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Portrait Ahmed Azeggagh / Le poète rebelle

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Se souciant comme d’une guigne de la célébrité se plaisant dans le silence et l’anonymat, Ahmed Azeggagh fait partie de ces auteurs qui, après les tâtonnements des premières années de l’indépendance, sont venus infirmer les propos de jean Déjeux et d’Albert Memmi qui prévoyaient la mort de la littérature maghrébine d’expression française, une fois les indépendances acquises. Avec Mourad Bourbonne, Rachid Boudjera, Nabil Farès et bien d’autres, Ahmed Azzegagh s’attellera à donner un nouveau souffle à cette littérature considérée à tort comme source de subversion et de sédition. Critiqués, intimidés, traités de tous les noms et parfois incarcérés, comme ce fut le cas de Bachir Hadj Ali, les auteurs algériens de graphie française ont subi toutes sortes d’injustices sans pour autant se renier. Car se sentant aussi patriotes et nationalistes comme n‘importe quel autre Algérien, ils ne se reconnaissent qu’un seul «crime» : le refus de courber l’échine devant un système embourbé dans ses errements et ses propres mythes. Né à Béjaïa en 1942, Ahmed Azeggagh en homme modeste et entier, a choisi dès l’indépendance son camp : son peuple. Roman, poésie, théâtre, journalisme…Azeggagh se moquant des frontières disciplinaires touchera à tout pour dire ses meurtrissures, le malaise de son pays et les injustices du Monde libre. Fils d’émigré il passe son enfance à Marseille où il apprend à connaître la dure réalité des émigrés algériens. L’indépendance acquise, il revient au pays pour participer à l’œuvre d’édification. Il enseigne dans une école primaire à Béjaïa. Se sentant une vocation plus grande que celle d’un petit instituteur de province, il part à Alger rejoindre la revue Révolution africaine, véritable pépinière d’intellectuels d’alors. Le coup d’Etat de 1965 mettra fin à sa passionnante aventure dans cette revue. Le revoilà encore une fois en France. En 1966, paraissent aux Editions SNED (Alger) et aux Editions Subversie (Rodez), ses deux premiers ouvrages : L’Héritage et à Chacun son métier.

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(Le jour se lève à peine

Nous pensons à demain

Nous vivons dans l’attente

Et tous mourons d’attente

Nous sommes l’espérance

Aux yeux du désespoir

Et si le soleil brille

C’est pour vous insulter…

Et nous nous étonnons de découvrir que nous sommes le contraire des riches)

Peut-on lire dans L’Héritage. Voyageant beaucoup et travaillant parfois de pair avec des grands noms de la culture algérienne : Denis Martinez, Mohamed Boudia, Azeggagh veut faire de son art une arme au service de son peuple. Il se rebelle, il espère un meilleur sort pour son peuple. Dans une de ses pièces théâtrales, excédé par le sort peu enviable, réservé à son peuple héroïque qui s’est battu farouchement pour sa liberté il crie «Si l’on se réfère aux routes, aux forêts, aux montagnes, à la mer, au ciel bleu, au soleil, aux étoiles, à la Constitution, dans cette mirifique caserne qu’est la nôtre, chaque citoyen est libre de penser, de s’exprimer, d’agir et même de rêver… En fait, nous avons juste le droit d’applaudir les discours du chef et de sa suite.» Poursuivant doucement son aventure littéraire, il se rapproche à Paris des Editions Quatre-vents qui se chargeront de la publication, dans les années soixante-dix, de ses trois romans : les Récifs du silence (1974) République des ombres (1976) ; Duel à l’ombre du Grand A (1979). Traitant de tous les thèmes intéressant sa société cet auteur humble luttait pour que dans son pays, le droit à la parole ne soit seulement l’apanage des muets. « (Re)touvailles. Algérie, 1984-1986(récit), Blanc, c’est blanc (poésie), Fatima Houria l’arc en ciel du bonheur» (poésie » enrichissent sa production artistiques dans les années 1980. Avec l’avènement du multipartisme en Algérie, il rentre au pays en 1990 pour participer encore une fois à l’œuvre d’édification nouvelle. A Algérie Hebdo, où il exerce comme directeur de la rédaction ou encore à la Chaîne III, où il travaille comme consultant et traducteur dans les émissions «Remue ménage» et «Papier bavard» avec Youcef Sayeh, Azeggagh veut faire de la culture le véritable levain de la nouvelle marche de son pays. Mais ses espoirs seront déçus par les dérives politiques qui vont conduire le pays dans l’impasse. Malade, ignoré par les siens, l’écrivain continuera jusqu’à son dernier souffle à lutter, à vouloir parler à son peuple. «Plus le temps passe, plus j’en ai marre de publier à Paris pour un lectorat que j’estime ne pas être le mien en priorité. Les lecteurs que je veux toucher en premier se trouvent en Algérie. C’est ici que j’ai vraiment envie de publier, et c’est peut-être ça le vrai retour aux sources. Que le bouquin fasse ensuite Alger-Paris ou Constantine Marseille, cela m’est égal. Mais l’inverse -et encore au compte-gouttes ras-le-bol ! D’autant que les éditeurs parisiens ne se préoccupent pratiquement que des manuscrits où l’Algérie est systématiquement démolie. Comme la démolition aveugle n’est pas ma religion, je préfère rester silencieux. Cela ne m’empêche pas d’écrire » se confie-t-il à un de ses amis. Il meurt à l’âge de 61 ans, emporté par la maladie, le 24 avril 2003.

Boualem Bouahmed

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