«L’enseignement de Tamzight doit être généralisé»

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M’hand Amarouche, professeur des universités, militant de la cause amazighe et un des initiateurs du boycott scolaire en 1995, revient dans cet entretien exclusif sur les différentes étapes qui ont marqué le combat des militants de Tamazight de 1980 à ce jour.

La Dépêche de Kabylie : Vous étiez le coordinateur du Rassemblement National du MCB. quel constat faites vous du parcours depuis avril 80 à aujourd’hui ?

M’hand Amarouche : Avril 80 a été l’expression de toute une population qui a été ignorée dans son identité réelle, à qui on a brimé sa langue et sa culture. On se souvient tous qu’ils étaient rares les chanteurs kabyles qui pouvaient organiser des galas dans des salles ou apparaitre à la télévision ou sur les ondes des radios nationales. Avril 80 était porteur de ces revendications en plus de la revendication d’un État ou plutôt d’une République démocratique avec une liberté d’expression au sens large, pour toutes les populations. Il faut dire qu’il n’y avait pas seulement qu’une seule région qui était brimée, il y en avait plusieurs qui exprimaient leur ras-le-bol dans les années 1970-1975. 1980 a été porteur de cette revendication de liberté d’expression, des libertés démocratiques au sens large et aussi de l’identité véritable du peuple algérien dans toutes ses composantes. Nous avons vu avec quelle férocité la répression a été organisée par le pouvoir de l’époque. C’est parti tout simplement d’une interdiction d’une conférence du chantre de la question identitaire Mouloud Mammeri, que tout le monde aujourd’hui essaye de se réapproprier. C’est allé ensuite crescendo avec le mouvement culturel qui a commencé à prendre forme et qui dépassait largement les frontières de la Kabylie pour s’étendre à des associations culturelles à Oran et à Batna. Le mouvement commençait à s’organiser autour de la revendication identitaire. Ensuite, les animateurs de l’époque dont beaucoup étaient les élèves de Mammeri, ont réfléchi à d’autres formes de mobilisation des populations, notamment avec la création de la ligue des droits de l’homme qui s’inscrit dans la revendication des libertés démocratiques. Le pouvoir de l’époque parlait aux noms des martyrs de la Révolution, mais les ayants-droits, les fils de ces martyrs étaient complètement marginalisés. Donc tous ces mouvements se sont mis en branle et ce qui est formidable, d’ailleurs jusqu’à ce jour, c’est ce relais qui est passé d’une génération à une autre. Donc l’esprit du 20 avril 1980 est aujourd’hui ancré dans les esprits. On peut poser la question à un jeune de 18 ans et il vous retracera l’historique de Tafsut n’80. Il connaitra par cœur les revendications de l’époque. Cette militance de la question berbère a tout le temps continué et se transmet de génération en génération. La commémoration de cette date est aussi une façon de revenir sur la scène de 1980 à 1990. De 1990 à1994 lorsque des élèves des lycées, des étudiants ont sacrifiés une année de leur scolarité à l’appel du mouvement culturel berbère (MCB) pour un boycott scolaire. Beaucoup de gens n’ont pas compris réellement ce boycott. Cependant en réalité c’était une façon de revenir entretenir la flamme de la revendication berbère.

Vous étiez parmi ceux qui ont appelé au boycott scolaire en 1995 ?

Oui en effet, en 1995, à l’appel d’un certain nombre de militants, nous étions sept, je me souviens très bien puisque je faisais partie de ceux qui ont appelé au boycott scolaire. Nous avions lancé cet appel depuis un appartement à Azazga, plus précisément à Tizi-Bouchène. Un certain nombre de partis politiques implantés en Kabylie, notamment le RCD et le FFS étaient complètement pris de court. Ils ne s’attendaient pas à ce que cet appel au boycott scolaire soit lancé. Ce n’est qu’après, lorsqu’ils ont vu le mouvement prendre de l’ampleur avec les lycéens, les étudiants, les parents d’élèves, que ces partis politiques ont du réviser leurs positions et ont pris le train en marche. Par la suite c’est toute la composante du Mouvement Culturel Berbère qui était fractionné en trois : la coordination nationale qui répondait beaucoup plus au RCD, la commission nationale qui répondait plus au coté du FFS et le Rassemblement National du MCB dont j’étais le coordinateur à l’époque. Les trois composantes se sont mises d’accord pour mener à terme le boycott scolaire. C’était l’époque du président Zeroual, Ouyahia n’était que son conseiller, de même que le général Betchine. Nous avons été conviés à discuter de l’issue, à savoir, nos conditions pour arrêter le boycott scolaire. C’était au mois de mars 1995, reporté au mois d’avril. Suite à cela nous assisterons à la naissance du Haut Commissariat à l’Amazighité. Aujourd’hui avec le recul, on se rend compte que nous avons été leurrés une fois de plus, parce que le Haut Commissariat à l’Amazighité était un «truc» beaucoup plus folklorique qu’une institution réellement chargée de la promotion et de la défense de la question berbère. Preuve en est que depuis 1995 jusqu’aux événements de 2001, c’était que des méthodes protocolaires et des festivités occasionnelles. Malgré la bonne volonté de certains membres, le HCA n’a hélas pas réussi sa mission d’assurer la promotion véritable de cette langue et de cette culture amazighes.

En 2001, il y eu un autre épisode qui a marqué l’histoire de la cause berbère…

Oui en 2001 nous avons vu une énième provocation, c’est-à-dire qu’à chaque fois que le pouvoir voit des difficultés à gérer le pays ou autre, il y a la Kabylie. «C’est dans la cervelle du chacal que se trouve le remède», chante Ait Menguellet. C’est ainsi que l’on a assisté à l’assassinat d’un jeune lycéen le 18 avril 2001, qualifié par le ministre de l’Intérieur de l’époque de «jeune voyou». Je parle de provocation, et on a vu l’embrasement de toute la Kabylie avec 127 martyrs. C’est l’une des plus grandes catastrophes de l’Algérie indépendante. Voir les gendarmes d’un pays tirer sur ses propres enfants est inqualifiable. Par la suite, cette flamme de revendications chez les militants ne s’est jamais éteinte. A chaque fois, une génération reprend le flambeau, c’est ce qui a posé des problèmes au pouvoir. La militance changeait de nom, ce n’était plus les personnes qui activaient en 1980, même si ils y étaient toujours, mais d’autres noms qui apparaissaient de même que de nouvelles figures. Chaque décennie, des militants entraient en scène pour les revendications identitaires. Il y avait un ressourcement, quelque chose d’extraordinaire au sein de la population. Il y avait quelques départements de langue et culture amazighes ouverts dans certaines universités. Cela a commencé avec Tizi-Ouzou en 1995 avec l’ouverture du département de Tamazight. A l’époque, j’étais vice recteur. Par la suite, on a vu l’ouverture du département de Béjaïa. C’était comme si la question berbère n’était qu’une question kabyle alors que la revendication s’était exprimée à Batna à Oran et un peu partout dans différentes régions d’Algérie. Aujourd’hui on est à quatre départements Tizi-Ouzou, Béjaïa, Bouira et Batna récemment.

Qu’en est-il aujourd’hui des revendications de 1980 ?

Je reviens d’abord à la reconnaissance de Tamazight comme langue nationale. Il aura fallu verser le sang de 127 jeunes pour reconnaitre une langue nationale, il aura fallu le Printemps Noir. Si on remonte à 1999, soit deux ans avant, le président de la République a déclaré, à Tizi-Ouzou, que Tamazight ne serait jamais langue officielle, et si elle le devenait ce serait par voie référendaire. L’assassinat de 127 jeunes est-il ce référendum? Tamazight est reconnue langue nationale, quoiqu’elle l’ait toujours été du fait qu’une langue parlée dans un pays est nationale de facto. Du point de vue institutionnel, cela n’a absolument rien changé. Par la suite, il a été annoncé l’officialisation de la langue amazighe, mais quelle officialisation? Quand on dit que l’arabe est langue officielle et que Tamazight l’est aussi dans un autre article, on se pose des questions. Ce que nous demandons, c’est la co-officialité, c’est-à-dire, au même titre que l’arabe pour que l’Algérie dispose de deux langues nationales et officielles. Je précise, par rapport à cette officialisation qu’il y a un article qui stipule des modalités pour réunir les conditions de cette officialisation réelle. Ainsi, les rédacteurs de la constitution ont très bien compris que Tamazight ne sera langue officielle qu’une fois les conditions réunies et ce, à travers la création d’une académie. Lorsqu’on dit que tamazight est langue officielle en termes clairs, il faut qu’elle le soit au même titre que la langue arabe. C’est-à-dire, avec son enseignement généralisé à l’échelle des 48 wilayas. Il ne s’agit pas de tergiverser et de faire dans le bricolage avec ce qui est en train de se faire dans la précipitation. Aujourd’hui on se rend compte que le pouvoir est beaucoup plus pressé que les militants pour officialiser Tamazight en créant l’académie. Mais, j’anticipe peut-être sur le sujet, on verra bien la composante de cette académie. Nous avons vu comment a été la composante du Haut Commissariat à l’Amazighité, beaucoup plus un frein qu’une avancée. Personnellement, je suis persuadé que la composante de cette académie sera encore un autre frein à sa promotion, ne serait-ce que sur le problème de la transcription. Déjà on se lance dans des polémiques sur les caractères de sa transcription. Le sujet a été pourtant tranché par les utilisateurs de cette langue. Il y a des grammaires qui ont été faites, des lexiques parvenus à des dictionnaires. Depuis 1995, Tamazight est enseignée à Tizi-Ouzou, et c’est la transcription latine qui est d’usage. On s’empresse de dire que le caractère latin est celui de la langue du colonisateur, mais, les Anglais, les Espagnols, les Italiens pour ne citer que ceux-là ont tous les mêmes caractères et ne nous ont pourtant pas colonisés. Cette problématique n’est qu’un subterfuge, elle n’a même pas lieu d’être posée.

Entretien réalisé par Hafidh Bessaoudi

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