Vers quel compromis historique ?

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Depuis le 15 avril 2011, lorsque le président de la République a annoncé dans un discours à la Nation son intention de procéder à des réformes politiques, les médias n’ont guère cessé de ratiociner et de spéculer sur le véritable contenu de ces réformes et sur le degré de confiance que l’on peut accorder au pouvoir politique dans une entreprise délicate consistant, en fin de compte, à se remettre en cause et à travailler pour un jeu politique transparent et régulier

Indépendamment de la hauteur à laquelle pourront être portées l’ambition et l’aspiration des Algériens en matière de réformes politiques, le contenu du projet et la volonté réelle de réformer le système politique importent sans doute plus que le seuil idéal que l’on peut fixer à ces réformes dans une vision “universaliste’’ qui ne tiendrait pas compte des complexités de la situation algérienne en matière de retard politique, culturel et économique.

La teneur des réformes, dont la mission de prendre les avis de la classe politique a été confiée à une commission présidée par Abdelkader Bensalah tourne principalement autour de la nouvelle loi sur les partis politiques, le projet de loi sur l’information, une nouvelle réglementation relative aux associations et, in fine, la préparation d’une nouvelle Constitution. En attendant la révision constitutionnelle, les regards de l’opinion et de la presse sont surtout braqués sur le projet de loi sur l’information qui autorise des sociétés de droit privés à investir dans l’audiovisuel. D’ailleurs, il ne s’est pas passé une semaine que les candidats à l’investissement dans ce domaine ne cessent de s’afficher (El Watan, El Khabar, Mehri, Haddad,…). Au-delà de l’aspect commercial, l’engouement pour l’audiovisuel privé est explicable part une légitime soif des Algériens de se reconnaître dans un organe culturel et d’information loin des télés orientales ou occidentales qui encombrent le ciel méditerranéen. Cependant, outre cette légitime attente populaire, l’on n’a pas entendu beaucoup de voix, dans la cadre justement de ces réformes politiques, appeler à la réforme de l’audiovisuel public de façon à faire correspondre ses contenus aux aspirations de la société et de la jeunesse algériennes. Or, ceux sont les Algériens, par le truchement de leurs impôts, qui payent les salaires des fonctionnaires de l’ENTV et de la radio et les différentes charges afférentes à la gestion des ces structures (immeubles, meubles, matériel technique,…). Plus qu’un droit politique, l’amélioration du contenu des programmes de l’audiovisuel public, ainsi que leur ouverture sur la société les associations et les partis politiques, est une exigence d’une pédagogie culturelle qui incombe au secteur public. D’ailleurs, un des signes de la sincérité supposée des réformes politiques proposées demeurera cette ouverture tant attendue des médias publics lourds sur la société. Tant qu’ils continuent de fonctionner en tant que simple porte-voix du pouvoir politique, il est à craindre que le projet de réformes politique soit vu comme entaché d’un vice rédhibitoire qui en ferait une énième manœuvre de diversion.

Retards politiques et atonie économique

En dépit de grands retards qui affectent la culture politique dans notre pays, l’on ne peut, cependant, nier que l’ouverture du champ politique initié en vertu de la Constitution de février 1989 a pu, malgré les limites et les inattendus avatars de l’entreprise, faire consacrer, ne serait-ce que dans les niveaux les plus modestes de la culture ambiante et dans de rares fonctions administratives, la distinction entre responsable administratif et responsable élu.

Il y a lieu de faire observer que, sous le régime du parti unique, la confusion des rôles et des genres-malgré quelques contorsions de langage et d’inaccessibles subtilités que les textes de référence politique se piquaient d’évoquer (Constitution, Charte nationale,…)- le personnel administratif désigné et le personnel supposé élu par les populations étaient tous les deux honnis, rejetés et voués aux gémonies. Ils étaient le symbole de la gestion tyrannique et clientéliste du pays. Pour les responsables administratifs, le devoir d’allégeance, l’opacité de recrutement et les voies impénétrables d’évolution de carrière furent les règles ‘’éthiques’’ et ‘’déontologiques’’ en vigueur. Quant aux représentants promus par des élections, tous les Algériens se souviennent des coteries, des lobbies et d’un certain esprit féodal qui présidaient aux parodies d’élections, sans insister sur la pratique perverse la plus socialisée, à savoir la fraude électorale. L’arriération politique et culturelle des populations – due à plusieurs facteurs historiques d’avant l’indépendance, mais aussi à la tyrannie de pouvoir instaurée après la décolonisation, en jonction avec une gestion clientéliste de la rente pétrolière- s’est greffée a une situation de sous-développement qui était le destin le lot des jeunes Etats indépendants dans les années soixante du siècle dernier. Le concept de sous-développement appliqué à un certain nombre de pays exprime le plus souvent un retard dans les structures économiques et un faible un niveau de vie des populations. Cependant, ce concept ne peut être limité à cette sphère. Ses effets sont aussi et surtout à constater dans la situation socioculturelle du pays et dans les pratiques politiques de ses gouvernants, de son élite et de ses élus. Ce qui complique et aggrave la position de l’Algérie par rapport à celle des autres pays sous-développés est incontestablement la nature des enjeux autour desquels gravitent une grande partie des acteurs politiques. La puissance de la rente pétrolière a conduit à une sorte de paralysie économique et de paresse intellectuelle.

La voie étroite du contrat social

Ce qui est considéré- dans les théories politiques et sociales connues depuis J.J.Rousseau- comme “contrat social’’ devant lier gouvernants et gouvernés pour un équilibre général de la société où le commandement ne signifierait pas atteinte aux libertés et où la liberté ne remettrait pas en cause l’ordre et la discipline, se trouve dans le cas des pays libérés du joug colonial faussé d’avance. Ce ne fut, dans le meilleur des cas, qu’une belle utopie politique dont se gargarisaient des cercles restreints de l’opposition clandestine. Le postulat du contrat social, par lequel l’individu passe de l’état de nature à l’état civil, entraîne logiquement que la société ne puisse être légitimement fondée que sur les deux principes de liberté et d’égalité. La souveraineté appartenant au peuple, il revient à ce dernier d’en déléguer l’exercice à ces représentants élus. Bien avant le reste du monde arabe, les revendications politiques et la remise en cause de la gouvernance ont bénéficie d’un capital de contestation qui s’est prolongé sans discontinuer depuis octobre 1988. Même aux heures chaudes de la subversion terroriste, et malgré les limites imposées par le pouvoir politique, la société n’a eu de cesse de remettre en cause les schémas de gouvernement et de revendiquer un mieux-être social qu’elle sait qu’il est à sa portée dans un pays aux mille ressources. Cependant, il est vrai que sur le plan de la structuration et de l’organisation interne, beaucoup d’obstacles se sont dressés sur son chemin pour capitaliser les résultats des luttes sur le terrain. Le climat de révolte et de révolution qui règne dans l’aire géographique arabe depuis la fin de l’année 2010 n’est, certes pas, sans déteindre sur l’esprit et le moral des Algériens. Néanmoins, les grandes incertitudes auxquelles font face aujourd’hui les peuples ayant conduit ces révoltes- une véritable boite de Pandore qui ouvre l’appétit de puissances étrangères et de mouvements politiques rétrogrades- appellent indubitablement à une réflexion plus mûre sur les voies et moyens de conduire les changements politiques. Les choses ne sont pas simples, bien entendu. De gros intérêts sont en jeu. C’est pourquoi, par exemple, l’ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, a appelé la semaine passée à une amnistie fiscale en direction des barons de l’informel de façon à pouvoir régulariser graduellement leur activité en l’intégrant dans l’économie nationale. Pour éviter un changement dans la violence, de plus en plus d’acteurs politiques proposent ce qu’on peut appeler un véritable compromis historique, non seulement entre le pouvoir politique structuré et visible et l’opposition dispersée et marginalisée, mais surtout entre les détenteurs des grands capitaux informels et le reste de la société. Car le système rentier algérien a compliqué et dilué le système de représentation politique, de distribution de forces et de localisation de centres de décision. L’initiative prise par le président de la République de soumettre l’examen des projets de loi portant sur les réformes politiques à l’Assemblée populaire nationale n’est évidemment pas approuvée par tous les acteurs politiques.

Cette institution n’est pas reconnue pour sa combativité et ses “distances’’ par rapport à l’exécutif. Longtemps accusée d’être la “caisse de résonance’’ du pouvoir politique, il est malaisé de préjuger des résultats qui seront issus de l’examen des dossiers délicats et historiques qui lui seront soumis dans quelques jours.

Amar Naït Messaoud

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