Recentrer les débats à leur juste valeur (9ème partie)

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Implications géostratégiques de l’essor du gaz de schiste

Un certain nombre d’implications sont susceptibles d’accompagner les effets dynamiques qui peuvent être induits par l’essor du gaz de schiste. Avec toutes les réserves qui pèsent sur la manière et l’intensité dont celui-ci peut affecter la production et en quel lieu, on peut envisager un ensemble de conséquences probables. La première implication, et sans doute la plus importante, serait une pression baissière des prix élevés du gaz sur les marchés régionaux hors de l’Amérique du Nord et sur le prix mondial du pétrole. La croissance et la diversification des approvisionnements vont promouvoir une rude concurrence entre les fournisseurs et rendront plus ardue la manipulation du marché au profit des grands producteurs et, pour leurs gouvernements, l’usage de la vente de l’énergie à des fins politiques ! De nombreux pays producteurs devront faire face à une réduction de leurs revenus d’exportation, comme c’est le cas en ce moment. Ceux dont les exportations sont dominées par les hydrocarbures fossiles et dont le développement du gaz de schiste ne peut compenser les pertes en recettes dues à la chute des prix des hydrocarbures seront contraints d’envisager la diversification de leurs économies et de procéder à de pénibles ajustements macroéconomiques pour rétablir leurs équilibres. En ce moment, notre pays et d’autres vivant un début de dépression tentent de réajuster « leurs stratégies économiques » vers cette tendance qui s’avère être une obligation. Les promoteurs de gaz de schiste qui auront réussi pourraient en tirer progressivement des avantages similaires à ceux des Etats Unis. Les pays importateurs d’énergie, mais pas nécessairement leurs consommateurs, bénéficieront de la baisse des prix. Leurs gouvernements introduiront semblablement des politiques de prélèvements à l’importation ou des taxes à la consommation pour consolider leurs budgets ou réduire la croissance de la demande énergétique. A travers le monde, les producteurs de charbon seront appelés à faire face à une compétition aiguisée par le gaz et le pétrole conduisant à une contraction du marché et de bas prix du charbon. Les efforts consentis à développer des énergies renouvelables à des fins de stabilisation du climat et de sécurité énergétique deviendraient plus onéreux à la suite de l’essor du gaz et pétrole de schiste. Les politiques visant à accorder plus de financements pour les énergies, éolienne, biologique et solaire, seront amenées à garantir leur place sur le marché face aux prix bas des énergies fossiles. Cependant, la part de marché accrue du gaz naturel, qui sera le plus propre d’entre les combustibles fossiles, lui conférera le pouvoir de réduire davantage les émissions de carbone par rapport au charbon et au pétrole. En Europe, les prix réduits du charbon favoriseraient semblablement l’émergence d’un usage conséquent de cette ressource dans la production de l’énergie électrique. Bien que cela n’affecterait pas les émissions totales de carbone dans le secteur du commerce, car elles sont déterminées par les plafonds d’émissions dans le système d’échanges de l’UE, probablement, l’usage du charbon fera grimper le prix des quotas d’émissions. Il serait difficile d’imaginer les répercussions politiques internationales d’une éventuelle dépréciation du poids du Moyen-Orient en sa qualité de fournisseur dominant d’hydrocarbures fossiles dans le monde. La lourde présence diplomatique et militaire américaine dans la région est susceptible d’être affectée par une dépendance amoindrie des USA aux gaz et pétrole du Moyen-Orient. Même s’il est difficile de prédire les réactions des États-Unis et les probables répercussions politiques dans la région d’un retrait partiel américain, il est probable que le pétrole du Moyen Orient se fraie une part de marché dans les contrées asiatiques dont la demande reste toujours croissante. Celles-ci ne semblent pas prêtes à développer significativement les industries d’hydrocarbures non conventionnels pour quelques décennies encore. On pourrait enregistre des réactions politiques et économiques importantes des nations les plus puissantes de la région Asie, par exemple, la Chine, en cherchant à assurer leur approvisionnement en pétrole à partir du Moyen-Orient. S’agissant du gaz de schiste, il n’est pas impossible que des pays du Moyen-Orient en recèlent tout aussi bien des réserves substantielles. Ce qui leur serait bénéfique, ne serait-ce que pour satisfaire la rapide augmentation de leurs propres consommations. Les pays exportateurs de gaz naturel (la Russie, le Moyen-Orient et en particulier, le Qatar, l’Australie) sont au moins partiellement menacés par le développement du gaz de schiste dans leur hégémonie sur les zones de consommation de gaz naturel (Etats-Unis, Europe, Japon, Chine). En effet, le gaz constitue une arme politique dont les pays exportateurs tendent à se servir pour peser dans les relations internationales, et imposer leurs vues. Il s’agit également d’une ressource économique majeure pour les états exportateurs dont les économies souffrent d’une faible diversification face à un secteur pétrolier omniprésent. Le cas de la Russie demeure relativement emblématique. Habituée à se servir des prix du gaz comme levier d’action dans sa politique de main mise sur l’Europe de l’Est, elle n’a pas hésité à en arrêter la fourniture à l’Ukraine et, partant, aux pays de l’Union européenne, à l’occasion du différend avec l’Ukraine sur les prix du gaz en janvier 2009. La puissance politique de la Russie se retrouverait nettement affaiblie en Europe de l’Est si cette dernière prenait une indépendance énergétique plus marquée. Dans ce contexte, la Pologne pourrait jouer un rôle important car elle dispose de réserves en gaz de schiste conséquentes sur son territoire. Enfin, on pourrait s’interroger dans quelle mesure l’exploitation des réserves de gaz naturel de la Sibérie et leur exportation vers la Chine pourraient continuer à représenter un argument politique de taille face à une Chine dont le sous-sol recèle d’immenses réserves de gaz de schiste ? Dès lors, la carte mondiale des principaux bassins d’hydrocarbures non conventionnels pourrait décliner une nouvelle configuration des pays détenteurs des ressources énergétiques et de leurs capacités de manœuvre, relativement à celle fondée sur les hydrocarbures conventionnels. Cette configuration peut déstabiliser l’hégémonie et la suprématie de certaines contrées sur le reste du monde et affecter les équilibres géopolitiques et géoéconomiques. A l’aune de ces probables chamboulements, l’Algérie devrait définir une nouvelle stratégie énergétique et s’insérer intelligemment dans la dynamique d’inversion du marché international, des marchés régionaux et infrarégionaux de l’énergie. Cette démarche lui garantira ses propres pontages et son insertion géostratégique pour ne pas être en reste et surtout demeurer tributaire de la logique dictée par des groupes de pression et des organisations susceptibles d’affecter ses équilibres économiques, étant donné le poids de certains producteurs dans ces groupes et organisations. Occupant une position confortable de troisième pays à fortes réserves en gaz de schiste, son exploitation pourrait augmenter sensiblement le poids de l’Algérie dans l’échiquier énergétique mondiale et lui conférer des marges de manœuvre bien plus importantes sur une autre période de 30/40 années de sécurité énergétique en sus de ses réserves d’hydrocarbures conventionnels pour peu que les objectifs de l’industrie des hydrocarbures soient diversifiés et ne s’arrêtent pas au seul souci d’engranger des revenus pour faire fonctionner une économie rentière. Dans un premier temps, l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels peut couvrir les besoins internes au pays et l’exportation vers des pays riverains (européens, maghrébins, et africains) tout en économisant ses réserves d’hydrocarbures conventionnels. L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels est une opportunité pour le développement du capital humain par la formation à leurs technologies dans tous leurs aspects pour un véritable transfert technologique, la création d’emplois et d’entreprises de sous-traitance leurs diverses activités majeures et périphériques.

(A suivre…) I. A. Z.

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