« Tout ce qui a été dit sur elle n’est pas vrai »

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Le romancier Slimane Saadoun a publié cette année un livre sur l’une des figures emblématiques de la résistance kabyle contre l’occupation française durant les premières années de la conquête, Lala Fatma N’soumer. Le livre est intitulé Lala Fadhma N’Ouerdja.

 La Dépêche de Kabylie : Voudriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Slimane Saadoun : Je suis de Haïzer, un village situé au pied du versant sud du Djurdjura, entre Bouira et Tikjda. Je suis  professeur de français à la retraite. J’écris depuis toujours, depuis le collège, mais maintenant j’ai plus le temps donc j’en profite et laisse libre cours à ma passion.

Parlez-nous de votre ouvrage sur Lalla Fadhma n’Soumer… 

« Lalla n’Ouerdja la révoltée » est un roman historique, c’est-à-dire qu’il se base sur des faits. L’auteur d’un roman historique peut prendre certaines libertés bien sûr, mais il doit rester fidèle aux personnages, aux événements, aux lieux et les dates, au contexte, etc.

Autrement, ce serait de la falsification. C’est pour cela que mes recherches documentaires m’ont pris presque 6 ans. J’ai commencé à me documenter en 2011, j’ai beaucoup lu, je me suis déplacé une trentaine de fois dans la région de Michelet, et notamment à Ouerdja le village natal de Fadhma N’Soumer, j’ai rencontré des dizaines de personnes, j’ai recueilli des témoignages, des chants, des poèmes, des anecdotes et des légendes.

Ce personnage est fascinant et quand on en a fait le tour, on a un sentiment de révolte contre l’injustice historique dont elle est victime.

Et cette prétendue liaison de l’héroïne avec le Chérif Boubaghla ?

Les officiers et les chroniqueurs français de l’époque faisaient tout pour la dénigrer aux yeux de la population et diminuer son influence et son charisme, et c’était de bonne guerre. Le problème est que des auteurs algériens reprennent à leur compte cette mauvaise réputation qu’ont inventée ses adversaires.

Possédée, voyante, légère… En fait, elle était hors norme, c’est vrai. On dit d’elle que c’était une féministe avant l’heure. Elle ne se laissait pas faire, elle faisait fi des interdits qui frappaient les filles et elle les contestait, d’où son surnom de « Lalla n’Ouerdja » qu’on donne encore aux filles qui refusent de se soumettre. Elle a réussi à se faire scolariser dans la zaouïa de son père à une époque où aucune fille ne l’était.

N’oublions pas que nous sommes dans la première moitié du 19ème siècle, dans les années 1830-1850 exactement, dans un village de marabouts extrêmement conservateur, en pleine montagne du Djurdjura, dans une société kabyle misogyne.

Elle a osé refuser de très nombreux prétendants et est allée même jusqu’à refuser de consommer son mariage. Elle a engagé un bras de fer avec sa famille et son village et l’a gagné.

Dans ce sens, oui, elle était différente. Elle avait une très forte personnalité. Elle était en plus pourvue d’une intelligence hors pair. On disait d’elle qu’elle était une voyante, qu’elle faisait des prédictions. En fait, elle avait le don de l’éloquence, elle subjuguait par la parole, et elle faisait des analyses si pointues si justes qu’elles se réalisaient.

Ses prévisions bien fondées devenaient des prédictions aux yeux des gens. Quant à sa prétendue relation avec Boubaghla, je peux vous dire, sur la foi de tout ce que j’ai lu et m’étant maintenant imprégné de la vie du personnage, qu’il n’en est rien.

C’est également une rumeur que faisait courir l’ennemi français de l’époque pour la discréditer. Boubaghla, quand il arrive dans le Djurdjura, comme tous les chérifs avant lui, va directement voir Lalla Fadhma pour être adoubé si on peut dire.

Peut-être est-il tombé amoureux d’elle ? Il semble que Boubaghla l’ait demandée en mariage mais comme Fadhma restait liée à son ancien mari qui refusait de la répudier, l’histoire s’est arrêtée là.

Fadhma était toute entière tournée vers la fonction de cheffe de guerre et de guide dont elle avait été investie par les tribus, c’était en plus une mystique qui passait des nuits entières en prière et en méditation.

Vous savez aussi ce qu’on raconte sur les mœurs de la Kahéna, cela est également faux bien entendu. Toutes les deux sont de la même trempe, elles ont fait face à un adversaire plus fort et mieux armé, prêt à tout, elles on su mobiliser, combattre et se faire reconnaître comme cheffes. Et leurs adversaires, les Arabes et les Français, ont cherché à les discréditer. Reprendre maintenant leurs allégations contre nos propres héroïnes est une aberration.

Pourquoi ce titre ? Pourquoi pas Lalla Fadhma n’Soumer ?

Bonne question. Je l’attendais d’ailleurs. Quand j’ai commencé mes recherches sur Fadhma N’Soumer, j’ai réalisé qu’une bonne partie de sa vie est inconnue ou méconnue. En effet, on connait Fadhma qui a vécu à Soumer, la cheffe de guerre, le guide spirituel, la combattante que le maréchal Randon appelait « la Jeanne d’Arc du Djurdjur ». Mais on ne sait rien de sa vie avant son arrivée à Soumer.

J’ai découvert la jeune fille, la femme, le côté humain de Fadhma. C’est à Ouerdja qu’elle est née, qu’elle a grandi et vécu jusqu’à son mariage. C’est là qu’elle a exprimé sa révolte de diverses manières. Je voulais par ce titre mettre en valeur cette partie de sa vie.

Par ailleurs, c’est une manière de rendre hommage aux habitants d’Ouerdja qui m’ont si chaleureusement accueilli et dont certains sont devenus des amis.

Avant ce roman, vous en avez écrit et édité d’autres ?

Je suis auteur de plusieurs ouvrages, j’aime toucher un peu à tous les genres littéraires. Mon premier ouvrage est un recueil de nouvelles « La femme de pierre » publié par l’ex-Enal en 1989 et réédité en 2017 par Numidie (Tizi Ouzou).

Il parle de la condition de la femme essentiellement, de son sacrifice, de sa misère multiforme, de son statut de dominée. Mon deuxième ouvrage est un roman « Le puits des anges » écrit en pleine période de terrorisme, achevé en 1998 et publié en 2003 chez l’Harmattan à Paris faute d’avoir trouvé un éditeur en Algérie.

Plusieurs thèmes sont abordés à travers l’histoire d’amour d’un jeune homme et d’une jeune fille, le terrorisme, l’intégrisme, la démocratie, l’identité, la condition de la femme. L’ouvrage suivant est un recueil de poésie d’amour « Soleil d’outre-tombe » paru en 2013 chez Mon Petit Editeur à Paris.

Puis « Le retour d’Ibn Toumert » édité chez l’Anep en 2017 et qui aborde les thèmes du totalitarisme théocratique, de la démocratie, de l’identité, de la condition de la femme à travers les parcours croisés d’Anwa, de Nouara et d’Assia. « Lalla n’Ouerdja » est paru en avril 2019 chez Medias Index.

Vous avez pris part au dernier SILA et ce n’était pas la première fois…

J’y ai participé plusieurs fois en effet. Déjà lors de la sortie du roman « Le retour d’Ibn Toumert » et de la réédition de « La femme de pierre » Ce fut à chaque fois une merveilleuse occasion de rencontrer les lecteurs et d’échanger les impressions.

Entretien réalisé par Akli N.

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