J'ai fait un rêve, comme Luther King

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Dans le climat culturel et idéologique algérien, où se multiplient les sujets clivants et se dispersent inutilement des énergies, j'ai apprécié à sa juste valeur l'insertion, sur la page facebook d'une amie, du texte de la chanson "Imagine" de John Lennon qui appelle à la paix et qui voulait, en 1971, donner une chance à la paix entre les gens, les communautés et les peuples.

Ce grand texte de la chanson pop est mis sur la page facebook le 1er jour du mois de Ramadhan qui, en Algérie, commence sérieusement à perdre ses valeurs spirituelles pour signifier surconsommation, gaspillage, inflation des prix des produits alimentaires, absentéisme, paresse physique et intellectuelle et, plus grave, intolérance religieuse. Après avoir vécu les Ramadhan des années 1990 dans le terrorisme qui développait une débauche d’énergie et se surpassait spécialement en ce mois sacré pour faire plus de carnage (essentiellement en 1997 où étaient assassinées des centaines de personnes chaque nuit de Ramadhan), les Algériens ne s’attendaient pas à ce que la bigoterie ambiante et l’extrémisme continuent à régner et sévir dans une société traumatisée par l’histoire récente et malmenée par un présent peu ragoûtant, sans grandes perspectives. S’agissant de ce qui est appelé la chanson à texte, dans sa dernière interview au journal El Watan (16 juin), Aït Menguellet fait le constat suivant : « Concernant la chanson à texte, dans le monde entier elle existe, mais elle ne fait pas la règle, elle fait exception à la règle. On a besoin de tous les genres ». Lui, le poète, le chanteur à texte par excellence, note cette « exception à la règle », chose sans doute qui élève un peu plus haut les mérites de ces textes.

Indubitablement, la chanson de John Lennon « Imagine » nous replonge dans les valeurs humanistes, en ces temps d’inquisition, d’ostracisme et de négation. Donner une chance à la paix, telle est l’aspiration de ceux qui tiennent à faire avancer la société et à faire l’économie de guerres inutiles. Guerres communautaires, religieuses, économiques ou géostratégiques. « Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir », écrit John Lennon.

La paix. La chanson kabyle a su la chanter à merveille. Si elle avait bénéficié de la traduction à temps et des moyens de l’industrie culturelle des pays développés, cette chanson aurait pu servir de référence, de socle et de repères à beaucoup d’autres producteurs. Elle aurait pris sa place dans les manuels scolaires, à l’image des textes de Ferrat, Brassens, Brel, …etc. Mais vous me diriez, il faut qu’elle ait d’abord sa place dans son pays, l’Algérie. Car, la chanson kabyle à texte, de par son volume, sa constance et ses centres d’intérêt, constitue un phénomène rare dans le monde. Pour la culture qui lui a donné naissance, elle est la littérature même. On ne peut plus se cacher derrière l’argument désuet de la culture orale ou de simple « patrimoine » à sauvegarder, une façon de consoler ceux qui revendiquent une place de choix pour la culture amazighe en général (langue, identité et culture). La poésie kabyle chantée par Aït Menguellet, Matoub Lounès, Ferhat, Idir, Zedeg Mouloud,…etc., n’est plus orale. Elle est d’abord écrite sur des feuillets ou sur des fichiers word. Elle est pensée, réfléchie, travaillée. Elle provient d’acteurs et médiateurs culturels importants, engagés sur le plan de la réflexion sur les problèmes de la société et de la culture. Ce ne sont plus comme les anciens bardes- avec tout le mérite qu’ils ont, eux, qui ont tracé le chemin de notre recherche actuelle- qui semaient à tout vent leurs strophes que les hommes et les femmes s’efforçaient d’apprendre par cœur pour les transmettre à leurs enfants et aux générations futures. Après qu’ils ont écrit, chanté et diffusé leurs textes, les chanteurs- un mot réducteur auquel je préfère poètes- ces textes sont parfois pris en charge, même de manière insuffisante, par l’écrit. Ainsi, on a des recueils de poésie en livres de Matoub, Aït Menguellet, Slimane Azem et d’autres encore, avec ce petit « luxe » qu’est la traduction. Parce qu’engagée complètement dans la société la chanson kabyle a su porter le message de la paix, y compris en traduisant Boris Vian par exemple (Le Déserteur, dans les deux versions de Ferhat et Matoub)). Aït Menguellet, en dénonçant la guerre, dira dans le poème « Ardjouyi » (1979) : « Ceux qui me gouvernent m’ont inventé des ennemis ». De même, dans un autre poème (album Ay Aqbaili, 1984), sur une musique au rythme martial, il parle de ces chefs, princes, qui engagent leurs troupes afin de s’entretuer dans des guerres où les seuls intérêts sont ceux des gouvernants. De son côté Matoub dit dans une de ses chansons (A y Ammi Azizen, 1980) : « Le Sahara me paraît comme une mer remplie de sang; nous combattons sans que nous ayons des ennemis ».

John Lennon veut imaginer un monde où il n’y aurait « Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir, aucune religion non plus ». « Imagine tous les gens, vivant leurs vies en paix… ».

John Lennon se dit rêveur, mais « je ne suis pas seul », ajoute-il.

Amar Naït Messaoud

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