Amin Malouf “Origines” Grasset, 2004

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L’ouvrage intitulé Origines et paru aux éditions Grasset en 2004 est la reconstitution d’une odyssée familiale : Amin Malouf a choisi d’emprunter La route des ancêtres (page 18) afin de faire revivre la mémoire de sa “tribu” qui, au milieu du VIIe siècle, “nomadisait dans le désert, quelque part entre Syrie et Arabie” (page 63), c’est au XVIIIe siècle que la famille de l’auteur s’établit au Mont-Liban dans l’inaccessible village de Kafr-Yaqda. Il s’agit bien d’une étape car de ce minuscule village de la montagne libanaise, les enfants de la famille Maalouf, réinventant de nouveaux parcours nomades, essaimeront à travers le monde : Egypte, Soudan, Turquie, Europe et enfin… la lointaine Amérique. Du haut de ce village citadelle qui domine la mer, la fascination pour les horizons lointains est constante mais elle ne rompt jamais le lien profond qui rattache à la montagne. C’est cette dernière étape, levantine, de l’odyssée familiale que l’auteur reconstitue un peu comme on le ferait pour un puzzle. Alliant le travail sur les archives — “La malle des ancêtres” (page 41) contenant les archives familiales a fait un périlleux voyage vers Paris —et les sources orales, l’auteur fait revivre, à travers un récit passionnant, les principaux personnages de cette vaste parentèle et reconstitue l’entrecroisement complexe de leurs itinéraires. De tous ces personnages se détache une figure emblématique : celle de Botros, grand-père de l’auteur, Botros, professeur érudit, directeur d’école, poète et orateur inspiré, militant infatigable pour le progrès.

A travers l’itinéraire de Botros, ses luttes, ses aspirations, se profile en toile de fond une vaste fresque historique et sociale du Levant pris, en ces dernières années du XIXe siècle, dans les convulsions qui annoncent la fin de l’empire ottoman. Au premier plan de cette fresque apparaît la Montagne libanaise, berceau de la famille Maalouf ou, plus exactement, avant-dernière étape dans son long périple ; une montagne austère aux sentiers abrupts, à l’image de toutes celles qui entourent le Bassin méditerranéen. Cette montagne dont les villages, les pierres et les sources ont conservé les vestiges des plus anciennes civilisations méditerranéennes (araméenne, grecque…) a abrité, d’intrépides guerriers, à l’image de ces “Princes Brigands” (page 62) qui, du haut de leurs villages imprenables, défièrent l’empire omeyyade alors au faite de sa gloire, lui faisant payer un tribut annuel. L’ouvrage d’Amin Maalouf nous fait découvrir une montagne peuplée de personnages d’une grande distinction, toujours prêts à la rébellion. Cette montagne est aussi une montagne savante dans laquelle de minuscules écoles de villages ont formé des générations d’érudits polyglottes. Dans la modeste “école universelle” ouverte par le grand-père de l’auteur, outre l’arabe, les élèves étaient initiés au turc, à l’anglais et au français. La coexistence de toutes ces langues était une fenêtre ouverte qui, de la montagne, permettait de voir non seulement le Liban mais tout le Levant. On y découvre, à travers les villes, les villages et les personnages, cette grande diversité religieuse, linguistique et culturelle qui, bien qu’elle ne soit pas toujours vécue dans l’harmonie, fait incontestablement la richesse de la région. Dans ce livre, s’entremêlent sans être confondues les subtiles nuances de cette diversité.

Cette quête des “Origines” est aussi une page d’histoire, on y trouvera des indications précises sur la situation du Proche-Orient — la région était dénommée globalement “Syrie” — lors de la domination ottomane, sur les violentes secousses qui ont entraîné l’effondrement de l’empire ottoman, sur le mandat français dans la région et la naissance des frontières actuelles. C’est ce lien constant entre les trajectoires individuelles et la dimension historique qui fait toute la richesse de ce récit. Ce livre n’est pas seulement un récit des “Origines”, il est traversé de la première jusqu’à la dernière page par cette profonde fidélité de l’auteur aux siens.

Dans cet hommage vibrant rendu à la Montagne, on croirait, par moments, lire des pages écrites par Feraoun, Mammeri, Jean et Taos Amrouche, Malek Ouary. Par-delà l’incontestable originalité de chacune de ces œuvres, la beauté d’un texte littéraire ne réside-t-elle pas dans sa dimension universelle ?

Dahbia Abrous

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