«Mes meilleurs poèmes je les ai composés quand j’étais agriculteur»

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Il est de notoriété publique que les poètes sont des écorchés et réagissent ou tissent leur colère en vers. Ahmed Radja fait partie de cette tribu d'élus du verbe, en ce sens où son premier opus, ‘’Le poids des jours’’, reflète toute la profondeur et l'épaisseur de ses mots. Ainsi, quand on lui parIe des hommes, le poète répond : «Ne me parle pas des hommes/Je ne vois que leur désir pointu/qu'ils brandissent en tremblotant/ (…)». Et l'amour alors ? D'un ton de dépit et d'amertume, il rétorque : «Ne me parle pas d'amour, Ce n'est qu'un mot vide de sens/Avec ses jamais et ses toujours/Avec ses attentes et ses absences/ (…)»

La Dépêche de Kabylie : Pourriez-vous présenter ànos lecteurs ?

De par ma formation d’agronome, j étais destiné à évoluer dans le secteur agricole. Les circonstances ont fait qu’en 1987 je devins agriculteur, un métier dur mais très passionnant qui vous transforme en profondeur. Quant au poète, disons que c’est un héritage ancestral. J’ai tété la poésie au sein de ma mère. Mais je vous confierai une chose, mes meilleurs poèmes je les ai composés quand j’étais agriculteur.

Quels sont les éléments qui ont fait naître en vous à la fois la passion pour la culture et pour l’agriculture ?

C’est la vieille histoire de l’inné et de l’acquis. J’ai eu la poésie en héritage, elle est en moi, et si j’essaie de m’en défaire, c’est trop lourd à porter. ‘’Le sublime est corrosif’’, disait Prévert et la poésie est un peu ‘’la sublimation du réel’’ selon la conception de Jack London. Quant à l’agriculture, elle fait partie de l’acquis. J’ai eu une formation d’ingénieur agronome, ce qui m’a conduit tout droit au métier d’agriculteur. Néanmoins, maintenant, je suis plutôt conseiller technique et prestataire de services agricoles avec mon entreprise, dans les hauts plateaux.

Comment est né votre premier recueil ?

En fait, c’est le premier et le dernier, tant la poésie était une brûlure insupportable pour moi. Les années de la décennie noire ont été pour beaucoup dans la maturation de l’idée. Il faut dire que c’était un besoin vital. J’écrivais mon journal et j’écrivais des poèmes pour continuer à vivre, pour ne pas sombrer.J’ai donc écrit et j’ai rassemblé tous les poèmes que j’avais composés durant ma jeunesse et j’en ai fait un recueil que j ai édité aux éditions Amal de Tizi-Ouzou.

Et si nous parlions un peu de l’agriculture… Comment la rendre compétitive sur le marché de l’exportation ?

Il est évident que nous avons beaucoup d’avantages à faire valoir pour de nombreux produits agricoles surtout ceux du terroir. Il faut pour cela d’abord s’organiser autour de produits bien ciblés. Le deuxième point consistera en la sécurisation du produit et sa valorisation par une qualité au standard international. Investir un marché ouvert et concurrentiel nécessite une stratégie nationale bien étudiée et bien rodée, rien ne s’improvise, tout doit être pensé et mis en œuvre de façon pragmatique et raisonnée.

Né en Kabylie, vous vous retrouvez au développement de l’oléiculture dans le sud, pouvez vous nous en parler ?

Comme tout Kabyle montagnard, je suis né sous un olivier et j’ai eu la chance d’avoir géré une grande exploitation agricole à Aïn Oussara. Les résultats ont été à la hauteur de mes attentes. L’olivier est un arbre sobre, rustique et généreux, il s’adapte bien aux terrains difficiles pour peu qu’il y ait suffisamment d’eau. Quant à l’huile d’olive, c’est un produit dont le marché est en pleine expansion. Il peut remplacer le pétrole pour peu qu’on s’en occupe de façon sérieuse et organisée.

On vous sait admirateur de Lounis Aït Menguellet et celui-ci a dit un jour : un paysan, ça se mérite. Quelle interprétation en faites vous ?

Lounis est un grand Monsieur, un véritable guide pour les gens de notre génération, notre amghar azemni. Et je suis d’avis également qu’il n’est pas donné à n’importe qui d’être paysan. Le paysan est cet être qui vit en symbiose et en communion avec la nature, il sent battre le cœur de celle-ci. Mais pour en arriver là que de chemin à faire ! Et il faut dire que le paysan est une espèce en voie de disparition.

Aït Menguellet dit également qu’avant de semer le blé il faut jauger la terre. Qu’en pensez-vous ?

En fin observateur du milieu dans le quel il évolue, le poète dont le sens de l’observation est très pointu, analyse et ses poèmes sont des sentences. Lounis a toujours dit ce qui était à contre-courant des idées du moment. Ainsi, dans les années 80, alors que tout le monde s’enthousiasmait sur l’avenir de tamazight, lui nous assénait ‘’tibratin’’.En 88, tout le monde parlait de démocratie et lui nous questionnait dans ‘’echaal tagh tafath’’ (éclairez nous ).

Avec quel regard, le poète que vous êtes suit-il l’évolution du monde rural chez nous ?

Rires… quand il s’agit de questions liées à l’agriculteur, c’est l’agronome et l’économiste qui sont interpellés. Nous avions un énorme potentiel à l’indépendance. Un potentiel constitué d’un savoir faire technique, un marché bien structuré et des exploitations agricoles très efficaces et efficientes. Malheureusement, les politiques aventureuses et aléatoires, tant dans le domaine industriel que celui de l’agriculture, ajoutées à un populisme alors en vogue, sont venues à bout de ce potentiel qui a fondu pour ne devenir qu’un souvenir chez certains vieux encore vivants. Le mode rural reste à réinventer. La rente a fait de l’Algérien un citadin avec une mentalité de douar. Une ruralisation de la ville et un habitat inadapté à la campagne.

Quelles sont les perspectives de l’agriculture dans la steppe ?

Il faut se dire une chose : nous n’avons pas d’autre choix que de produire notre nourriture, il y va de notre survie et de notre souveraineté. Le potentiel qui nous reste à exploiter se trouve généralement dans les hauts plateaux et le sud, mais il ne suffit pas de vouloir. L’Algérie est peut être l’un des rares pays où le savoir n’est pas valorisé. La disponibilité de la ressource financière a amené nos dirigeants à être tentés de faire le développement par l’argent alors que le développement se fait par des programmes dont la ressource humaine formée et informée doit être le pivot. Maintenant, pour réussir, il faut changer de vision, les pouvoirs publics doivent s’occuper de la régulation et laisser l’initiative privée s’exprimer. Il y a lieu aussi d’arrêter ces politiques de subventions à tout bout de champs qui donnent l’illusion de lutter contre le chômage alors qu’elles ne font que le masquer pour un temps.

Qu’en est-il de vos espoirs dans le domaine de vos investigations, la culture et l’agriculture ?

Vous savez, je porte l’optimisme comme une maladie et je reprendrais Dda mulud qui disait en substance : «… j’ai la certitude chevillée que mon peuple ira dans le sens de sa libération».

Et nos anciens disaient : «akken ila el hal as yeks umeksa» (quel que soit le temps qu’il fait , le berger doit faire paître son troupeau).

Le génie d’un peuple s’exprime dans les moments difficiles. Le peuple Algérien a survécu à des siècles de domination coloniale.

Il saura faire face à la crise qui s’annonce et qui sera très dure.

Dans les moments fastes, ce sont les courtisans qui prennent les commandes de l’Etat, mais quand arrivent les périodes de disette, ce sont les gens intègres et compétents qui sont appelés à gérer.

Il en est ainsi depuis la nuit des temps.

Propos recueillis par A.S. Amazigh

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