Zohra Drif Bitat raconte…

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La Moudjahida Zohra Drif  Bitat a donné avant-hier, à Tizi-Ouzou, le coup d’envoi des festivités de célébration de la journée internationale de la femme qu’abriteront la maison de la culture Mouloud Mammeri et le théâtre régional Kateb Yacine et qui s’étaleront jusqu’au 08 mars. A cette occasion, la moudjahida a d’abord été au village Ighil Imoula dans la daïra des Ouadhias, lieu de tirage de la proclamation du 1er novembre 1954, où elle a déposé une gerbe de fleurs au pied du mémorial du village. Au niveau de la maison de la culture, Mme Zohra Drif-Bitat fut accueillie par une centaine de femmes, membres de plusieurs associations, notamment celle des filles de chahide. Là elle procèdera à l’inauguration d’une exposition. Par la suite, et lors d’une rencontre avec la presse locale, Mme Zohra Drif-Bitat présentera son livre intitulé « Mémoires d’une combattante de l’ALN ». A cette occasion, la Moudjahida reviendra sur son engagement pour la lutte de libération nationale. « Tout d’abord, je tiens à dire que je suis très émue par l’accueil que m’ont réservé les enfants de cette belle région de Kabylie. Je suis native de Tissemsilt, qui s’appelait à l’époque coloniale Vialar. Mais j’ai connu la Kabylie, très tôt, à travers certain de ses enfants qui vivaient à Vialar, notamment dans les scouts musulmans dont j’ai fait partie. La section des scouts musulmans de Vialar a été créée par Arezki Aït Hammadouche. C’était une grande école de patriotisme, et c’est avec lui que nous avons appris ce qu’était l’Algérie, son histoire et sa grandeur ». La Moudjahida poursuivra : « Pour la France nous étions tous des indigènes qu’il fallait mâter. J’étais avocate et j’ai donc beaucoup sillonné l’Algérie. L’occupant français nous niait jusqu’à notre humanité… ». Mme Drif Bitat confiera à l’assistance que c’est la mort brutale d’une ancienne combattante, une amie d’enfance, qui lui a fait prendre conscience du fait que leur génération était sur le point de disparaître. « C’est là que j’ai décidé pour mon pays, mes enfants et mes petits enfants, de raconter ce que j ai vécu au moment de la révolution nationale dans la Casbah d’Alger. J’ai voulu témoigner de ce qu’a été la colonisation, comment nous, les indigènes, la vivions », dira-t-elle.  Zohra Drif-Bitat évoquera, notamment, les quatre erreurs fatales qui ont été commises par l’ancien chef de la zone autonome d’Alger, Yacef Saâdi, durant la bataille d’Alger, et qui ont conduit à son arrestation et celle de Hassiba Ben Bouali entre autres : « Dans mon livre, je raconte notamment la résistance du peuple d’Alger, plus connue sous le nom de ‘’La bataille d’Alger’’. Une appellation donnée par Massu et son armée et je souligne qu’elle suppose un affrontement entre deux camps qui se battent à armes égales, ce qui n’était pas vrai du tout ! Nous, nous n’étions pas Français, et nous n’avions pas la citoyenneté française. Nous n’étions pas non plus Algériens, car l’Algérie n’existait pas. En somme, nous n’étions rien. Il aurait mieux valu l’appeler ‘’La traque d’Alger’’. Ils nous traquaient et nous avions adopté un style de combat d’harcèlement et d’attentats ciblés. Je voudrais clarifier certaines choses : le FLN n’a jamais prétendu vouloir battre la France militairement. Son but était de ramener les Français sur un terrain politique. Il était clair que nous n’avions pas les moyens de les battre. Pour en revenir à notre arrestation, la bataille d’Alger a commencé en janvier 1957. C’étaient tous les corps d’armes de l’armée française qui se sont abattus sur la Casbah. Ils arrêtaient, tuaient…c’était la terreur. Nous étions un petit groupe avec peu de moyens.  Le grand problème était de trouver un lieu d’hébergement. Non pas que le peuple de la Casbah nous rejetait, mais toutes les maisons étaient quotidiennement visitées et fichées par l’armée française. Nous avons alors été recueillis par Fatiha Bouhired, de son nom de jeune fille Attali qui venait de perdre son mari assassiné par les parachutistes. Nous avons décidé que cet abri ne devait être connu que par la maîtresse de maison. Nous y allions de temps en temps, Ali la pointe, Hassiba Ben Bouali, le petit Omar, Yacef Saadi et moi-même. Quand Athmane et Si Mourad sont morts, c’étaient les adjoints directs de Yacef, ce dernier reprit contact avec Zerrouk qui était l’adjoint de Si Athmane et Mourad. Or, nous l’apprendrons malheureusement plus tard, Zerrouk avait été arrêté quelque temps auparavant par les Français qui l’avaient retourné. Il travaillait donc avec eux. C’était la première erreur fatale. La deuxième erreur fut de ramener Hadj Smail dans le refuge. Ce dernier n’était pas sur la liste des gens qui pouvaient passer la nuit dans le quartier. La troisième erreur de Yacef fut celle d’écrire, de ses propres mains, la lettre que nous devions envoyer à Tunis et que Hadj Smail a laissée chez lui pour aller travailler. Un concours de circonstances a fait que les paras ont fait une descente chez lui et ont trouvé la lettre posée sur un meuble. C’était un rapport détaillé de la situation de la zone autonome d’Alger, écrit donc et signé de la main de Yacef. Une écriture que l’armée française connaissait très bien. Nous avions l’habitude de recevoir le courrier tout les jours à 5h, c’était très important parce que si le courrier n’arrivait pas au moment prévu, ça voulait dire que quelque chose n’allait pas. Nous devions recevoir une lettre de Hadj Smail qui devait prendre un avion pour Paris et Tunis ensuite. La lettre n’est pas arrivée, alors je suis allée voir Yacef. Au lieu de partir immédiatement, il nous a dit d’attendre. C’était sa quatrième erreur. Et dans la nuit du 24 au 25 septembre, les paras sont venus directement à la cache et nous ont arrêtés… » Après ce témoignage, une lecture de la déclaration du ‘’Rassemblement des femmes algériennes pour la défense du rôle et de la mémoire des Chahidate et des Moudjahidate’’ a été faite par Mme Kab Nadia, cadre à la maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou. Ce rassemblement a eu lieu le samedi 8 février dernier, pour s’élever contre les déclarations assassines visant les symboles de notre révolution. « Femmes et filles de l’Algérie indépendante, nous refusons que leur rôle soit nié que leurs sacrifices soient ignorés, que leur mémoire soit insultée… Beaucoup de récits de guerre ont été édités dans notre pays et nous nous en félicitons, car les historiennes, les historiens et notre peuple en ont besoin. Parmi ces récits, très peu ont été écrits par des femmes pour la simple raison que, si la population algérienne a été privée d’accès au savoir pendant la nuit coloniale, les filles en ont payé le prix le plus fort. Très rares sont celles qui ont pu suivre une scolarité leur permettant d’écrire leur nom, encore moins un livre… ».

Karima Talis

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