La perversion de l’action citoyenne par l’allégeance et le clientélisme ayant tendance à s’imposer et à se normaliser dans la société algérienne comme critères obscènes, mais, pour d’aucuns, essentiels pour s’offrir des privilèges et avoir des statuts, c’est le sujet développé par Mohamed Mebtoul dans son ouvrage “Algérie, la citoyenneté impossible”.
Un livre publié en avril 2018 aux Editions Koukou. Loin de cerner dans un sens normatif la citoyenneté, le livre renouvelle et approfondie un ensemble d’études empiriques antérieures menées par l’auteur avec des partenaires sociaux (patients, jeunes, professionnels de la santé, ouvriers…).
Pour Mohamed Mebtoul, la question de la citoyenneté ne peut être saisie «uniquement dans une logique de surplomb par rapport à la société» (p.15). Elle «ne se réduit pas au formalisme institutionnel ou aux normes édictées ou imposées par les différents pouvoirs, effaçant ce qui se construit dans les rapports sociaux au quotidien entre les différentes personnes» (p.15).
Quand l’idéologie de «la paix sociale» s’empare de la citoyenneté
Certains lecteurs pourraient considérer l’auteur trop pessimiste, étant donné qu’il part de l’hypothèse supposant «l’impossible construction de la citoyenneté en Algérie» (p. 9). Mais ce postulat a été déjà longuement étudié et soigneusement muri. Pas moins de quatorze contributions publiées par l’universitaire entre 2014 et 2018 dans la presse nationale l’ont justifié et approuvé. «Algérie. La citoyenneté impossible?» explique «comment la société [algérienne] était prise dans un étau à partir de la persistance idéologique de la «paix sociale», dévoilant une citoyenneté politique mise en défaut» (p.11).
L’ouvrage rend compte, au fil des 216 pages qui le composent, de manière synthétique, des différentes facettes de ce que l’auteur qualifie de «non-citoyenneté», ou de «statu quo contre la citoyenneté» dans ce pays. Il «tente de montrer empiriquement les multiples éclatements, les tensions, les injustices, et les ruptures sociales, politiques et éducatives qui sont importants à saisir dans [la] perspective focalisée sur une citoyenneté en «creux», qui n’accède pas à la reconnaissance sociale et politique de la personne. […] La citoyenneté ne semble pas accéder à un ancrage continu et profond dans la société algérienne et les différentes institutions politiques, éducatives et sanitaires. [Il] tente donc d’indiquer, à partir des articles composant l’ouvrage, l’effondrement de la citoyenneté dans l’une des forces majeures est pourtant de permettre une dynamique de transformation du tissu social par et pour tous les agents sociaux.
On observe, au contraire, une volonté de reproduire à l’identique les rapports sociaux dominés par la prégnance idéologique du statu quo qui est au centre du fonctionnement du système sociopolitique», écrit Mohamed Mebtoul en pages 10 et 11. «Le statu quo, ajoutera-t-il, est présenté comme la seule alternative «crédible» pour assurer le «bien» de tous les Algériens, mais sans eux, dans une logique très patriarcale. Il signifie donc une forme de stagnation collective qui remet en question toute possibilité d’autonomisation des agents sociaux prisonniers du politique. Celui-ci va indéniablement privilégier la société du «ventre» pour tenter de construire le statu quo.
Par société du «ventre», j’entends la volonté des pouvoirs de façonner, de renforcer et de valoriser le statut de consommateur qui laisse peu de place à des formes sociales d’émancipations politique et culturelle, qui sont pourtant centrales dans la construction de la citoyenneté. La société est gérée de façon autoritaire par les pouvoirs publics enfermés dans leurs rationalités à priori, en décalage avec les dynamiques produites dans la société» (p.11).
«Statu quo contre la citoyenneté et opacité politique»
La rédaction de l’ouvrage est composée de cinq parties, suivies d’une longue série de références bibliographiques servant d’appui au développement des analyses faites par l’universitaire. La première partie, intitulée «La citoyenneté politique en défaut» (pp. 23-50), traite des thèmes ayant trait à la crise de légitimité politique dans le monde arabe, à la citoyenneté politique, au militantisme et aux élections législatives (en Algérie), à la perte de sens attribué au vote, au statu quo contre la citoyenneté et à l’opacité politique.
L’idée générale que véhicule cette partie est restituée dans l’extrait ci-après : «Les régimes arabes sont obnubilés par leurs «identités nationales», par leur reproduction à l’identique, par le refus de toute alternance, qui représente pourtant le point nodal de toute démocratie. Mais, quand l’élite politique est elle-même produite par le sérail et dans le sérail, la «démocratie», dans les pays arabes est nécessairement «spécifique». Cela veut dire que nous sommes différents des «autres». Cette particularité identitaire et culturelle est une forme de mystification qui permet à l’élite politique d’imposer une autocratie sur mesure» (p. 36).
Les questions du système éducatif qualifié par l’auteur de «sans âme», de l’université et de «la mise en scène des savoirs», de la recherche scientifique et de l’échec des «intellectuels organiques» font l’objet de la deuxième partie portant le titre de : «Déconstruction de la citoyenneté éducative» (pp. 51-71). La troisième partie s’intitule : «La santé sans la citoyenneté » (pp. 79-134). Y sont développées des réflexions en rapport avec l’hygiène publique et la citoyenneté, le système de soins entre 1962 et 2012, la place insignifiante accordée au médecin généraliste dans la santé publique, l’indignité sanitaire, l’accueil des malades dans les structures de soins, la place de la médecine de famille dans le pays et enfin la mobilisation pour la dignité socioprofessionnelle des résidents.
«Perversion du travail citoyen» (pp. 135-156) est le titre que porte la quatrième partie où sont développées les questions de l’informel, du «faire semblant» et de la crise de confiance, et de la norme dominante qui discrédite le travail. Dans le cinquième chapitre, qui porte l’intitulé : «Les jeunes à la marge, effacement de la citoyenneté» (pp.161-198), sont développées les thématiques suivantes : la violence de l’argent, la «hogra» au quotidien, «les harragas» ainsi que les rêves brisés et les récits de vie de jeunes.
Djemaa T.