En quête de valeurs et de vocations

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Par Amar Naït Messaoud

Les week-ends politiques donnent l’illusion de richesse du champ politique dans notre pays, comme la rente pétrolière donne l’illusion de richesse matérielle. Les deux phénomènes ne sont pas si loin l’un de l’autre; au contraire, l’intimité qui les lie fait en même temps leur fécondité et leur problème. Ils interagissent dans un mouvement pendulaire, faussant les valeurs intellectuelles de la réflexion. Les discours débités les vendredi-samedi par les “ténors” de la vie politique de notre pays sont surtout faits d’inflation verbale, comme est grevé d’inflation le marché des produits alimentaires. Le multipartisme n’arrive pas encore à se défaire de l’unicité de pensée, au moment où l’ancien parti unique est traversé par des lézardes de toutes parts. Ceux qui se réclament de l’opposition, même s’ils se sont regroupés une fois à 14, et une deuxième fois à 20, n’ont que les moyens que leur permet l’agrément du ministère de l’Intérieur. Il leur manque l’essentiel, que l’agrément ne peut faire venir ex nihilo: l’ancrage dans la société. On occupe les tribunes des journaux et des espaces des premières chaînes de télévision privées, plus pour commenter l’actualité que pour la créer. Ni programme politique et économique, ni permanence, ni passerelles solides avec le monde associatif, et l’on espère se tailler un électorat sur mesure ou sur injonction. Même lors de campagnes de nettoyage des villes et des villages ruraux organisées au cours de ces derniers mois, on n’a pas vu tous ces bonimenteurs animer la scène, se jeter dans la bataille et faire des propositions concrètes pour initier l’industrie du recyclage et arrêter les oppositions dont souffrent les centres d’enfouissement technique programmés depuis des années et non réalisés à ce jour. L’opposition de salon, que dénonçait Matoub Lounès en 1985, est-elle de retour? En toute apparence, elle moins intelligente et moins dévouée que la première. On se contente de créer des coteries qui, dès les premiers désaccords, sont prêtes à se multiplier en autant d’autres organisations que requièrent les intérêts matériels immédiats. En cette fin d’année 2013, les bilans des comptes de la nation, tels qu’ils sont déclinés devant le Parlement, commencent à donner quelques soucis à nos gouvernants. La balance commerciale n’a, depuis longtemps, été aussi fragile. Entre le montant des exportations en hydrocarbures et celui des importations, la différence est, à l’échelle de notre économie, marginale, soit 10 milliards de dollars. De même, le bilan de 23 ans de multipartisme ne permet pas de crier victoire lorsqu’on considère la culture politique qui règne actuellement. La classe politique n’a d’yeux que pour la prochaine échéance électorale des présidentielles d’avril 2014, elle qui peine à s’ancrer dans la réalité algérienne la plus prosaïque. Si la question de savoir qui sera président est posée avec une régularité et une facilité déconcertantes, peu de chose a été entendu sur la grande question de savoir quel type de gouvernance économique, sociale, politique et culturelle veut-on instaurer. Et puis, n’existerait-il d’homme politique que pour prétendre à la magistrature suprême? N’y aurait-t-il d’autre ambition que de se mettre au sommet de la pyramide? Que deviendront alors toutes ces figures, partisanes ou indépendantes, enfantées par les circonstances de l’année 2013, une fois l’échéance d’avril 2014 dépassée? Ces émigrés, ces consultants pour des boites étrangères écrasés par l’anonymat, ces autres figures fantasques, n’auront d’autre choix que de regagner leurs pénates, sans doute un peu rassurés que l’on ait parlé d’eux pendant quelques semaines dans des entrefilets de la presse. Sans aucun doute, le “métier” d’homme politique reste à réinventer en Algérie, au fur et à mesure que la génération du mouvement national et de la guerre de libération se retire de la scène. Une autre culture politique devra voir le jour, concomitamment avec la recherche d’un autre modèle économique qui fasse table rase de la rente et qui s’appuie sur l’intelligence et les potentialités réelles du pays. On sera alors amené à se défaire de ce réflexe qui a fait tant de mal jusqu’à présent, à savoir que l’on ne peut servir son pays ou un idéal politique que lorsqu’on est porté à la tête du pouvoir. C’est une dérive conceptuelle, particulièrement lorsqu’on considère combien d’hommes politiques et d’intellectuels à travers le monde, ont servi leur pays et leurs concitoyens tout en restant des dizaines d’années dans l’opposition. Il y a même des partis qui ne sont jamais arrivés au pouvoir et qui ont pesé dans le destin de leurs pays. Et puis, lorsqu’on considère la vacuité du champ associatif sous toutes ses déclinaisons, l’on ne peut que regretter que des professions ou des métiers entiers demeurent mal encadrés, alors que leurs praticiens se forcent à la vocation d’hommes politiques et se bousculent à des postes de responsabilité. Feu Mahfoud Boucebsi, dans son domaine, la psychiatrie, Mustapha Khiati, dans son domaine, la pédiatrie, et d’autres personnalités moins médiatisées, ont, par leur travail acharné dans le cadre associatif, apporté à la collectivité plus et mieux que ce qu’ont apporté des responsables politiques et administratifs. Ce sont ces valeurs et ces vocations qui manquent terriblement aujourd’hui sur la scène nationale.

A. N. M.

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