Dix-huit ans sont déjà passés depuis le déclenchement des événements du Printemps noir, ayant fauché la vie à 127 personnes et blessé quelque 5 000 autres, sans compter les dégâts matériels. Amizour, une ville qui ne pourra guère oublier ces tristes et douloureux événements car le hasard a voulu qu’elle fût le point de départ de l’onde de choc ayant atteint toute la vallée de la Soummam, le Sahel, et même des contrés des wilayas limitrophes.
À l’origine, une arrestation musclée par les éléments de gendarmerie de 3 collégiens, sur le chemin de rejoindre le stade pour une séance d’éducation physique, devant leurs camarades et leur enseignant de sport le feu Ahmed Mammeri. Une information qui s’est répandue telle une traînée de poudre dans toute la ville, traduisant cela de «provocation et de violation des franchises scolaires».
La ville d’Amizour, un chef-lieu de quelque 78 villages et d’une population qui dépasse aujourd’hui les 4000 âmes, est devenue à l’époque de ces événements, une période allant de 2001 à 2004, la Mecque des jeunes manifestants et d’animateurs du mouvement citoyen, et c’est de là qu’il y a eu la création des comités citoyens de ce mouvement appelé CICWB, remplaçant le comité populaire créé au début de ce soulèvement pour canaliser la colère des citoyens. Il est vrai que dans cette ville, et fort heureusement, on n’a pas enregistré de perte de vie humaine, hormis des blessés, des arrestations de plusieurs animateurs du mouvement, mais le lourd tribut payé est celui des dégâts occasionnés sur les édifices publics et privés.
Il est nécessaire de rappeler que la mort du jeune Guermah Massinissa à Béni Douala a été la cause d’un soulèvement généralisé qui a mis à feu et à sang la Kabylie. Amizour, sous les décombres, Amizour en flammes, titraient plusieurs journaux à l’époque pour mettre en exergue l’importance des dégâts et les conséquences des scènes d’émeutes qu’a vécues, de jour comme de nuit cette localité. On peut citer entre autres, le siège du FLN, le tribunal presque rasés de la carte par le déchaînement de jeunes prêts à en découdre à chaque instant avec les forces anti émeutes.
Samir Mammeri, l’un de ces 3 collégiens arrêtés, revient sur les circonstances de leur arrestation qui a donné lieu à des émeutes des semaines durant. «Nous avons été arrêtés mes deux autres camarades et moi, Bariche Farid et Khaldi Ikhlef. Malgré l’opposition de notre enseignant de sport, ils nous ont embarqués de force, c’était sur le pont de l’Oued, un véhicule de gendarmerie qui faisait des va-et-vient auparavant a fini par s’arrêter devant nous et des gendarmes sont descendus pour nous interpeller», se rappelle Samir.
Notre interlocuteur se souvient que cela a été bien préparé, car avant que la file de collégiens n’arrive au point d’arrestation, un gendarme, parent d’élève, a surgi pour demander libération de sa fille sous prétexte de l’emmener chez le dentiste. À une question sur les raisons de son arrestation avec les 2 autres camarades, l’ex collégien du CEM Emir A/Kader relate que lui et ses deux acolytes étaient des initiateurs d’une marche le jeudi 19 avril pour célébrer le 21 anniversaire du Printemps berbère, et durant la marche, des slogans hostiles au pouvoir ont été scandés devant la brigade de gendarmerie. « Nous avons été repérés parce que nous étions les encadreurs de cette marche pacifique, et nous avons empêché quelques adolescents qui tentaient de franchir la clôture de cette bâtisse. Voilà pourquoi nous avons été ciblés».
Dans l’enceinte de la brigade, Samir et ses deux compagnons ont été tabassés par des éléments de la gendarmerie qui ne leur ont pas signifié les raisons de leur arrestation. «Notre libération a fait suite à la solidarité et au mouvement de protestation de tous les élèves de notre établissement et de nos enseignants bien sûr. Mais, hélas, cela a dégénéré assez vite vers des affrontements, des heurts, bref ce fut un brasier généralisé. Un des animateurs de ce mouvement, en l’occurrence Amirouche Djemai, syndicaliste aussi, explique comment des événements ont évolué vers un mouvement citoyen revendicatif.
«L’histoire est connue de tous que cela fait suite à l’arrestation arbitraire de 3 collégiens du Cem Émir Abdelkader et qui a abouti à des affrontements pour que vienne après l’idée de canaliser la colère grandiose et d’encadrer cette masse juvénile qui ira vers un mouvement citoyen contre la Hogra». Cet animateur soutient que l’honneur revient d’abord aux enseignants du collège qui se sont soulevés contre le ras le bol, et depuis ce sont les syndicats qui ont pris le relais de la contestation jusqu’à l’avènement du mouvement populaire.
«Le 11 juin est née la plateforme d’El Kseur, car les assisses ont eu lieu dans cette ville voisine, une plateforme de 15 points de revendications, cheval de bataille du mouvement citoyen qui est devenu après le CICWB, ici même à Amizour». Cette plateforme explicitée à Larbâa Nath Irathen a fait l’unanimité des comités de citoyens des quatre wilayas de la Kabylie, et qui devait déboucher sur des négociations malheureusement biaisées et détournées des attentes des protestataires, surtout que durant 3 années de braise, 127 citoyens ont été fauchés, la majorité à la fleur d’âge.
Pour cet animateur, la réalité est amère, surtout avec les pertes de vie, les dégâts incommensurables et un retard flagrant dans le développement, mais cela ait fait tout de même naître un sentiment de lutte parmi les nouvelles générations contre toute forme d’atteinte aux libertés. «Ce qui s’est passé durant les années 80 puis en 2001 a fait en sorte que le peuple algérien soit arrivé à se concerter, à s’unir pour changer un système trop corrompu, à l’origine de tous les maux de la société.
Je dirais qu’il s’agit de prémices à cette révolution joyeuse, pacifique qui aboutira à une Algérie meilleure». Samir, l’adolescent de 16 ans qui a vécu ses événements de 2001, est aujourd’hui un père de famille de 2 enfants. Gloire à tous les martyrs des causes justes.
Nadir Touati