Les origines d’une langue

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(1re partie)

C’est ainsi qu’on a attribué les ancêtres les plus divers à cette langue : sémitique, égyptien, phénicien, arabe, indien, latin, grec… L’objectif avoué ou non, a souvent été de rattacher les Berbères et leur langue à des civilisations et à des cultures exogènes pour leur ôter toute originalité et, partant, pour justifier leur domination…L’un des principaux apports de la linguistique moderne est d’avoir montré qu’une langue est une réalité vivante qui ne cesse d’évoluer. C’est l’évolution qui fait, qu’au cours des siècles, la langue change et que les textes datant des époques lointaines sont difficilement accessibles aux usagers contemporains.

Les couchesSi, dans le domaine berbère, les textes libyques sont aujourd’hui si difficiles à déchiffrer, c’est parce que nous ignorons une grande partie du vocabulaire libyque et que les seuls mots que nous pouvons expliquer sont ceux dont le sens est donné par des traductions latines ou puniques ou pour lesquels il existe des pendants berbères actuels. Et encore, seuls les spécialistes de la langue et le public averti peuvent établir, à cause des altérations que les mots ont subi, des rapports entre les mots anciens et nouveaux. Le vieux fonds libyque peut être également saisi dans la toponymie – les noms de lieu- et l’onomastique -les noms de personnes- anciennes dont un grand nombre d’éléments ont à peine changé depuis 2000 ans et qui peuvent également s’expliquer par le berbère moderne. Les ressemblances relevées sont suffisamment nombreuses pour poser de façon certaine la filiation entre le libyque et le berbère actuelle. Autrement dit, le berbère actuel est le descendant direct du libyque.

Les familles de languesSi on disposait, en berbère, comme c’est le cas dans d’autres langues, de documents écrits plus anciens encore que ceux de l’Antiquité, on pourrait aisément remonter dans le temps et atteindre les états antérieurs de la langue et même en retrouver la forme première, c’est-à-dire antérieure à la diversification dialectale. Mais celle-ci a dû se produire à une période très éloignée où les hommes n’utilisaient pas encore l’écriture. On ne saura donc décrire l’état primitif de la langue parlée par les anciens Berbères, mais on peut supposer que c’est cette langue qui est à l’origine des dialectes berbères, aussi bien anciens que modernes. On peut supposer aussi que les dialectes ne dérivent pas directement de la langue primitive mais de branches de cette langue et même de langues déjà constituées, ce qui expliquerait les divergences, parfois très fortes, qui existent entre les dialectes actuels, mais le tronc reste le même et l’existence, en dépit des divergences, de structures communes, à tous les niveaux, a été démontrée, à plusieurs reprises.On peut supposer encore que cette première langue berbère n’est elle-même que l’état d’une langue encore plus primitive dont seraient issus non seulement le berbère maisaussi d’autres langues dites parentes. L’hypothèse d’une langue première qui se différencie en langues distinctes, est à l’origine du concept de familles de langues auquel fait écho celui de parenté génétique des langues.Ces notions se sont constituées au 19e siècle avec l’étude des langues indo-européennes qui présentent justement, en dépit de leur diversité et de leur dispersion sur une aire considérable, des similitudes dans le vocabulaire mais surtout dans les structures formelles. Le hasard peut rapprocher les langues les plus éloignées mais quand les correspondances sont très nombreuses et surtout régulières, elles cessent d’être le fait du hasard et deviennent les indices de l’existence de rapports historiques entre ces langues

L’apparentement du berbèreDes tentatives d’apparentement du berbère à d’autres langues ou groupes de langues ont été faites dés la fin du 18e siècle. On l’a ainsi rapproché du phénicien, de l’arabe et du sémitique en général, de l’égyptien, de langues africaines, du basque et de l’indo-européen. La plupart de ces apparentements sont souvent sous-tendus par des considérations idéologiques : il s’agit le plus souvent de rattacher les Berbères à des cultures et à des civilisations exogènes, orientales ou occidentales, pour justifier, à certaines époques, leur colonisation… On citera les théories fumeuses (qui n’ont plus cours aujourd’hui) d’un commandant Rinn qui, au 19e siècle, s’est appuyé sur les ressemblances phonétiques entre des noms de lieu berbères et des noms de lieu indiens, a fait provenir les tribus berbères de… l’Inde : ainsi les populations de Batna viendraient de Patna, ceux de Béjaïa descendraient du peuple de Béja etc… A la même époque, le docteur Bertholon rapprochait des mots berbères (et même des mots arabes empruntés en berbère) pour donner à la langue berbère une origine européenne ! Certains auteurs arabophones ne font pas mieux aujourd’hui, en rapprochant des mots berbères avec des mots arabes qui leur ressemblent pour soutenir l’origine arabe de la langue berbère ! On oublie que des mots relevant de langues différentes peuvent se ressembler sans qu’il y ait de rapports génétiques entre les langues en question, des mots peuvent aussi être empruntés et être intégrés dans la langue réceptrice au point où on les reconnaît difficilement. Il faut dans ce cas parler, non plus de parenté linguistique mais de contact entre les langues.

Le berbère et les langues en contactMême si le berbère n’occupe plus aujourd’hui un espace continu et homogène, en raison des aires d’arabophonie qui le traversent, la répartition de ses locuteurs montre qu’il s’étendait, autrefois, sur une grande aire, qui englobait la totalité des pays du Maghreb et s’étendait, à l’est jusqu’en Egypte et, au sud, jusqu’aux confins du Sahara, atteignant la Haute Volta et le Nigéria. Le berbère a été ainsi en contact avec les langues africaines et l’égyptien ancien. On sait que les Pharaons d’Egypte ont eu maille à partir avec les Berbères, appelés Lebu, et que ces derniers sont parvenus, à certaines époques, à régner sur le pays (voir F. Colin, 1996). Les Berbères ont eu aussi, à cause des vicissitudes de l’histoire, à cohabiter avec d’autres peuples et d’autres langues. Les Phéniciens, peuple sémitique, s’étaient établis au Maghreb, au 9e siècle avant J.-C, exerçant une influence culturelle non seulement sur les Berbères mais aussi sur les autres peuples du Bassin méditerranéen. Les contacts avec les Européens remontent à la Grèce antique mais c’est Rome qui a dominé le Maghreb pendant plusieurs siècles, imposant sa langue et sa culture. C’est Rome également qui a détruit Carthage et effacé sa langue, mais un autre peuple sémitique, les Arabes, l’ont chassée à son tour, et ont établi leur domination sur le pays et y ont répandu l’usage de leur langue.Le flux continu des conquérants et les contacts prolongés entre les peuples et les civilisations ont dû provoquer des brassages de population mais aussi des interférences culturelles et linguistiques. C’est ainsi qu’on relève aujourd’hui de nombreux mots phéniciens ou plutôt puniques, latins et arabes en berbère. Si la plupart des emprunts arabes sont reconnaissables, beaucoup d’emprunts anciens ne le sont pas. C’est le cas des mots puniques, en grande partie recouverts par l’emprunt arabe, ainsi que des mots égyptiens qui doivent remonter à une période reculée. Et puis, les mots étrangers sont parfois si bien intégrés dans la langue que le seul critère d’identification reste alors celui d’une influence culturelle au demeurant incertaine.C’est sur la foi d’emprunts grecs et latins ou parfois seulement de la ressemblance de mots berbères avec des mots grecs et latins qu’on a postulé, autrefois, l’appartenance du berbère à la famille indo-européenne.Si les théories fumeuses d’un Bertholon d’un commandant Rinn n’ont plus cours de nos jours, des rapprochements entre le berbère et des langues comme le latin, le celtique, l’irlandais sont faits aujourd’hui. Ici, il est surtout question de substrats, de fonds communs à des langues qui ne sont pas apparentées ou alors qui le sont dans le cadre de regroupements plus larges comme le nostratique, supposé être l’ancêtre commun de l’indo-européen et du chamitosémitique, dont lequel on classe maintenant depuis plusieurs décennies maintenant le berbère.On sait depuis longtemps que des langues africaines comme le haoussa ou le songhay ont exercé des influences sur certains dialectes berbères comme le touareg qui est en leur contact. Des études récentes ont également montré des similitudes lexicales importantes entre le berbère et les langues nubiennes, parlées dans la vallée du Nil, entre Assouan et Khartoum et classées dans la famille nilo-saharienne. Ici aussi, il s’agit de similitudes, d’interférences et non d’un apparentement.Les ressemblances lexicales entre deux langues ne doivent pas faire illusion même quand il s’agit de termes usuels communs. En l’absence de correspondances phonétiques et morphologiques, à la fois suffisantes et régulières, il est préalable de parler d’emprunts, de contacts ou encore, bien que le terme ne soit pas élégant, de contamination.

M. A. Haddadou (A suivre)

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