réaliser”.Depuis cet instant, elle arrête de jouer la comédie, se remet à parler et à écouter, au grand bonheur de son mari et des petits. Désormais elle a une nouvelle famille, et une nouvelle vie, le cauchemar est derrière elle, c’est fini !“Our kefount eth’houdjay i nou pour kefoun ird’en tsemz’ine. As m-elâid’ ametch ak’soum ts h’em’zine ama ng’a thiouanz’iz’ine. » (Mes contes ne se terminent, comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’Aïd, nous mangerons de la viande avec des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).”
Lounès Benrejdal
