Sans bonté, la vie devient une comédie fatale !

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«Finirait-on par devenir ce que l’on combat ? ». C’est là l’une des nombreuses questions abordées par Tarik Djerroud dans son dernier roman intitulé « Un coeur à prendre », publié récemment aux éditions Tafat. Pour y répondre, l’auteur s’est mis dans la peau d’un jeune détective aux prises avec une enquête qui lui échappait de plus en plus. Arrivé un vendredi matin (nous sommes en 2007), pour enquêter sur le meurtre de deux personnages de premier rang du village Tizi (quelque part en Kabylie), l’imam et la sage-femme, le détective fait face à une ambiance étrange et impitoyable.

Depuis ce mercredi où le destin du village a basculé dans l’horreur et la psychose, l’enquête s’amorce dans un entrelacs de difficultés. Pas d’arme, pas d’empreintes, aucun témoignage et les familles des victimes ne collaborent que du bout des lèvres. Intrépide et tenace, malgré les provocations, le détective ne lésine sur aucun détail, matériel ou verbal, pour débusquer le criminel. Il pousse son investigation jusqu’aller recueillir l’avis de Tina, alias « la fille aux mille et un prétendants », un des personnages centraux de ce roman épistolaire. Un témoignage qui s’avère de grande importance et qui dessine en filigrane le mobile du crime, la vengeance contre deux escrocs notoires. Sur 160 pages d’une chronique sociale, satinée d’un suspens haletant, le détective narrateur nous fait pénétrer les arcanes d’un microcosme villageois fait, entre autres, de luttes intestines, de jalousie, de rivalité passionnelle, de fatuité et de faiblesse entre codes moraux et lois d’honneurs. A l’image d’Epinal, présentée au monde entier enveloppée de couleurs de carte postale, Tarik Djerroud qui se définit comme « un écrivain qui ose gratter le vernis », préfère montrer les entrailles de la société et projeter une lumière sur le côté obscure des hommes. Nous voilà donc en présence d’un chapelet de personnages aux attitudes condamnables par la morale et la justice : un imam pédophile et escroc, qui vend le nom de Dieu pour faire fortune, une sage femme arnaqueuse de jeunes vulnérables espérant trouver l’âme sœur, un enseignant voleur de veaux et, en sus, le veau de son propre père qui s’adonne à la sorcellerie… Puis, comme il fallait s’y attendre, le détective devient coupable à son tour, puisque, venu traquer le mal et le mettre hors état de nuire, il glisse subrepticement dans les abîmes d’un pur aveuglement : il couvre l’assassin, torpille le dossier de son enquête et commandite un meurtre ! Bref, chaque personnage montre l’arrière décor d’une société en plein délire extravagant, la quête absolu de l’argent et du bonheur individuel, la soumission aux caprices et les passions terrestres, qui mettent à genou les âmes les plus vertueuses. Roman intensément psychologique, comme une exigence pour la réflexion sur la place de la liberté la responsabilité et la culpabilité face à la banalité du mal, « Un cœur à prendre » est rédigé dans un style poétique où brillent la maestria du suspens, de l’humour et de l’autodérision, et culmine par un travail profondément anthropologique. « Au milieu de cette comédie humaine, chacun est interpellé à chercher le sens de la vie. Si vivre est synonyme de collecte de la fortune, c’est que la vie n’a pas de sens », dira l’auteur d’un ton critique, en faisant parler sa plume comme un curieux qui laisse balader ses yeux méticuleusement, avec le souci du détail et de la vérité. « L’être humain se connaît fort peu et passe toute sa vie à se découvrir et à se surprendre », explique l’auteur du « Sang de mars ». Ainsi, quand la vérité et le détail se rencontrent, l’écriture devient art ! Aussi « Un cœur à prendre » est un roman nommé plaisir de méditation.

Dalil. S.

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