Le boomerang

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Les banlieues françaises s’enflamment. Depuis une dizaine de jours, le chaudron banlieusard s’est mis à bouillir d’une façon quasi incontrôlable jetant la classe politique française dans une rare stupéfaction. La nature et les mécanismes de la révolte sont à mille lieues de l’agitation de mai 1968 même si les actions physiques en rappellent quelques traits.En effet, en lieu et place de manifs conduites ou encadrées par des étudiants ou intellectuels de la trempe de Cohen Bendit et Jean-Paul Sartre, la France officielle, hautaine, imbue de stature et trop sûre d’elle-même, découvre une rébellion sociale, nouvelle version de la jacquerie du Moyen-Age européen, spontanée, contagieuse qui, tout en étant organisée, est animée par le même feu de la revanche des gueux, seul fil conducteur détecté jusqu’à présent dans les cités-ghettos d’Ile-de France.La banlieue, thème récurrent des campagnes électorales françaises — dans le sens de sa diabolisation ou, au contraire, de sa mangification trompeuse par de fausses promesses — crache aujourd’hui sa colère et sa lave ignée contre les stratégies politiques qui ne se sont servies de ce dossier que comme arme de chantage électoral à dresser contre les adversaires politiques.Le principe d’appuyer “là où ça fait le plus mal” est érigé en argument politique souvent payant dans l’immédiat mais explosif à terme.En décidant de marcher sur les plates-bandes de l’extrême droite lepéniste — qui a eu jusqu’à présent le triste apanage de diaboliser la banlieue et tous ceux qui ne savent pas chanter La Marseillaise —, le tonitruant et sulfureux Nicolas Sarkozy a tenté de tracer au bulldozer le chemin censé le conduire vers la présidence française. Il n’est pas requis d’être grand clerc pour savoir que ceux que le ministre de l’Intérieur qualifie de “racaille” est un pur héritage de l’empire colonial français. Du Maghreb, des anciennes contrées de l’AOF, des Caraïbes, de la Polynésie — le tout sous la dénomination de DOM-TOM —, les anciens peuples opprimés par le régime colonial français subiront les lois du nouvel ordre mondial qui feront concentrer la pauvreté, les maladies et le sous-développement dans les anciennes colonies. Le monde ne connaîtra de ces terres que les matières premières surexploitées par les multinationales, l’installation de certaines unités de production occidentales suites à des délocalisations dictées par la cherté de la main-d’œuvre européenne et l’extension du marché du sexe. Le revers de la médaille n’a pas tardé à voir le jour. Comme cela vient de se produire devant les yeux “attendris” des organisations des droits de l’homme, des cohortes de candidats à l’émigration subissent un sort humiliant, voire tragique aux frontières sud de l’Europe. Même la “ceinture de chasteté” qui a pour nom l’aide au développement n’a pas pu fonctionner pour endiguer la chute aux enfers des peuples anciennement colonisés.Dans une situation caractérisée par la précarité sociale, le délit de faciès, la déperdition scolaire, la dualité culturelle confinant à la schizophrénie, il n’est pas étonnant que la colère soit récupérée par l’extrémisme religieux un travail de fond a été déjà mené dans ce sens par Tariq Ramadan qui vient d’être désigné conseiller de Tony Blair pour les questions relatives à l’Islam. La cohabitation raciale et ethnique, en France ou ailleurs, ne peut avoir pour socle que l’équité sociale, le dialogue des cultures et le bannissement des ghettos. Mais, peut-on espérer que de tels prodiges se produisent dans un climat mondial fait de peur, de suspicion et de replis identitaires ? Le ministre français d’origine algérienne, Aziz Begag, ne vient-il pas d’être interpellé par la police dans un aéroport américain en raison de la couleur de sa peau ?

Amar Naït Messaoud

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