Rabiâa Djalti raconte sa vie et son œuvre

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Invitée à une soirée organisée par le café littéraire, à la maison de la culture de Bouira, Rabiâa Djalti, une des icônes de la littérature moderne algérienne, a alterné discours sur son parcours en tant que romancière et poétesse et récitation de poèmes de sa composition.

Le public, composé de poètes et d’amateurs de poésie, a goûté à cette rencontre, un rare moment de joie et de plaisir et applaudi à tout rompre à chacune de ses interventions. La jeune poétesse et romancière a commencé sa conférence par faire observer que nous ne lisons pas beaucoup, en d’autres termes, que nous laissons en jachère une très grande partie de nos cerveaux. Ce cadeau de Dieu que nous employons donc de façon très superficielle, nous met en retrait par rapport aux occidentaux, qui, eux, font travailler systématiquement leurs neurones et nous distancent rapidement sur la voie du progrès et de la science. Aussi, la conférencière nous exhorte à cultiver nos connaissances et à rattraper le retard que nous accusons sur les sociétés modernes. Ce goût de l’effort, cette passion pour l’art et la science, notre poétesse les avait eus très tôt grâce à sa grand-mère qui était une fine lettrée, descendante d’une grande famille andalouse. Maîtrisant le français et tentant d’en inculquer les fondamentaux à sa petite fille, l’aïeule cherchait, selon l’intervenante, à faire d’elle ce que seules des circonstances peu favorables lui avaient refusé quand elle avait son âge. Mais le père de Rabiâa, qui était lui aussi très cultivé et très instruit, poussait sa fille dans une direction un peu différente : il voulait d’abord que la petite élève réussisse tous ses examens et obtienne tous ses diplômes. Cette exigence l’éloignait un peu de son hobby qui se manifestait dans différentes activités, comme le théâtre, la chorégraphie, la poésie, la musique (elle jouait par exemple admirablement du violon) et la chanson. A ce propos, Rabiâa racontait l’épisode de sa jeunesse où elle a chanté pour la première fois dans l’une des plus grandes salles de spectacle de la capitale, la chanson de Fayrouz sur la Palestine et la vive émotion qu’elle a alors suscitée. Mais elle soulignait le refus du père qui ne voulait surtout pas de ça. La voie était donc tracée et en fille bien élevée, la petite écolière ne va pas dévier d’un pas, sauf à employer ses loisirs à développer les dons, qui étaient chez elle de façon quasi innées : la passion des mots, de l’écriture entres autres. La bibliothèque familiale, qui était fort fournie, concourrait à l’enrichissement de son vocabulaire et à discipliner et à fortifier son jeune esprit par une « nourriture » saine et solide. La seule nourriture dont les excès ne nuisent pas à notre santé contrairement à celle destinée au développement du corps, selon la métaphore de l’oratrice. C’est ainsi qu’elle a lu dans les textes de Baudelaire, Voltaire et d’autres classiques…En prononçant leurs noms, on sent qu’elle mettait dans sa voix chaude et bien timbrée le même amour qu’elle en mettait à les lire dans la bibliothèque paternelle lorsqu’elle était enfant. Aujourd’hui, poétesse, romancière, traductrice (elle traduit ses œuvres en français et en espagnol), mariée et mère, elle trouve encore du temps à consacrer à l’enseignement supérieur. Pour elle, chacun de nous a plusieurs cordes à son arc, plusieurs rôles à jouer et notre responsabilité est engagée à chaque instant de la vie en tant que citoyen ou citoyenne, en tant que père ou mère, en tant que employé(e) et parfois en tant que simple observateur ou observatrice, ou témoin. C’est ainsi qu’elle rendait un hommage appuyé à Djamel Amrani, dont elle traduit «Le témoin» et qui l’a ému jusqu’aux larmes, car cet ouvrage, selon elle, n’a d’équivalent ni chez les politiques ni chez les historiens, tant il est vrai et il dépeint avec beaucoup de talent des choses que tout algérien ayant vécu à l’époque coloniale a ressenti dans sa chair.  A quel moment de sa jeune carrière artistique la muse algérienne a-t-elle commencé à versifier ? Elle ne le disait pas. Mais on sent que chez ce génie précoce, tout a débuté très tôt. Le seul indice, dont on dispose, est que certains poèmes dont elle a régalés la salle, remontent à 1993 et 94, comme celui sur la jalousie, sur sa mère Fatima Zohra, ou sur la patrie. Celui sur la Tunisie a été écrit, nous confiait-elle, six mois après la chute du régime de l’ancien président, alors qu’elle était en visite dans ce pays. Infatigable voyageuse, comme Mme de Staël en son temps, on la retrouve tantôt à Damas, tantôt à Beyrout où la mènent ses affaires d’auteurs, car c’est dans le pays des cèdres qu’elle a édité ses trois derniers livres, dont l’essai philosophique « Le Club des Pins », une histoire contemporaine où chacun peut s’identifier facilement aux héros, nous assurait-elle, l’Extase et le Trône émaillé. Elle les présentait au public avec quelques petits commentaires concernant l’illustration de la couverture, la traduction,…Mais on sent avec quelle hâte elle retourne à chaque fois au pays. L’Algérie la captive et l’ensorcelle par sa beauté époustouflante. Mais que serait cette beauté elle-même sans ce bonheur qu’elle ressent auprès de son mari, Amine Zaoui, romancier de renom et ses enfants dont elle parlait avec une grande tendresse ? Elle écrit, elle chante, elle danse, mais avec les mots, avec les phrases qui expriment toute la beauté éparse dans ce grand et pittoresque pays, cette liberté à laquelle elle est fortement attachée, mais pour témoigner à son tour de la vie. Le poète est donc un témoin, comme le romancier ou l’essayiste, témoins l’un et l’autre d’une époque, mais dont le témoignage est puissant et ne saurait être récusé par personne d’autre. La voix de Rabiâa est douce et enveloppante comme du velours. Ses poèmes, déclamés par cette voix veloutée, confinent au ravissement. Elle parlait de Freud, elle évoquait Marx et Verdi, qui auraient souffert dans leur enfance d’un déficit d’affection maternelle. Nous oublions, pendant sa déclamation, le philosophe, le père de la psychanalyse pour ne retenir que le génial compositeur italien : la voix de Rabiâa, c’est du Verdi pur. On l’écoutant, on se sent enveloppé d’un souffle puissant et transporté sur des cimes inconnues. On est heureux et on en redemande… La jeune écrivaine disait aussi son expérience en sa qualité d’ancienne directrice au Ministère de la Culture et le rôle clé qu’elle a tenu à ce poste, invitant tous les artistes, écrivains et poètes à toutes les manifestations culturelles que le ministère organisait, se félicitant d’avoir été la première à éditer 60 livres Amazighs entre 2002 et 2007, avant de démissionner pour retrouver sa liberté et se consacrer à l’œuvre de sa vie.  La soirée s’est terminée en apothéose avec non seulement la lecture de quelques poèmes choisis de la grande poétesse, mais la lecture de poèmes de jeunes et talentueux poètes de la wilaya. Une soirée qu’on n’est pas prêt d’oublier tant elle a impressionné les esprits et ému les cœurs.

Aziz Bey. 

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