Le vocabulaire des animaux (I)

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En dépit de la diversité qui le caractérise, le vocabulaire berbère conserve une profonde unité : des centaines, voire des milliers de mots sont communs. Ce vocabulaire, qui remonte aux origines de la langue berbère, embrasse tous les domaines de la vie : actions et états, flore, faune, sentiments, corps humain…au fil des articles, le lecteur découvrira avec nous la richesse de ce vocabulaire qui n’a pas encore, malheureusement, été réuni en dictionnaire.

Les animauxLes Berbères accordent une place importante aux animaux qui constituent aujourd’hui, notamment dans les campagnes, une source de revenus capitale. Ils fournissent une partie de l’alimentation – viande et surtout produits laitiers- ainsi qu’une foule de produits que l’on peut tirer de leurs laine, poils, cuirs et même ossements : vêtements, chaussures, couvertures, velum des tentes et ustensiles de cuisine, comme les coquilles d’œufs d’autruche, employées autrefois comme récipients, ou les cous de chameaux arrangés en vases. A cela s’ajoute l’utilisation de nombreux animaux, comme force de travail et, dans les régions escarpées, comme moyen de transport.

Place des animauxLes Berbères ont-ils pratiqué, à l’instar d’autres peuples anciens, comme leurs voisins Egyptiens, la zoolâtrie ou culte des animaux ? Les auteurs antiques ont décrit des pratiques qui s’apparentent à un culte. Ainsi, selon Diodore de Sicile, les populations des confins de la Tunisie et de l’Algérie vénéraient les singes qui pouvaient aller et venir dans les maisons sans être inquiétés. A l’époque musulmane même, El Idrissi signale, dans une tribu du sud marocain, un culte du bélier. Mais cette pratique semble marginale puisque selon El Idrissi, les gens qui s’adonnaient à ce culte devaient se cacher, à cause de la désapprobation générale qu’ils encouraient (cité par G. CAMPS, 1988). Si certains auteurs comme M. Benabou (1976, ) soutiennent sans hésiter l’existence de la zoolâtrie chez les Berbères de l’antiquité, d’autres comme G. Camps (opus cité) la mettent en doute : « Que des animaux, pour différentes raisons, aient eu des liens puissants avec le sacré et qu’ils aient joui de privilèges particuliers (singes, serpents, certains oiseaux) que d’autres servent habituellement et préférentiellement d’offrandes sacrificielles, aient finalement bénéficié de relations étroites qui s’établissent avec les dieux (béliers) que d’autres comme le taureau Gurzil ou le lion pour le soleil ou Saturne, aient été les simulacres vivants de la divinité, cela ne suffit pas à établir un culte des animaux. » (opus cité, p. 669).Il faut sans doute remonter loin dans la préhistoire pour retrouver, notamment dans les peintures rupestres, des traces de ce culte.

Le vocabulaire des animauxNous avons relevé, pour l’ensemble des dialectes que nous avons étudiés, moins de soixante-dix noms communs. C’est peu, pour un secteur censé être l’un des vocabulaires de base de la langue, donc celui qui change le moins. Les termes communs les plus nombreux désignent les animaux domestiques, les animaux sauvages, les mieux représentés sont ceux qui font partie depuis toujours du paysage berbère : lion, gazelle, chacal…La quasi-totalité des dialectes berbères emploient, pour désigner l’animal, des termes empruntés à l’arabe. Seuls les parlers touaregs disposent d’un mot berbère et encore est-il limité à la désignation de l’animal sauvage, axu « bête sauvage ». Selon des témoignages que nous avons recueillis, le mot aurait existé en kabyle, avec le sens de « fauve », mais ce dialecte n’emploie, aujourd’hui, qu’une forme, en apparence apparentée à axu, abexxuc, avec le sens d’ »asticot, cafard, bête rampante ». Les parlers du Maroc central emploient un mot très proche, abaxxu, avec le sens d’ »asticot, insecte » et tabaxxa dans celui d’ »araignée ». Un troisième mot, bexxu, a le sens d’ « ogre ». En kabyle, on a introduit aujourd’hui une nouvelle désignation, aghersiw, qui provient de agherus ‘’peau d’animal, peau tannée etc.’’

Les animaux sauvagesLa faune maghrébine et saharienne est très variée, ce qui explique la différence des dénominations d’une région à une autre.

Les mammifères-Gazelle On relève cinq mots communs. Ceux-ci, quand ils sont utilisés dans un même dialecte, devaient désigner, à l’origine, des espèces différentes. Mais aujourd’hui les distinctions sont rares.-Ahenkod’ « gazelle mâle » fém. tahenkod’ (Ihenkad’, « les gazelles », nom propre de la constellation du Lièvre ) (Touareg)-Azenkod’ « gazelle mâle » fém, tazenkot’ (Ghadames)-Azenk°ed’ « gazelle-mâle » fém. tazenk°ett’ (Chleuh)-edmi « gazelle d’une espèce de grande taille », fém, tedemit (Touareg)-Admu « gazelle mâle » fém. tadmit (Chaoui)-Dami « gazelle » (Zenaga)

-Ehem « nom d’une espèce d’antilope » fém. Tehemt, p. ext. « bouclier » (Touareg)-Izem « gazelle » fém. tizemt (Nefousi)Le mot est attesté dans d’autres dialectes (Kabyle, Maroc central, chleuh) mais avec le sens de « lion ».

-Zerzer « gazelle » (Nefousi)-Izerzer « gazelle » (Qalaat Sned, Tunisie)-Izerzer « grande gazelle » tizerzert « petite gazelle » (Mzab)-Izerzer « gazelle mâle, grande gazelle, cerf » Tizerzert « gazelle, gazelle femelle » (Kabyle)Le kabyle emploie le verbe zerzer « courir, filer à vive allure » dont pourrait être issu le nom qui semble être d’origine expressive (redoublement total d’une base bilitère).

-Enir « antilope mohor » (Touareg)-Anir « antilope » (Chleuh)

Le touareg désigne encore l’antilope addax par le mot amallal, fém. tamallalt qui provient du verbe imlul « être blanc ». La même désignation est attestée dans les parlers du Maroc central : amlal « gazelle ».-Mouflon Son nom est commun à quelques dialectes mais son aire d’extension s’étend du nord au Sahara.-Udad « mouflon » (Touareg)-Awdad « mouflon » (Nefousi)-Udad « mouflon » (Ghadames)-Udad « mouflon » fém. tudatt (Maroc central, Chleuh)-Udad « mouflon » (Kabyle)

-Sanglier Cet animal, répandu au Maghreb, a le même nom dans plusieurs dialectes, à l’exception du touareg qui emploie un mot propre, azubara :-Ilef « sanglier, porc » tileft « laie, truie » (Nefousi)-Ilef « sanglier » (Siwa)-Ilef « sanglier, porc » tileft « laie, truie » (Maroc central, chleuh, kabyle, chaoui)-Ilef, iref « sanglier » tileft, tireft « laie » (Rifain) Le mot est peut-être en rapport avec le nom de l’éléphant, elu, encore vivant en touareg sous la forme elu / telut, et attesté dans la toponymie des régions du nord du Maghreb. L’arabe dialectal maghrébin a emprunté ilef sous la forme de h’eluf.

M.A Haddadou(A suivre)

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