Yasmina n’est pas seulement cette grande dame de la chanson, elle est aussi, voilà déjà plus de trente ans, l’une des voix fortes de la femme kabyle. Et en nous offrant ce nouvel album, riche de 14 titres, à l’occasion du 8 Mars 2020, elle veut seulement rappeler que le combat de la femme est noble, bien que long et semé d’embûches. Sa poésie heurte et réveille et son chant rythme avec soupirs et cris. Ses soupirs fusant du tréfonds de son âme martyrisée deviennent cris, des cris où se reconnaît son large auditoire. «Amek Assen Semmi», Comment l’appeler ou comment faut-il le nommer ? Une question qui invite la conscience ou à ouvrir grand les yeux pour voir de près. Voir qu’il faut changer des choses et que des choses sont en train de changer.
Ce nouvel opus s’ouvre donc sur une chanson dont le titre rappelle imparablement un slogan né un 22 février, «Alama Ruhen», «Jusqu’à ce qu’ils partent !» «Nous sommes à Tizi Ouzou/ Pour continuer le combat initié/ Nous voilà pour ressusciter/Ceux happés par ce chemin/ Point de répit jusqu’à leur départ». Cette superbe chanson est aussi un hommage au rebelle Matoub Lounès que Yasmina pleure toujours. Le piano et la guitare geignent dans la chanson «Ur Tsru ay izri-iw», «Œil ne pleure pas», où elle aborde le sujet de la trahison, «pas forcement dans le couple mais dans différents domaines de la vie», dit-elle. Dans «Dunnit is awk d amennuɣ», «Toute sa vie est combat», elle rend un bel hommage à la femme qui lutte pour terrasser des préjugés, car sa route est de tout temps ascension.
Que peut-elle attendre des jours ? S’interroge l’artiste. La chanson «Ad fakkeɣ awal-iw», «Je termine mon propos», dans laquelle elle persiste et signe. «Ad cnuɣ, ad kseɣ lxiq af uliw», «Je chante pour apaiser mon cœur», rappelle admirablement Ferrat qui clamait «Je ne chante pas pour passer le temps» et surtout Hanifa dans sa célèbre complainte «Matchi d leɣna its ɣenniɣ», «Ce n’est pas un chant, c’est ma vie !» Si l’on peut traduire sans trahir. Le nouvel album de Yasmina, de «Tha Yemats Production», une boîte que tiennent ses enfants, vient s’ajouter à son long répertoire. Regorgeant de sonorités, les unes tout aussi douces que sentimentales, il dénote surtout un clin d’œil au Blues, ce style de musique, où le chanteur exprime sa tristesse et ses déboires.
Les sujets de ses chansons, presque la majorité, Yasmina les puise dans son vécu, notamment son enfance très dure, elle qui à peine sortie de l’adolescence, à l’âge de quinze ans, se voit contrainte au mariage et deux ans après, fatalement, elle se retrouve femme divorcée. Elle sort son premier album en 1989, intitulé «Lqadi» «Le juge» dans lequel elle annonçait déjà la couleur de sa musique et le poids de sa poésie. D’autres albums ont suivi, où les chansons, aux paroles poignantes, sont tristes, car dépeignant toutes les souffrances qu’elle a vécues dans sa prime enfance et sa jeunesse tourmentée qu’accentua la perte de son enfant, Ali, pour lequel elle a consacré d’ailleurs un émouvant album «Ali Inu».
Sur la pochette du CD, on découvre une Yasmina parée d’une belle robe aux couleurs printanières, qui fait resplendir toute la beauté de son éternelle jeunesse. Ainsi donc, du village à Paris, après avoir salué l’aède, le troubadour, celui-là qui refuse de mendier et qui se suffit de l’ivraie qu’il trouve, Muh Slimane en l’occurrence, Yasmina, que des langues disent démente quand elle frôlait le précipice, «Asmaken bdeɣ ar yiri, nen as t jhel», a surmonté des déchéances, car elle est et restera toujours femme courage qui se rit du doute. Bonne écoute.
Ali Boudjelil