Quel tableau de bord pour l’économie nationale ?

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Dans une semaine, l’opération du recensement économique prévue par la loi de finances complémentaire de l’année 2009 sera lancée. Elle s’étalera sur trois mois. Il y a deux semaines, s’est tenue une réunion, la troisième du genre, du Comité national du recensement économique. L’on a appris, à l’occasion, que la formation du personnel d’enquête aura touché sur la période du 19 avril au 4 mai 2011, quelque 3 000 agents recenseurs et 700 contrôleurs. Le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales a concocté un programme de sensibilisation et d’information au cours de la phase préparatoire et durant aussi le déroulement de l’opération en direction des opérateurs économiques concernés, en mettant à contribution aussi bien les associations professionnelles que les moyens médiatiques pour assurer le succès de cette opération d’intérêt national.

Déjà des panneaux d’information sont affichés sur certaines devantures et dans les lieux publics portant les références de l’Office national des statistiques.

Le Comité national du recensement économique est présidé par le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales et compte dans sa composition le Secrétaire d’État auprès du ministre de la Prospective et des Statistiques chargé des Statistiques, Sid Ali Boukrami, et les secrétaires généraux des départements ministériels concernés par cette opération.

Le développement économique du pays réclame indubitablement des bases de données dépassant la simple connaissance des classiques ratios ou agrégats tels que le produit intérieur brut, la balance commerciale et d’autres chiffres habituellement maniés par les spécialistes. L’étape d’évolution dans laquelle se trouve engagée l’économie algérienne- avec des avancées semi-libérales suivi d’un recentrage dit ‘’patriotique’’- exige que soient connus dans leurs moindres détails les outils de production, les chiffres du commerce et la valeur de toute réalisation à caractère économique. C’est à partir de ce ‘’ratissage’’ que le diagnostic primaire de l’économie nationale peut être valablement établi. Et l’on sait combien ce diagnostic est aujourd’hui indispensable pour pouvoir tracer en connaissance de cause les perspectives à court, moyen et long termes de notre économie.

Le décret 10-123 promulgué en avril 2010 fixe les conditions générales de préparation de l’opération de recensement économique prévue dans la loi de finances complémentaire 2009. En juin 2010, un comité national chargé de la mise en œuvre de l’opération, présidé par le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, a été installé. Des structures déconcentrées sont aussi installées au niveau des wilayas, des daïras et des communes. Des formations pour les agents recenseurs sont aussi assurées durant la phase préparatoire. Le recensement économique est, estime le directeur de l’ONS, « une occasion [pour son organisme]de diffuser la culture du chiffre qui est relativement absente dans notre société ».

Un répertoire « exhaustif, fiable et actualisé »

L’opération de recensement économique qui débutera donc le 8 mai 2011 est destinée à procéder à un inventaire exhaustif des secteurs hors agriculture. Elle est motivée par la nécessité de mieux connaître les données de l’économie nationale et de procéder à la modernisation des outils statistiques dans l’objectif d’asseoir une meilleure gestion des outils concourrant à l’information économique. Le réceptacle institutionnel et technique d’un tel projet sera naturellement l’Office national des statistiques. Le directeur de l’ONS définira l’opération de recensement comme devant servir « à enquêter au sens statistique l’ensemble des entités économiques, toutes activités, toutes activités et tous secteurs juridiques confondus hors agriculture. C’est une opération qui va toucher l’ensemble du territoire national, et par conséquent, elle nous permettra de disposer de données statistiques à un niveau très fin ». Ce sera, comme l’expliquera M.Berrah, « un répertoire exhaustif, fiable, et actualisé ».

A maintes occasions, des personnalités politiques et des experts indépendants en économie ont exprimé des doutes, voire un refus de reconnaissance, des statistiques données par l’ONS, aussi bien celles relatives à la politique de l’emploi (évolution du chômage, création de micro-entreprises,…) que celles des portant sur les autres agrégats économiques.

Le projet de recensement compte fonder sa stratégie sur l’interconnexion entre les différents services producteurs de chiffres, de bilans, de ratios, d’indices et d’autres formes d’informations chiffrées relatives à la production, à la consommation, aux flux et échanges commerciaux, à la création de nouvelles entreprises (données centralisées au Centre national du registre de commerce, CNRC), aux dépenses de santé via la Caisse national des assurés sociaux (CNAS), à la fiscalité par l’intermédiaire de la Direction générale des impôts et de la direction des Douanes nationales, aux investissements au travers les organes chargés de la validation des projets (ANDI) ou de leurs financements (banques, caisses de garantie, caisse nationale des investissements), aux modèles et tendances de consommation des ménages, à la démographie et au marché publicitaire.

Il y a lieu de rappeler que, dans un de ses rapports annuels, le Conseil national économique et social (CNES) avait pertinemment soulevé une question stratégique, celle du système national d’information économique et social. La lourdeur et la fragilité de ce système obèrent en premier lieu la qualité et la validité du travail effectué par cet organisme consultatif, censé pourtant recueillir les vraies statistiques pour lui servir de base de travail dans ses rapports et analyses qu’il produit régulièrement. Le CNES se plaint du fait qu’il « s’est toujours heurté à la faible disponibilité et à l’insuffisante fiabilité des informations relevant du champ économique et social ».

Ces matériaux de travail, matière première indispensable pour poser le véritable diagnostic de l’économie nationale et en élaborer un tableau de bord fiable et pratique, baignent dans un système « archaïque, désintégré sous-encadré faiblement performant et d’une médiocre fiabilité », selon le CNES.

Dans l’étape actuelle de l’évolution de l’économie nationale, le fait que le secteur économique privé commence à montrer son importance dans notre pays aussi bien par les investissements que par la création d’emplois commande d’orienter les efforts de la collecte des données particulièrement vers ce créneau de façon à étoffer davantage la base des données statistiques nationales.

Plus que jamais, l’outil statistique est considéré par les pouvoirs publics et les chercheurs en économie et sciences sociales comme un instrument pour la connaissance exacte de l’état général d’un pays, un moyen précieux d’anticipation et de prospective et un atout dans le processus d’aide à la décision.

Lors de la signature, en 2009, des conventions d’échanges de données entre l’ONS, la CNAS, la CASNOS et les Douanes nationales au siège de l’Institut supérieur de gestion et de planification de Bordj El Kiffan (ISGP), le ministre des Finances, Karim Djoudi, dira à propos du projet de recensement économique: « Ce recensement économique, par ses enquêtes, va permettre de fournir et d’alimenter notre capacité d’analyse. Par la suite, nous allons pouvoir tracer un comportement de ces agents économiques et le comportement des ménages, du revenu,&hellip,; etc. C’est un point de liaison qui va apparaître et va clarifier notre politique économique ».

Un outil pour améliorer la gouvernance

Incontestablement, et de par le monde, la prospective et la projection économique sont principalement basées sur la visibilité qu’offre l’état présent de l’économie dans ses différentes variantes (PIB, croissance, chômage, consommation, fiscalité dettes, balance commerciale, transferts sociaux, réserves de change, état des fonds de régulation,…), état dont la transparence et la fiabilité ne peuvent être acquis que par deux facteurs essentiels : des statistiques justes et une coordination sans faille entre les différents services producteurs des chiffres de l’économie.

« Nous sommes arrivés à une phase où les produits statistiques sont devenus un outil dans la conduite de l’amélioration de notre gouvernance », dira le ministre des Finances.

À propos des conventions signées entre les différents organismes qui sont sous sa tutelle, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, Tayeb Louh, estime qu’elles « permettront une coopération effective entre les différentes administrations en vue de lutter contre toutes formes de fraude. Les caisses de la sécurité sociale pourront recevoir, en vertu de ces conventions, certaines informations en provenance de l’Office national des statistiques en vue de procéder à des études prospectives en matière de sécurité sociale. Le but étant la création d’un numéro d’immatriculation qui doit être mentionné sur tous les formulaires de la sécurité sociale ».

En plus du besoin de connaître les réalités socioéconomiques sur la base des statistiques, la relation entre la connaissance chiffrée de l’économie et les projections de réalisation (travaux, infrastructures, production des biens et services, transactions, commerce extérieur, déficit ou excédent budgétaire,…) s’est puissamment confirmée au cours des dernières décennies à tel point que presque tous les pays du monde-abstraction faite de la nature des régimes politiques et des choix des schémas économiques qu’ils mettent en oeuvre- en ont pris conscience et ont instauré les mécanisme de gestion des flux informationnels relatifs à l’économie pour en tirer le meilleur parti possible dans la planification nationale. Que cette dernière se limite à l’échéance annuelle (loi de finances) ou à des échéances plus longues (quatre à cinq ans), l’importance et l’enjeu de la maîtrise de l’information statistique ne sont plus à démontrer.

Dans l’objectif de mieux affiner les statistiques nationales et de gérer de façon plus efficace les agrégats de l’économie du pays, le gouvernement a lancé un processus de récolte de données depuis 2008 (recensement de la population et de l’habitat, RGPH) et a lancé les bases d’un nouveau plan comptable basé sur des normes internationales (IAS-IFRS) et mis en application à partir du 1er janvier 2010.

Tout en constituant une source majeure d’informations, le RGPH n’est qu’un maillon de la longue et complexe chaîne de l’information économique et sociale dont ont impérativement besoin les pouvoirs publics dans la gestion quotidienne de leurs départements respectifs et les autres acteurs de la société (presse, bureaux d’études, banques, université…) pour mieux affiner leurs articles, études ou autres dossiers sensibles.

Aussi bien pour les décideurs politiques et les gestionnaires de l’économie que pour les chercheurs, les bureaux d’études et les médias, les statistiques économiques relatives à la répartition de la population par sexe, âge, zone du territoire national, ville, bourgade, zone éparse, activité exercée, revenu,…etc., sont devenus le pain quotidien qui permet d’établir des diagnostics, de faire des analyses socioéconomiques, de prendre des décisions et de réaliser des projections fondées sur des chiffres supposés être justes. Indispensable instrument de planification pour les gestionnaires du pays, le recensement de la population et de l’habitat, tel celui effectué dans notre pays en avril 2009, a pour vocation de compléter, d’affiner et, à l’occasion, de corriger les statistiques provenant des administrations (mairies, directions exécutives de wilaya) ou de simples estimations de certains organismes spécialisés.

Aux standards internationaux

Sur un autre plan, et dans le cadre de l’économie mondialisée, les chiffres de l’économie d’un pays ne peuvent avoir de sens que lorsqu’ils sont intégrés dans des normes et standards établis et compris à l’échelle internationale. C’est pourquoi, l’Algérie a lancé son processus d’intégration au Système général de diffusion des données du Fonds monétaire international (International Monetary Fund’s General Data Dissemination System-GDDS). La phase finale de ce processus a eu lieu au printemps 2009. Cette intégration « marque une étape majeure dans le développement de son système statistique », selon les termes des services du FMI. Cette imbrication au système de base de données permet désormais « la publication d’informations complètes sur l’Algérie qui seront diffusées dans le FMI Bulletin Board réservé aux pays ayant adhéré à ce dispositif de statistiques », assure le FMI. L’Algérie devient ainsi le 95e participant au GDDS du FMI. A cette occasion, le gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohammed Laksaci, a considéré qu’en intégrant ce système, « l’Algérie s’est engagée à se doter d’un système statistique national conforme aux meilleures pratiques internationales » en la matière.

Si le recensement économique est une opération ponctuelle, qui peut-être régulière à échéances données, la comptabilité nationale (comptabilité publique ou d’entreprise), est un dispositif ou un système permanent qui peut être considéré comme le réceptacle de tous les actes de gestion économique accomplis par les acteurs (gestionnaires) de toutes les structures et entités activant à l’échelle du pays. L’intérêt que revêt la comptabilité dans la réalisation du recensement économique est fondamental.

À partir du 1er janvier 2010, l’Algérie s’est mise, en matière de comptabilité aux standards internationaux véhiculés par le système comptable IFRS (International Financial Reporting Standards). Cela a été un processus laborieux, un ‘’parcours du combattant’’ selon certains praticiens de la comptabilité qui a exigé d’immenses efforts de formation qui continuent d’ailleurs sous différentes formes (séminaires, journées d’études, ateliers,…).

Le parcours a commencé au début des années 2 000. Les pouvoirs publics ont, pour améliorer, moderniser et promouvoir aux standards internationaux le système comptable national, fourni des efforts qui ont abouti, en 2007, à l’adoption par l’Assemblée populaire nationale d’un nouveau système comptable offrant plus de transparence et de lisibilité malgré les efforts d’apprentissage et de mise à niveau qu’un tel système exige des entreprises et des personnels appelés à le manipuler. Ce système ambitionne de « hisser la comptabilité nationale aux normes de fonctionnement de l’économie moderne et permettra de produire une information détaillée reflétant une image fidèle de la situation financière des entreprises », soutient M.Karim Djoudi, ministre des Finances. C’est au cours de l’année 2009 qu’un travail de vulgarisation massive a été entamé à l’intention des futurs utilisateurs de ce nouveau système. Des experts comptables estiment que « le travail de vulgarisation fait jusqu’ici par le Conseil national de la comptabilité n’est pas à même de rendre les comptables algériens prêts à l’application du nouveau plan ». Lors d’un séminaire organisé l’année dernière sur les modalités d’application du nouveau système comptable et des normes IFRS, M. Abci, consultant formateur, juge qu’ « il est aujourd’hui nécessaire que les structures ayant été à l’origine de la conception du nouveau plan expliquent aux professionnels ses modalités d’application. Cette importante démarche constitue un instrument essentiel pour l’accompagnement du processus de passage de l’ancien au nouveau système ».

Les séminaires et formations assurées ont permis de passer le cap de reconversion sans heurts majeurs, même si des spécialistes continuent à parler de certaines insuffisances jusqu’au début de l’année 2011.

Priorité à l’information financière

Le système comptable IAS-IFRS est venu ainsi remplacer le plan comptable national datant de 1975. Ce dernier ne répond plus aux exigences de la nouvelle économie ouverte sur le monde et sur l’investissement privé. Le système comptable que manipulent aujourd’hui les praticiens de la comptabilité en Algérie est, selon le ministre des Finances, censé « permettre la production d’informations détaillées, fiables et comparables reflétant notamment une image transparente et plus précise de la situation financière des entreprises (…) Comme il donne à la gestion de la comptabilité une nouvelle conception dominée par l’aspect économique qui intéresse les investisseurs, au lieu du juridique et fiscal qui intéresse beaucoup plus l’administration fiscale ».

Il s’ensuit que l’évasion fiscale sera de moins en moins possible. Il reste que le marché parallèle pose de réels problèmes pour une fluidité et une lisibilité totales du nouveau système comptable. Ce dernier est également destiné à renforcer les missions de l’Inspection générale des finances et de la Cour des comptes.

Le nouveau plan comptable national sera l’instrument comptable légal des grandes entreprises nationales, de quelque 200 000 PME privées et 711 PME publiques.

Outre la maîtrise et la modernisation des informations comptables et statistiques propres à l’administration, aux entreprises et aux autres services, l’Algérie est attendue sur le terrain de la mise en circulation des ses informations de façon à mieux en démocratiser l’usage. À bien y réfléchir, la mise à la disposition du large public (journalistes, bureaux d’études, écoles spécialisées,…) des informations statistiques fiables et exploitables participe inévitablement des efforts pour asseoir une transparence dans la gestion et pour tracer la voie de la bonne gouvernance.

Il s’agit de consacrer , selon l’expert-comptable Mohamed Abrous, «la primauté de l’économique sur le juridique. On passe d’un système qui produit l’information comptable à un système qui produit l’information financière ». En d’autres termes, on passera d’une comptabilité patrimoniale à une comptabilité financière de façon à ce que le nouveau système « permette aux utilisateurs, aux acteurs du marché financier de pouvoir prendre la décision d’investir ou pas dans une entité. Il permet également aux bailleurs de fonds et aux fournisseurs d’être au courant de la solvabilité des entreprises ».

La nouveauté aussi dans ce nouveau système comptable est le fait que les salariés peuvent accéder aux bilans de l’entreprise pour pouvoir juger de sa solidité et de sa santé financière desquelles dépend leur avenir professionnel.

Du fait que le nouveau plan comptable adopte des standards internationaux, les investisseurs étrangers auront plus de lisibilité dans le décryptage de l’économie nationale qu’il s’agisse des entreprises ou des institutions financières.

Amar Naït Messaoud

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